Entamé timidement dans l’après-midi du mercredi 16 septembre le éniéme putsch de l’histoire du Burkina Faso s’est concrétisé hier, jeudi dans la matinée. Le général Gilbert Diendéré a repris les rênes du Burkina Faso. Nommé président du Conseil national de la démocratie (CND), qui avait pris en otages Michel Kafando et Isaac Zida la veille, l’ancien bras-droit de Blaise Compaoré fait face à l’opposition de la population, de la société civile et de la communauté internationale.
Le coup d’État a désormais un visage : celui de Gilbert Diendéré. L’ex- bras-droit de l’ancien président Blaise Compaoré a été nommé jeudi 17 septembre dans la matinée à la tête du Conseil national de la démocratie (CND). Ce dernier, composé d’hommes du Régiment de sécurité présidentiel (RSP), avait pris le pouvoir la veille, en prenant en otage une partie du gouvernement, dont le président de la transition, Michel Kafando et son Premier ministre, Isaac Zida, déclarés démissionnaires.
«Nous sommes passés à l’acte pour empêcher la déstabilisation du Burkina»
Les deux anciens leaders de la transition sont, au soir du 17 septembre, toujours détenus par les hommes du RSP. ” Ils vont bien et seront relâchés “, a toutefois déclaré Gilbert Diendéré à un confrère. Affirmant ne pas faire front avec le Congrès pour le progrès et la démocratie (CDP) ou avec Blaise Compaoré et expliquant être intervenu afin d'” empêcher la déstabilisation du pays “, le président du CND a assuré vouloir organiser des élections, en accord avec les forces politiques burkinabè. ” Mais nous devons d’abord nous concerter “, a-t-il expliqué.
La situation reste toutefois extrêmement confuse. Chérif Sy, président du Conseil national de transition, pourtant dissout par le CND, a ainsi annoncé qu’il prenait la tête du pays en attendant la libération du président Kafando. Il tente ainsi de s’opposer à la prise de pouvoir de Gilbert Diendéré, et demande aux ” chefs d’État-major des armées de prendre toutes les dispositions pour arrêter cette forfaiture “. L’armée dite ” régulière “ n’a toutefois pas encore pris parti.
Désobéissance civile
Les principaux leaders politiques, réunis en concertation dans l’après-midi, ont quant à eux appelé ” tout le peuple burkinabé à la désobéissance civile jusqu’à la libération sans condition du président Kafando, du Premier ministre Zida et des autres membres du gouvernement “. Ils ont par ailleurs ” exigé le rétablissement du fonctionnement régulier des institutions dans les plus brefs délais ” et réitéré leur ferme attachement à la tenue effective des élections le 11 octobre 2015.
Manifestations citoyennes
Dans plusieurs quartiers, à Ouagadougou comme dans le reste du pays, à Bobo Dioulasso ou Fada N’Gourma, les habitants ont tenté de se rassembler, malgré le déploiement du RSP, qui a parfois tiré à balles réelles. Des manifestants ont ainsi incendié le domicile de Gilbert Diendéré, dans son village natal de Yako, tandis que d’autres ont saccagé le domicile, en construction, de l’actuel président du CDP, Eddie Komboïgo. Le siège du CDP à Bobo Dioulasso a lui aussi été attaqué, en représailles au coup d’État.
En fin de journée, alors qu’une tempête s’abattait sur Ouagadougou, il était difficile d’obtenir un bilan humain clair de ces deux journées au Burkina. Il y aurait toutefois au moins six morts et soixante blessés, selon une journaliste présente à l’hôpital de Ouagadougou. Le Collectif des femmes pour la défense de la Constitution, comme le Balai citoyen, évoquent quant à eux une dizaine de personnes décédées.
Si la plupart des chefs d’États africains sont restés silencieux, en dehors de Boni Yayi et de Macky Sall, qui ont fermement condamné le coup d’État, la présidente de la Commission de l’Union africaine (UA), Nkosazana Dlamini-Zuma, n’a pas manqué de prendre la parole. Elle a partagé sa ” ferme condamnation de cet enlèvement injustifiable et la séquestration continue des responsables de la transition, qui constituent un acte terroriste à tous égards, ainsi que de la tentative inacceptable de remise en cause totale de la transition engagée au Burkina Faso “.
L’UA a par ailleurs «rejeté comme nulle et de nul effet» l’annonce par des militaires de la ” destitution ” du président Michel Kafando et la prétention de lui substituer de “ nouvelles autorités “ “. La Cedeao, l’Union africaine et les Nations unies ont également publié un communiqué condamnant le coup d’État ” avec la plus grande fermeté “ et exigeant que “ les forces de défense et de sécurité se soumettent à l’autorité politique et dans le contexte actuel aux autorités de la transition “.
La Maison blanche et la présidence française ont également fustigé le coup de force du RSP et de Gilbert Diendéré. “ Le contingent militaire français présent au Burkina Faso, fort de 220 soldats des forces spéciales qui participent à l’opération antiterroriste Barkhane au Sahel, n’a pas à interférer “, a cependant déclaré à la presse François Hollande.
