Après la sortie fracassante du président du Conseil national du patronat du Mali (CNPM) contre les fonctionnaires corrompus, les langues se délient. La Cour suprême est une fois de plus sur la sellette à cause de son implication suspecte dans les marchés publics. De juteux marchés.
La sortie du président du CNPM, Mamadou Sinsy Coulibaly, le vendredi 15 mars 2019, au cours d’une conférence sur la lutte contre corruption au Mali, a été un déclic pour libérer la parole sur des réalités. Des victimes de la mafia, qui en ont visiblement gros sur le cœur mettent de l’eau dans le moulin du patron des patrons maliens. Ce dernier n’a pas hésité de dégainer contre le président de la Cour suprême, le sommet de la pyramide judiciaire malienne en la personne de Nouhoum Tapily.
Mamadou Sinsy Coulibaly qui a ainsi engagé la croisade contre le phénomène, a affirmé avoir une liste de 200 fonctionnaires corrompus, qu’il est prêt à révéler dans les jours à venir. Mais avant cette révélation tant attendue, il a secoué le cocotier en indexant Nouhoum Tapily comme “le premier fonctionnaire corrompu du Mali”.
Avant cette sortie jugée de courageuse par certains du président du patronat sur cette personnalité importante de notre magistrature, une fronde commençait déjà à s’organiser contre l’institution dirigée par Nouhoum Tapily. Des avocats noirs de colère ne savent plus à quelle justice se vouer. “A la Cour suprême, il y a tout sauf du droit”, fulminent-ils. Selon des anecdotes, dans certains contentieux portant sur le foncier ou la passation de marchés publics (deux domaines considérés comme des vaches laitières), des protagonistes ne sont contents que quand le litige est renvoyé devant la Cour suprême. “Il arrive qu’un justiciable qui gagne son procès sur tapis vert n’hésite même pas à narguer l’autre partie en faisant croire qu’il a mis sur la table des moyens colossaux”, affirme une robe noire.
En application des directives de l’Uémoa, le Mali s’est doté de l’Autorité de régulation des marchés publics et des délégations de service public (ARMDS). Elle a été créée par la loi n° 08-023/ du 23 juillet 2008 relative à l’Autorité de régulation des marchés publics et des délégations de service public. C’est un organe tripartite composé de 9 membres. Ceux-ci représentent, sur une base paritaire l’administration, le secteur privé et la société civile. L’ARMDS a pour mission essentielle de réguler le système de passation des marchés et des conventions des délégations de service public en vue d’en accroître la transparence et l’efficacité.
L’ARMDS travaille en tant qu’autorité de recours non juridictionnels. Elle peut être saisie par les institutions, organes et organisme intervenant dans la passation et l’exécution des marchés publics et des délégations de service public. Des soumissionnaires lésés peuvent aussi la saisir aux fins d’attribuer ou de ne pas attribuer ledit marché ou la convention.
L’organe de règlement non juridictionnel des différends n’est plus que l’ombre de lui-même aujourd’hui. Il nous revient que nombre de ses décisions sont annulées par la Section administrative de la Cour suprême de façon “incompréhensible”. Or, selon les dispositions de la loi, l’institution judiciaire ne peut juger ces litiges que dans la forme et non dans le fond. Selon par exemple l’article 121.4 du décret n°2015-0604/P-RM du 25 septembre 2015 portant code des marchés publics et des délégations de service public, “les décisions du Comité de règlement des différends peuvent faire l’objet d’un recours devant la Section administrative de la Cour suprême dans un délais de 3 jours ouvrables à compter de la publication de la décision, en cas de non-respect des règles de procédures applicables au recours devant le Comité de règlement des différends […]”.
Une Section dite des marchés publics
Toujours selon notre source, “la Cour suprême est tellement coutumière des faits a fini par créer au sein de sa Section administrative, une section dite des marchés publics”. Toutes ou presque les dispositions réglementaires sont foulées au pied. “La Cour suprême s’est même fait une pratique récurrente d’entrer dans le fond des dossiers des litiges de marchés publics dans le but de les annuler ou réattribuer”, a affirmé un avocat proche de l’ARMDS. Et d’ajouter, “aucune de ses injonctions n’est gratuite puisque c’est toujours pour favoriser un plus disant au détriment d’un moins disant”. Il a fait allusion à l’attribution en 2018 du marché de construction de la future grande prison en chantier à Kénioroba, (dans le Mandé) à l’entreprise générale Fodé Coulibaly et frères (EGFCF).
L’ARMDS avait relevé beaucoup de zones d’ombre, ou une sorte de délit d’initié dans ce dossier relatif à des aspects techniques qui ne favorisaient que l’EGFCF par rapport aux autres soumissionnaires. Pis encore, il y avait un écart de 4 milliards de F CFA entre l’entreprise en question et sa concurrente directe. Puisqu’il avait proposé un peu plus de 9 milliards de F CFA et son challenger environ plus de 3 milliards de F CFA. Le comité de règlement des différends a juste demandé de reprendre l’offre à cause de son opacité. Cette sentence avait été mal appréciée par le PDG de l’entreprise EGFCF qui a aussitôt saisi la Section administrative de la Cour Suprême. “La Cour lui a filé le marché contre l’avis de l’ARMDS”, témoigne notre avocat furieux.
A en croire un proche du dossier, il y a eu trop de suspicions dans cette affaire. “Le recours a été introduit, jugé et vidé en une semaine. Une procédure accélérée qu’on n’avait jamais vu avec l’implication des personnalités de la République et la mobilisation du banc et l’arrière banc du ministère de la Justice”, a-t-il expliqué.
Il a cité un autre cas concernant des ordinateurs portables de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), à la veille de la présidentielle de 2018. “Une offre également taillée sur mesure à laquelle d’autres ne pouvaient pas soumissionner puisque la publication faite dans le quotidien national était d’un caractère illisible à l’œil nu et caché dans un coin du journal. Ce qui valait une cause d’annulation. Malgré cela, la Cour a autorisé l’attribution du marché à Soprecom d’un jeune du nom de Sanogo, sous prétexte que sa commande était prête à embarquer au port”, a indiqué notre source. Seul bémol, le ministre de l’Economie et des Finances, Dr. Boubou Cissé a refusé de payer en bloquant les fonds de la Céni.
A ses dires, “ce n’est qu’une infime goûte de tous les scandales de cette Cour sur le plan des marchés publics. Vos pages ne pourront pas contenir d’autres relatifs au foncier”.
Abdrahamane Dicko