Le 22 septembre 1960, le Mali accède à la souveraineté nationale et internationale. Les pères de l’indépendance à l’époque avaient conscience des enjeux géopolitiques. C’est pourquoi, ils se sont consacrés d’abord à la création d’un Etat moderne à l’intérieur des frontières issues de la colonisation. Cette option était dictée par les incohérences du découpage colonial, incohérence qui faisait planer des risques de désagrégation de nos jeunes Etats indépendants.
On avait pourtant bien démarré en mettant un accent particulier sur les facteurs fédérateurs. Les autorités à l’époque eurent recours aux historiens pour exhumer notre passé partagé et partageable. C’est de l’histoire officielle diront les détracteurs, mais une histoire qui a eu le mérite de donner à chaque citoyen un référentiel à partir duquel il peut se glorifier. Du Wagadou à Ségou en passant par le Manding, le Songhaï, le Kénédougou et le Macina, chaque malien a eu son héro. Le retour aux valeurs culturelles partagées se justifiait par le fait que ceux qui composaient le Mali à l’indépendance étaient les descendants de ces héros qui successivement avaient dominé le Bilad al Soudan.
Dans la vie pratique, nos dirigeants, toujours dans le souci de fédérer nos populations, ont utilisé de précieux outils au nombre desquels l’école, l’armée, les semaines et biennales artistiques, la radio nationale et le mouvement du personnel de la fonction publique. A travers ces outils, les jeunes du Mali se sont connus, aimés et se sont acceptés. Du Folona aux salines, du Guidimaka au Dindi, ils ont pris conscience de la communauté de destin qu’ils avaient le devoir de préserver. Les cousinages à plaisanterie qui obligent le Maïga du Gabero et le Coulibaly du Siadougou à s’accepter dès leur première rencontre et à devenir parent, le mariage inter ethnique sont entre autres facteurs qui viennent consolider cette volonté de vivre ensemble. La réussite de cette politique de fusion des esprits et des cœurs reposait aussi sur l’engagement patriotique des dirigeants d’alors qui avaient un sens élevé de l’Etat malgré tout ce qu’on pourrait leur reprocher. Ils avaient érigé en règle de conduite des valeurs comme le travail, le respect de la chose publique, le refus de la fatalité. Ils avaient tourné le dos à l’argent facile et au faire valoir.
Le désordre de 68.
“Rien de ce qui touche à la politique ne relève du hasard ! Soyons sûrs que ce qui se Passe en politique a été bel et bien programmé !” cette citation de F.D.Roosevelt pourrait résumer ce que nous vivons au mali et s’étendra à d’autres voisins
Pourquoi sommes nous tombés si bas au point de tendre la main à ceux-là qu’on avait 52 ans plutôt chassés ? Pour y répondre il faudra remonter au coup d’Etat de 1968. Des militaires font éruption sur la scène politique avec comme mission « de redresser l’économie et de retourner dans les casernes dans un délai de 6 mois ». Dans leur argumentaire ils vouent aux gémonies l’ancien régime. Avaient-ils raison ou pas ? Là n’est pas notre propos. Mais ce qui est sûr ils n’ont jamais respecté leur engagement de soldat, pire ils ont été à l’origine du grand désordre dans lequel le pays fut plongé pendant 23 ans avec la bienveillance et l’accompagnement de ceux qui veulent réduire l’Afrique au rang de pourvoyeuse de matières premières, d’enfants soldats.
En effet l’option prise par beaucoup de pays africains au moment des indépendances et qui consistait à bâtir des Etats modernes à la sueur des fronts n’était pas bien perçue sur la rive de la méditerranée. La réussite d’une telle option remettait en cause toutes les théories paternalistes et les bienfaits du fait colonial. Le développement des anciennes colonies compromettait dangereusement celui des anciennes puissances métropolitaines dont les économies reposaient essentiellement sur la prédation des ressources primaires du continent. La recolonisation du continent devrait passer alors par ces élites africaines enclines à tout donner à l’ancien maître à la condition de rester au pouvoir.