Bruno D. SEGBEDJI
Plus de 85 coups d’Etat en 55 ans d’indépendance du continent!
L’Afrique détient le triste record des coups d’Etat de ces cinquante dernières années. Le putsch que le Burkina Faso vient de connaitre, après le renversement populaire du régime de Blaise Compaoré, le 30 octobre 2014, interroge sur les facteurs explicatifs de ces pronunciamiento. Au delà de contextes particuliers qui conduisent à cette intrusion violente des hommes en armes dans le fonctionnement des Etats, il convient d’abhorrer catégoriquement ce phénomène source d’instabilité chronique pour de nombreux pays, pour des régions entières et pour la sécurité de tout un contient. Et pour le cas actuel du pays des hommes intègres, nul ne doute que les ingrédients d’une implosion (à désamorcer rapidement) sont à nos portes !
Le ” coup de poignard “ burkinabé d’hier dans le cœur de la démocratie africaine suscite l’émoi et des appréhensions au sein de l’opinion. A trois jours de l’ouverture de la campagne électorale pour la présidentielle du 11 octobre 2015, Gilbert Diendéré et ses hommes du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP) se sont faits violemment entendre pour la quatrième fois en une année.
Quelles que fûssent les ” erreurs porteuses d’exclusion” que la CEDEAO et des chancelleries occidentales aient pu reprocher aux autorités de la transition, l’on est en droit de se demander si le renversement brutal de la marche vers la démocratie est la solution. N’est-ce pas plutôt une boîte à pandore ouverte dans la marche du pays des hommes intègres ? Des indices le font croire, vu l’allure que prennent les événements, avec des trois morts et plus de soixante blessés d’hier à Ouagadougou…
En outre, le déroulé du putsch, qui a commencé par une prise d’otage des plus hautes personnalités de la Transition en plein conseil des ministres, laisse croire que l’événement a été soigneusement préparé. Et la personnalité de Gilbert Diendéré, l’ex-chef d’Etat major particulier de Compaoré conforte l’idée un retour à Ouaga de l’ancien homme fort du palais de Kosyam par les armes. Et dire que l’ex-homme fort du Burkina a été exfiltré le 30 octobre 2015 avec l’aide de la France. D’où des interrogations sur l’éventuel rôle joué par Paris dans ce nouveau putsch. Ceci, dans la mesure où le grand soulèvement populaire de rejet des putschistes que l’on pouvait redouter ne semble pas être au rendez-vous.
Entre 80 et 85 coups d’Etat réussis
Il faut toutefois rappeler que le continent africain enregistre entre 80 et 85 coups d’Etat “ réussis ” au cours des cinq dernières décennies. Ce chiffre cache évidemment de nombreuses tentatives plus ou moins abouties (tel que le coup d’Etat ” air-air “ contre Hassan II en août 1972 au Maroc). Le Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique, a ainsi connu huit coups d’Etat entre 1966 et 1993, dont certains se sont succédé au cours d’une même année… Le Ghana a aussi enregistré cinq putschs en l’espace de quinze ans (le dernier datant de 1981), autant que les Comores et le Burundi.
L’Afrique de l’Ouest est la région du continent ou se concentrent ces changements brutaux, même si certains pays ont en été épargnés. Le Burkina-Faso (6 coups d’Etats, entre 1980 à nos jours), le Niger (4) ou encore la Guinée Bissau (3) s’ajoutent à ceux déjà mentionnés au Nigeria et au Ghana, en plus d’autres pays dans lesquels ce phénomène a été plus ponctuel.
Selon le politologue algérien Nacim Kaid Slimane, ce triste tableau doit néanmoins être nuancé par le fait que malgré la médiatisation et l’impact important qu’ont des coups d’Etats plus récents (tel que ceux intervenus en Guinée en 2008 ou 2012 au Mali, les deux derniers au Burkina Faso) la tendance qui consiste à destituer un chef d’Etat par la force est à la baisse. Neuf coups d’Etats ont été effectués ces dix dernières années (en Mauritanie, Niger, Madagascar, Guinée, Togo, Guinée Bissau et Centrafrique), contre 14 au cours des années 1990, 19 dans les années 1980 et 26 dans les années 1970, qui ont constitué “ l’âge d’or “ des coups d’Etats en Afrique…
Facteurs aggravants des putschs
Les auteurs de coups d’Etat, qu’il ne faut jamais encourager, justifient le plus souvent leur acte par des arguments difficiles à défendre et annoncent vouloir “ restaurer la démocratie et remettre le pouvoir au peuple “. Ironie du sort que d’interrompre un processus pour le restaurer quelques mois plus tard !
Tout d’abord, la concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne ou l’exclusion de certains acteurs sociopolitiques majeurs de la nation rend d’une part plus difficile un changement institutionnel par des moyens légaux, d’autre part, rend plus réaliste une prise de pouvoir ” physique “, dans la mesure où le régime repose entièrement sur une seule tête qu’il suffirait d’isoler ou d’éliminer. La faiblesse des Etats dans nombre de pays africains, la légitimité réduite de leurs institutions et la faible cohésion nationale qui les anime sont bien évidemment des facteurs aggravants. En outre, les facteurs externes, régionaux et internationaux, ont joué un rôle plus au moins directs dans de nombreux coups d’Etats.
