Au cours d’un récent «bal des sorciers», les chefs d’Etat de la Cédéao ont exigé la formation d’un gouvernement malien d’union nationale avant le 31 juillet. Faute de quoi, des sanctions suivraient. A quelques heures de l’expiration de cet ultimatum, ce mercredi à 0H, trois hommes ont le destin du Mali, déjà accablé par un funeste sort, entre leurs mains. Mais chacun de ces trois hommes est l’otage de ses adeptes, lesquels veulent s’imposer coûte que coûte, et, à défaut, faire basculer le pays dans le chaos. Ces trois hommes sont Dioncounda Traoré, Cheick Modibo Diarra et Amadou Haya Sanogo. Trois hommes qu’un accident de l’histoire a propulsé sur le devant de la scène, qui se trouvent là où ils n’auraient jamais peut-être pu être.
Chacun de ces trois rêve d’un destin historique à la tête de l’Etat, a l’occasion de jouer les premiers rôles, bénéficie du soutien d’un clan. C’est grâce au troisième homme que les deux autres occupent leurs postes respectifs. Et c’est également à cause du troisième que le président de la République et le Premier ministre ont ou auront une cohabitation aussi difficile. Qui sont-ils ?
Dioncounda Traoré est toujours le président de l’Adéma, le plus grand parti politique du pays en termes de députés, d’élus nationaux et locaux. Avec l’Urd, la deuxième formation politique de la place, l’Adéma cohabite dans le Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et la République (Fdr, front du refus du coup d’Etat militaire du 21 mars). Ce regroupement, dès le lendemain du putsch, a demandé le retour à une vie constitutionnelle normale. Il est composé de partis politiques, d’organisations de la société civile, des syndicats de l’Union nationale des travailleurs du Mali, la plus grande centrale syndicale du pays. Tous ont le soutien de la communauté internationale qui, comme eux, a fermement condamné le putsch. Un arrangement entre la Cédéao et le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (Cnrdre) a permis à Dioncounda Traoré de se maintenir au pouvoir pour une transition de douze mois à l’issue de la période de transition de quarante jours. Auparavant, il était le président de l’Assemblée nationale et candidat à la présidentielle avortée de fin avril. Il est pris en otage par la majorité gouvernementale du temps d’ATT.
C’est aussi un arrangement entre le médiateur de l’organisation sous-régionale et le chef des putschistes, l’accord-cadre du 06 avril, qui a permis à Cheick Modibo Diarra d’accéder au poste de Premier ministre doté de pleins pouvouvoir. Si le document privilégie la nomination d’une personnalité neutre et consensuelle à la primature de la transition, Cheick Modibo Diarra, lui aussi est président de parti politique, du Rpdm qu’il a fondé quelques mois plus tôt pour lui permettre de briguer, lui aussi, la magistrature suprême. Pourtant l’homme avait mené très peu d’activités politiques auparavant, ayant passé de nombreuses années sur des programmes d’exploration de la Nasa, l’agence spatiale américaine. C’est donc un scientifique qui a mis les pieds dans le plat de la transition, avec la bénédiction de la junte militaire donc avec l’accompagnement de la Coordination des organisations démocratiques du Mali (Copam). Favorable au coup d’Etat du 21 mars et à défaut de pouvoir imposer le président du Cnrdre comme chef de la transition, la Copam apris fait et cause pour Cheick Modibo Diarra. Ce regroupement également est composé de partis politiques, d’organisations de la société civile et des syndicats de la Confédération syndicale des travailleurs du Mali, la deuxième centrale syndicale du Mali. Sa composante la plus emblématique reste la Sadi, parti du député Oumar Mariko.
Si le Fdr, au début, a bien voulu «laisser sa chance» à Cheick Modibo Diarra, aujourd’hui les frontistes ne veulent plus sentir le Premier ministre et demandent sa démission. En 105 jours d’exercice des pleins pouvoirs, l’astrophysicien aurait très souvent la tête dans les étoiles, serait trop souvent dans les airs à naviguer (déformation professionnelle ?) à contre-courant. Mais l’homme ne compte pas démissionner. Il l’a dit haut et fort. Comptant sans doute sur ses relations avec Kati où siège le Cnrdre. Lui aussi est pris en otage par ses « amis » qui attendent des dividendes de leur soutien.
Amadou Haya Sanogo est avant tout un militaire. Du prytanée à ce jour, il n’a connu que le métier des armes. Il n’avait sans doute jamais rêvé d’être sur le devant de la scène avant le 21 mars, quand une mutinerie lui a permis de prendre le pouvoir. Le rêve a duré pendant quelques jours avant d’être brisé par les pressions conjuguées de la communauté internationale et d’une partie de la société malienne. Le capitaine Sanogo est parvenu à résister aux chants de sirènes, à se retirer de la scène pour regagner les coulisses et veiller sur le bon déroulement des opérations selon le plan de l’accord-cadre. Et malgré ses dénégations, certains affirment qu’il a trouvé en Cheick Modibo Diarra son homme lige. Mais ce qui est sûr c’est que le capitaine Sanogo tient au maintien de ses représentants dans le gouvernement et pourrait diriger le nouveau comité de réforme des forces de défense et de sécurité. En revanche, personne ne connait son opinion sur le maintien ou non de Cheick Modibo Diarra à la primature. Or son mot a toute son importance, pris en otage par les forces armées et de sécurité qui attendent des retombées de leur coup de force.
Quant aux deux autres, ils se sont déjà exprimés : le Premier ministre devant les deux chaînes de télévision, dans un «baroni» à la ATT ; le président de la République dans une adresse radiotélévisée à la nation.
Cheick Tandina