Pour mettre en œuvre cette stratégie on aura joué à l’interne comme à l’externe sur les clivages sociaux, ethniques, régionalistes ou religieux. C’est dans ce contexte qu’il faut situer la kyrielle de coup d’Etat qui ont détourné nos pays de leurs objectifs de développement et dont l’écrasante majorité a été conçue et coordonnée par l’extérieur. Le Mali n’a pas échappé. Si la ferveur nationaliste a toujours habité certains artisans du coup d’Etat de 1968, force est constater que l’œuvre a plutôt servi ceux qui voient d’un mauvais œil le développement du Mali. Elle a propulsé au devant de la scène des individus illégitimes qui étaient plutôt préoccupés par leur maintien aux affaires que par un quelconque développement. Vivant toujours dans la psychose d’un éventuel retour du premier régime, les maîtres d’alors ont jeté leur dévolu sur la campagne de médisance, de délation et sape intégrale de tout ce qui pouvait constituer d’acquis positifs. Quel gâchis ! L’élite consciente fut dans l’œil du cyclone de la fameuse sécurité d’Etat dont la seule évocation fait trembler. Entre temps la corruption rampante perceptible depuis les derniers instants de l’ancien régime a eu le temps de gangrener le corps social. Comme une pieuvre elle a développé ses tentacules dans toutes les sphères de la vie politique, économique, sociale et culturelle.
En fragilisant le chef qui dans l’imagerie populaire doit être le bon exemple, la corruption a érodé progressivement le sentiment d’appartenance à une nation. Le Mali venait de pactiser avec le diable en ses faisant inviter à sa table. La religion du diable repose sur le culte de l’argent facile. Tous les moyens sont bons pour y accéder car la fin justifie les moyens. Les concepts de droit, de morale doivent obéir à cette logique pour se conformer aux vœux du nouvel ordre économique mondial de l’argent roi. Tous ceux qui essaient de s’y opposer en prenant fait et cause pour les peuples ont vu leur élan brisé et souvent de façon tragique.
Le grand sommeil
Le régime militaire après 23 ans a montré ses limites jusqu’à ne plus être en mesure de garantir l’espoir. Une révolution populaire a fini par le faire partir du moins par le décapité car en réalité le processus révolutionnaire a vite été récupéré par les malins sous le label de la démocratie. Le général président, secrétaire général du parti Etat et quelques uns de ses proches ont été vilipendés comme les seuls coupables du mal malien. Les autres qui doivent tout à leur système n’ont fait que changer de veste pour se préserver contre le procès, pire ils ont envahi en plein poumon le nouveau directoire de l’Etat.
La démocratie de façade autorisant le multipartisme intégral et tous les autres gadgets en termes de liberté publique et privée n’a fait qu’endormir la conscience populaire sur les vrais enjeux de développement du pays. Pour épater l’opinion on procédera alors à des solutions à l’immédiat sans lendemain. Derrière les infrastructures réalisées et inaugurées avec grande pompe se cache des malfrats de tout acabit. Depuis la conception des Tdr jusqu’à la notification du marché, il faut pisser sous la table comme aime le dire le malien moyen. Les grands programmes ont contribué dans l’écrasante majorité des cas à créer une bourgeoisie locale sur les ressources publiques. Celle-ci pour préserver ses prébendes va infiltrer le système politique en s’attaquant d’abord aux contre poids. Les opposants politiques finiront par devenir des composants au nom d’un consensus qui par principe est aux antipodes de la démocratie. La presse qui devrait être du côté du peuple ne répond à l’appel de ce dernier car devant préserver ses liens avec la haute finance.
Au lieu de critiquer, d’éclairer, elle a plutôt accompagné le mensonge, la corruption avant d’y laisser ses plumes au plan moral. Pour se maintenir en vie, elle joue à l’épouvantail et au chantage. Le peuple n’ayant plus de bras armé fait semblant d’accepter le fait accompli. Il tombe dans le fatalisme entretenu par nos dirigeants. Ceux-ci ne croyant plus à un quelconque développement, notre pays trouvent toujours des boucs émissaires pour justifier leur incompétence ou tout simplement évoque le créateur qui l’aurait voulu ainsi. Dans ce sommeil profond entretenu par les grands médias, ceux qui n’avaient jamais somnolé ont continué à renforcé leur position. Les voleurs ont continué a volé de plus bel, ils vont jusqu’à payer le verdict avant le procès. L’autorité de l’Etat s’effrite et aucun dirigeant n’est à l’abri du lynchage sauf s’il n’est pas protégé de en haut en haut.
Les oligarques qui se sentent à l’étroit dans les frontières actuelles, veulent des espaces plus étendus à cheval sur plusieurs États. Les chasseurs de matières premières, par souci de mieux profite, arment des rébellions au moyen desquelles ils pourront obliger les États, si État il y a, à accepter leurs conditions. Comme le Mali a passé près de 20 ans à détruire sa jeunesse, à négliger ses questions de défense, il est devenu une proie facile. Nous ne devront donc nous en prendre qu’à nous-mêmes.
M Sylla
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