Si, dans le cas du Mali, la situation qu’a connue la Libye et la circulation des armes dans la région ont servi de catalyseur, d’autres coups d’Etats ont pu être directement inspirés, voire dirigés depuis l’étranger.
Il est difficile d’expliquer pourquoi certains pays connaissant les mêmes conditions socio-économiques et le même contexte historique ne connaissent pas le même degré d’instabilité. Néanmoins, il faut noter qu’un coup d’Etat ne renverse pas uniquement un dirigeant donné, mais fait entrer le pays dans un cycle d’instabilité qui peut durer des décennies.
L’histoire a montré qu’un dirigeant arrivé au pouvoir par la force a plus de chance de se faire à son tour destituer par la force, même bien des années plus tard. ” Qui règne par l’épée périra par l’épée “, proclame la sagesse religieuse. Bruno D. SEGBEDJI
1- Coup de poignard dans le cœur de la transition au Burkina Faso : Le système Blaise Compaoré signe son retour au palais de Kosyam…
2- Douche froide…Les qualificatifs se succèdent…
…Le BFaso rate le coaching pour la seconde fois…
En mettant brusquement une fin à la transition en cours, le RSP dirigé par celui que l’on appelle couramment homme de l’ombre, le Grl Gilbert Diendéré, le BFaso vient de renouer une fois de plus avec ses vieux démons de « putschisme ». Tour de prestidigitation métaphysique sans pareil ! Quand le treillis se mêle de la politique, la rue, la masse populaire, le peuple voire sa démocratie renoncent à leur prétention. Or le destin du BFaso se joue désormais dans cette pitoyable comédie de bonneteau ontologique dont le RSP joue le jeu et le vit à un haut niveau!
En effet, pour comprendre le phénomène, il faut remonter dans l’histoire des coups d’Etats dans ce pays, qui, sans l’air de rien, devient le pays de la sous région, avec la Mauritanie, ayant opéré le grand nombre de coup de force civile (2) ou simplement militaire (4) :
1- Janvier 1966 : Maurice Yaméogo est renversé par une manifestation pacifique organisée par les forces vives de la nation, elles même dirigées par les syndicats, la chefferie dite traditionnelle et le clergé…
2- 25 Nov. 1980: Le Col. Saye, Ministre des Affaires Etrangères, renverse par un coup d’État militaire son Président Aboubacar Sangoulé Lamizana…
3- Août 1983 : Cpt. Thomas Sankara, Premier ministre, et accompagné de B. Compaoré, J. Baptiste B. Lingani et H. Zongo, G. Diendéré, renverse par un coup d’Etat militaire le Président Saye Zerbo…
4- 15 Nov.1987: Cpt. Blaise Compaoré renverse à son tour par un coup d’Etat militaire T. Sankara, coup dirigé par G. Diendéré…
5- Déc.2014 : Manifestations organisées par les forces vives de la nation dirigées par les syndicats et partis politiques chassent B. Compaoré du pouvoir…
6- Sept.2015 : Grl. Gilbert Diendéré destitue par un coup militaire les autorités de la transition…
Ce récent coup, qui nous intéresse, est loin d’être anodin tant par son acteur et le rôle de celui-ci, parce qu’ayant participé directement ou indirectement dans trois coups d’Etat dans ce pays. Le paradoxe qu’il a conjugué, celui de militariser le régime tout en tenant l’armée en laisse. Le RSP, sous la direction de G. Diendéré, est demeuré longtemps une armée entièrement à part, avec des règles de fonctionnement et de hiérarchie inconnues dans une armée ordinaire. La confiance du boss primait le grade, et l’appartenance au RSP donnait tous les droits, y compris celui de tancer des gradés. Les implications du Régiment dans bien de d’assassinats, du journaliste N. Zongo par ex, de séquestrations comme Norbert Tiendrébeogo (Pdt. Front des Forces Sociales) ou d’autres disparitions comme celles de J-B. Lingani, Henri Zongo, Sergent Moussa Kaboré (suicide en prison), démontrent sans aucune ambigüité une certaine preuve du caractère d’impunité et froid inné à ce corps, qui brutalise toujours les consciences populaires!
La brutalité qu’elle confirme avec cette nouvelle rupture brusque de l’ordre institutionnel a-t-elle cette fois ci dépassée le Rubicon ? Jusqu’à quand le peuple du Faso se relèvera de ce coup de massue sur la tête ? Rien n’est moins sûr au vu et au su de la détermination des nouveaux acteurs, de leur chasse poursuite et intimidation contre de la population.
Tout compte fait, les évènements actuels au Pays des Hommes Intègres rappellent un déjà-vu dans l’histoire de ce pays, lorsque toute l’Afrique et en particulier le BFaso assistaient, comme au Mali de 1991-2012, à la jetée de l’enfant avec l’eau du bain puisée dans la référence Sankariste de 1983
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