Au Mali, la corruption a atteint son sommet. Elle s’opère à travers plusieurs modes. Du favoritisme, de la pratique des commissions (les fameux 10%), de la régularisation de l’irrégulier quand les dossiers demandés ne sont pas complets pour obtenir un service ; à la manipulation des registres normatifs et réglementaires pour échapper aux contrôles. Aux fausses déclarations pour lesquelles les agents obligent explicitement l’usager à acheter le matériel utilisé pour le service. Aussi, le dédoublement de fonction quand un agent oblige un usager à mener affaire avec sa propre entreprise. Et surtout la personnalisation des relations avec un agent prêt à intervenir en faveur du citoyen à tout moment.
La pratique de la corruption au Mali n’est pas un fait isolé. Elle tend de plus en plus à se généraliser. Après les différents rapports des structures spécialisées pour lutter contre le fléau, la CNDH vient à son tour de lever le voile sur le phénomène. Lequel phénomène qui est, dit-on aujourd’hui, systémique. Avec des acteurs dans toutes les structures publiques, parapubliques et privées. Et présents à toutes les échelles des institutions et structures et dans toutes les catégories socioprofessionnelles.
La corruption est plus visible dans certains secteurs que d’autres. Parmi les plus spécialisés, le rapport épingle la justice, l’éducation, la santé, la politique, les administrations fiscales et économiques, les institutions privées (banques, entreprises privés, etc.…), les institutions d’aide au développement (agences, ONG nationales et internationales), les institutions financières, les services de répression (police, gendarmerie, garde, eux et forets), les services de contrôle (impôts, affaires économiques, inspections etc.…). Aussi, les organisations paysannes (AV, fédération paysannes coopératives).
Des conséquences fatales pour l’avenir du Mali
Au regard de l’aggravement de la situation dont fait état la CNDH, il faut s’entendre tôt ou tard, au Mali, à des révoltes ou des conflits sociaux. Surtout que la corruption a des conséquences sociales, économiques et politiques. Sur le plan social, la marginalisation et l’exclusion règnent dans notre pays. Les citoyens n’ayant pas les moyens de corrompre pour l’accès aux services essentiels de base sont écartés de facto. Cette situation est le jeu favori dans les services maliens. A cela, il faut noter la marginalisation et le mépris à l’égard des agents publics honnêtes et intègres. Ceux-ci sont traités d’asociaux, de méchants et d’égoïstes.
Par ailleurs, des usagers qui refusent de corrompre les agents publics sont confrontés à d’énormes souffrances. Entre autres, l’anémie sociale, la dévalorisation du travail, la fuite des cerveaux et le règne des médiocres, et la glorification des corrompus.
Sur le plan économique, notre pays est confronté à de sérieuses conséquences suite à la corruption. Des pertes de revenus énormes pour le développement du pays. Sur l’exercice 2002, on évalue le coût de la corruption sur les fonds directement gérés par le gouvernement à 98,603 milliards de F Cfa soit 4,6% du PIB de l’année. Causant du coup des impacts négatifs sur la croissance et l’efficacité économique. Avec à la clé le détournement des ressources nationales vers des objectifs autres que ceux du développement. Ce faisant, elle (corruption) perpétue à long terme le sous-développement. Elle permet l’enrichissement illicite de certains agents. Toute chose qui démoralise les meilleurs travailleurs.
Aussi, la corruption crée un manque à gagner important pour le trésor public. A titre indicatif, révèle le rapport, la perte de recettes fiscales (37 Milliards) correspond à : – Sept (7) fois le nombre de bourses d’études actuelles ; – 1850 CSCOM ou écoles ; – Entre 9.000 et 12.000 ha de terres aménagées {l’Office du Niger ; – 41, 5 % de la masse salariale payée par l’Etat la même année.
En outre, l’une des conséquences de la corruption est l’alourdissement de la dette et frais d’entretien supplémentaires. Des surfacturations diverses entrainant le renchérissement des coûts des projets qui alourdit le poids de la dette extérieure.
En clair, la corruption empêche tout contrôle sur la qualité des services fournis. Sur le plan juridique et judiciaire, la corruption a des conséquences. Conduisant à une justice sélective, des juges sans crédit, des justiciables sans recours juridiques appropriés et surtout la multiplication des actes de justice populaires.
Politiquement, l’affaiblissement des institutions et la menace pour la démocratie constituent en quelque sorte des conséquences de la corruption sur la politique.
Ainsi, la corruption devenant de plus en plus le mode d’accès privilégié à tous services, le citoyen ordinaire n’a plus foi en la justice de son pays. Ce faisant, il peut recourir à la justice populaire pour régler ses comptes. Ce qui est une menace sérieuse pour la paix civile.
Des solutions pour la survie de la nation
Pour ce faire, la CNDH recommande urgemment : de mettre fin à la culture de l’impunité ; de renforcer le Bureau du Vérificateur et toutes les structures de contrôle et d’inspection en vue de traiter de la corruption en amont. Et permettre de diagnostiquer les méthodes utilisées par les corrupteurs et proposer des pistes pour fermer les tuyaux.
D’autres solutions sont, entre autres, le renforcement des moyens des pôles économiques et financiers, des cours d’assisses et des chambres correctionnelles, pour une plus grande diligence dans le traitement des dossiers transmis à la justice. Il faut aussi appliquer le plan d’action national des états généraux de la corruption et la délinquance financière. Informer et sensibiliser les populations sur les méfaits de ce fléau dans les efforts de développement et la lutte contre la pauvreté. Et en plus d’améliorer les conditions de vie des citoyens.
Oumar Diakité