Mais, au fait, qui n’est pas corrompu ou corruptible dans ce pays ? Disons-le franchement, la corruption ne se cache plus au Mali. Elle est devenue arrogante. Elle parade les produits de sa rapine qui vont de la villa luxueuse à l’onéreuse limousine ou à la dispendieuse vie offerte à la famille en Occident. Elle n’a pas de morale. Elle frappe la veuve et l’orphelin. Elle dépouille également l’Etat, la commune, le vieux retraité, la marchande, le paysan, l’enfant de la rue…
Demandez donc qui commet ces ignobles actes de corruption. L’interlocuteur, sans faute, pointera le doigt accusateur vers son voisin qui possède cinq villas, trois véhicules V8 et a envoyé ses enfants faire des études à l’extérieur. Mais lorsqu’on pointe un doigt vers son voisin, les quatre autres sont toujours dirigés vers soi-même. En réalité, on ne montre le voisin souvent que pour dire : « il a plus de richesses que moi». Car la société a plus de considération pour ce voisin. Lorsqu’ils sont de la même famille, ce voisin, ce frère est considéré comme le fils prodige. Soit ? « Oh ! Non, pas moi ». Le montreur de voisin, dans son esprit, lui ne fait que se « débrouiller », il ne cherche qu’à « arrondir les fins de mois ». Expressions bien obscures. Elles indiquent en réalité que lui aussi, comme bien d’autres, est à la recherche de revenus supplémentaires. Dans cette course effrénée vers le bien-être, les uns feraient-ils de la corruption et les autres pas ?
Soyons clairs ! La corruption est d’abord le fait de gens qui disposent d’un pouvoir et d’une autorité. Ils ont certainement fini par installer un système dans lequel la règle est l’impunité. Dans ce climat, même le citoyen ordinaire cherche à se «débrouiller» en imaginant que l’impunité peut aussi être pour lui. On met plus souvent le petit comptable en prison pour se donner bonne conscience que le ministre qui roule en carrosse. La corruption a aujourd’hui largement gangrené le tissu social, notamment dans sa forme la plus pernicieuse, pudiquement appelée « débrouillardise». Elle a atteint toutes les catégories sociales, toutes les couches sociales, toutes les classes sociales. La « petite » corruption, petite en raison du fait qu’elle porte sur des montants peu élevés, est devenue un fait banal, une pratique presque « normale » de nos jours. Elle fait désormais partie des mœurs de la cité.
Le « prix de la cola », s’inspirant de la tradition de courtoisie à l’égard des aînés, est devenu un moyen de s’assurer les faveurs de l’administration. Il permet d’accélérer la procédure, d’éviter un rejet, d’obtenir rapidement la signature requise. Parfois, il occasionne des entorses à la règlementation et à la loi, la falsification des dossiers. Son montant varie en fonction de l’importance du service sollicité. La crise économique et sociale généralisée, les bas revenus, les salaires insuffisants, la quête difficile du pain quotidien ont transformé cette civilité des temps anciens en un moyen d’obtention voire d’extorsion de ressources «complémentaires». Sa banalisation en a fait une pratique presque anodine. Le « prix de cola » est devenu presque une institution. Point besoin de le réclamer, il est désormais une exigence, un dû. Sa monétarisation de plus en plus accentuée a profondément bouleversé la mentalité des populations. Il s’est désormais inséré dans l’inconscient collectif et certainement pour longtemps.
La petite corruption a radicalement changé la mentalité populaire. La perte du sens des valeurs, la dureté des conditions d’existence, l’effritement de la solidarité familiale, le relâchement des mœurs, ont gravement entamé le crédit moral de la société. Le processus de marchandisation globale a brisé toutes les autres considérations. Tout est devenu vendable et achetable. Si la petite corruption s’est généralisée, la grande, reste concentrée surtout au niveau des élites. Si la petite corruption concerne des montants peu élevés, la grande fait rêver, au regard de sommes faramineuses en jeu. Si la petite se nourrit de la grande, cette dernière sape les fondements mêmes de l’économie nationale et met, par conséquent, en danger toute la communauté.
En tout cas, notre pays ne mettra fin à ces pratiques qu’à travers l’éducation nationale où nous pourrons former “des citoyens nouveaux”. Il est triste de noter que ce n’est pas pour maintenant malheureusement.
Sambou Sissoko