Neuf mois après un premier coup d’État au Mali et alors qu’un processus de transition a été mis en place, les militaires ont à nouveau repris la main en évinçant le président, Bah Ndaw, et son Premier ministre, Moctar Ouane. Comme en août dernier, la communauté internationale a condamné ce qui s’apparente à “un coup d’État dans le coup d’État”, selon les paroles d’Emmanuel Macron. La Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), la France, l’Union Européenne et les États-Unis ont immédiatement menacé d’imposer des sanctions.
Pourtant, jusqu’ici seul Washington a pris une mesure concrète en suspendant son aide militaire. Réuni en urgence, le 26 mai, le Conseil de sécurité a réclamé une “reprise immédiate” de la transition, sans pour autant s’accorder sur la mise en place de mesures coercitives. La Cédéao, qui s’était montrée d’une grande fermeté lors du coup d’État en août dernier, fait désormais profil bas. Car si l’histoire se répète au Mali, le contexte économique et politique a, entretemps, tourné à l’avantage des militaires.
Embargo contesté
Le 20 août dernier, soit seulement deux jours après le coup d’État militaire et l’éviction du président élu Ibrahim Boubacar Keïta, la Cédéao, qui regroupe quinze pays, annonce des mesures drastiques contre le Mali. Outre la suspension du pays de tous ses organismes de décision, elle annonce la mise en place d’un embargo. Une mesure qui inclut la fermeture des frontières terrestres et aériennes, l’interruption des transactions financières ainsi que des échanges commerciaux, à l’exception des denrées de première nécessité. Sous pression, les militaires annoncent, début octobre, la création d’un gouvernement de transition et la Cédéao lève les sanctions. Mais l’organisation africaine fait l’objet de critiques au sein de la société civile.
“L’embargo a duré près de deux mois et a durement affecté les opérateurs maliens. Tout un tas de produits comme les matériaux de construction ou le matériel informatique étaient totalement bloqués” déplore Abdoul Wahab Diakité, vice-président de l’association des consommateurs du Mali (Ascoma), contacté par France 24. “La Cédéao n’a pas pris la mesure de ses actions car le Mali est un point de consommation essentiel pour les pays voisins. Les commerçants ivoiriens, nigériens ou sénégalais ont vu leurs exportations bloquées par les décisions de leurs propres dirigeants, cette situation est inacceptable”.
Pour faire reconnaître le caractère “illégal” de l’embargo, qu’elle considère être une violation des droits des citoyens, l’Ascoma, accompagnée d’une autre organisation civile malienne (la Coalition Publiez Ce Que Vous Payez- Mali), a porté plainte contre la Cédéao auprès de la Cour de justice de l’organisation africaine. Une plainte jugée recevable, qui devrait être examinée prochainement et dont les organisations civiles maliennes espèrent qu’elle débouchera sur des compensations financières.
Si la Cédéao a, à nouveau, menacé, jeudi, d’imposer des sanctions ciblées “contre ceux qui poseront des actes contraires au processus de normalisation”, nulle mention n’a été faite du potentiel retour de l’embargo économique.
L’ombre du Tchad
Accédant à la demande de la communauté internationale, les militaires ont annoncé, jeudi, la libération du président et du Premier ministre. Mais alors que l’Europe, la Cédéao et les États-Unis exigent la nomination d’un nouveau gouvernement civil, le Colonel Assimi Goïta a indiqué à la mission de médiation déployée sur place qu’il envisageait de mener lui-même le processus de transition démocratique.
“Le rapport de force a évolué depuis le coup d’État d’août dernier et il est aujourd’hui bien plus favorable aux militaires” juge Niagale Bagayoko, politologue, présidente de l’organisation panafricaine African Security Sector Network, contactée par France 24. “À l’époque, les dirigeants les plus enclins à la fermeté au sein de la Cédéao étaient le président ivoirien, Alassane Ouattara, et le celui de la Guinée, Alpha Condé, qui faisaient tous deux face à des échéances électorales. Pour leur propre sécurité, ils ne pouvaient apparaître faibles vis-à-vis de la prise de pouvoir militaire au Mali. Mais au-delà des calculs politiques, c’est avant tout le coup de force de la junte militaire au Tchad qui conforte aujourd’hui les officiers maliens”, juge-t-elle.
Annoncé par l’armée tchadienne le 20 avril, le soudain décès du président Idriss Déby, considéré comme un pilier de la lutte antiterroriste, a pris la communauté internationale de court. Alors qu’il revenait au président de l’Assemblée nationale d’assurer l’intérim, un conseil militaire de transition est mis alors en place, dirigé par le fils du défunt président, Mahamat Idriss Déby. La France dit prendre “acte” de la situation et appelle de ses vœux une transition pacifique vers “une gouvernance civile stable”.
“La passivité de la communauté internationale face à la prise de pouvoir militaire au Tchad est un tournant majeur” juge Niagale Bagayoko. Les acteurs censés promouvoir le bon fonctionnement des institutions et la démocratie ont renié leurs principes par peur de perdre un allié dans la lutte antiterroriste. Cette attitude leur revient aujourd’hui en boomerang alors qu’ils veulent influer sur les militaires maliens. Comment peuvent-ils apparaître crédibles ?”.
Face aux menaces de sanctions internationales, le colonel Assimi Goïta entretient le mystère quant à la manière dont il compte gérer la transition démocratique.
Après une tentative de médiation en début de semaine, la Cédéao a quitté le Mali sans faire d’annonces. Ses dirigeants se réuniront, dimanche, au Ghana, lors d’un sommet exceptionnel dédié à la crise au Mali, durant lequel devrait être, à nouveau, évoquée la possibilité de sanctions.