Nous ne cessons de proclamer la laïcité de l’Etat face à ceux qu’il est convenu d’appeler ” les fous de Dieu “. Ceux qui, pour une quelconque indélicatesse, brandissent l’épée servant à amputer. Ceux qui, pour une expression de sentiment ou une liberté, recommandent la lapidation à mort.
Me Mountaga Tall nous avait bien avertis concernant la laïcité de l’Etat. Il avait expliqué qu’il ne s’agissait surtout pas d’une indifférence vis-à-vis des courants religieux, mais de l’équidistance de l’Etat à leur égard. Dans ce sens, une manifestation publique devait respecter ce principe sacro-saint de la République, surtout dans le contexte actuel de crise grave.
En manifestant le lundi dernier pour des motifs laïcs (temporels) avec des méthodes religieuses (spirituelles), les responsables de l’association Yéréwolo Ton semblent avoir glissé dangereusement sur le terrain du fanatisme. En effet, en invoquant des slogans ” Allah Akbar ” (Dieu est grand) pour protester contre la direction de la transition par le président Dioncounda Traoré, Boubacar Bouaré (président de l’association) et ses amis ont porté un coup à la laïcité de l’Etat.
En outre, selon nos informations, les manifestants avaient quasiment mis la manifestation sous la signature des hamallistes, une confrérie religieuse dont des adeptes ont tenu à faire un rituel particulier, le «moutakim». Qui consiste à prononcer des malédictions contre une personne ou pour invoquer les démons sur une personne ou une situation pour son dénouement. Voilà des pratiques qu’il faut surtout bannir dans les manifestations publiques, au risque de tanguer dangereusement vers un fanatisme dévastateur. Avec le zèle et la détermination qu’on observe chez les jeunes de Yéréwolo Ton, la tentation est grande de se croire investis d’une ” mission divine “, celle de ” chasser le démon incarné par les dignitaires de l’ancien régime “. C’est ainsi que se développent les germes des extrémismes religieux que Dieu doit épargner au Mali. Ces extrémismes, dont parlait récemment le chercheur et pasteur français Robert Somerville, sont le terreau de la violence aveugle, du jihad et d’autres dérives graves qui menacent nos sociétés.
Somerville affirme que la violence est de tous les temps. Mais aujourd’hui, explique-t-il, l’une des formes de violence qui suscite le plus d’inquiétudes est celle qu’ont illustrée les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington : la violence des fanatiques. ” Ces attentats ont été de toute évidence préparés de longue date avant d’être exécutés et leurs auteurs avaient sciemment choisi de sacrifier leur vie pour mener à bien leur entreprise de mort. Un tel mépris de la vie et une telle mystique de la mort font froid dans le dos “, assure-t-il dans son livre Croire et Servir.
Il faut rappeler que le fanatique, selon un dictionnaire, est une personne animée d’une foi absolue et d’un zèle aveugle. Un zèle qui ne manque peut-être pas d’intelligence (il en fallait pour concevoir et réussir de tels attentats), mais une intelligence aveugle aux souffrances des victimes et aux droits des autres. Le fanatique ne craint pas de s’attaquer à des innocents. À ses yeux, quiconque n’est pas avec lui est contre lui. Quiconque n’obéit pas aux idées et aux lois qu’il prône est un ennemi à soumettre ou à supprimer. Quiconque ne voit pas les choses comme lui est contre lui. La plus totale intolérance le caractérise. Il faut reconnaître que la religion a parfois encouragé les fanatismes. Les guerres dites “saintes” ont souvent été sans pitié et l’intolérance religieuse a été cause de graves injustices et de persécutions meurtrières.
Mais il faut souligner que le fanatisme n’est pas limité à la religion. Il y a aussi un fanatisme politique : que l’on pense aux attentats de l’ETA en Espagne et, plus loin dans le temps, aux persécutions contre les Juifs et aux camps de concentration dans l’Allemagne nazie ou encore aux purges staliniennes et au Goulag en ex-URSS. Il y a aussi un fanatisme tribal comme lors des massacres du Rwanda. Heureusement que le Mali ne connaît aucune tendance au tribalisme, tant le ” sinankunya” (le cousinage à plaisanterie) a si bien cimenté les liens sociaux et familiaux. En définitive, constate Robert Somerville, il est grave de confondre la religion avec les intégrismes intolérants et meurtriers. L’islamisme est une déformation de l’islam, tout comme l’inquisition et les guerres de religion ont été des trahisons du christianisme.
Bruno D. SEGBEDJI