Dans une des salles prévue pour abriter la réunion d’une commission technique du parlement, une trentaine de députés de la «majorité présidentielle éclairée» attendent l’arrivée d’un ministre. Nous sommes en pleine session budgétaire et ce dernier doit défendre son projet de budget. Aux côtés des parlementaires du pouvoir (ceux de l’opposition ont boudé les travaux), mais sur un siège proche de celui réservé à son ministre de tutelle, se tient, altier, le tout-puissant Président directeur général des Ports du Sénégal (PDS), une sorte de holding publique qui coiffe les grandes et petites infrastructures maritimes existant à Ndoumbélane.
Ngagne Mbassou Tandian, un PDG tonitruant
En costume serré comme à son habitude, avec l’éternel bout de tissu rouge qui déborde de la pochette droite à hauteur de la poitrine, Ngagne Mbassou Tandian, d’apparence plutôt sympathique, est réputé froid, sans vergogne, capable d’obtenir ce qu’il désire par tous les moyens. Certains le comparent volontiers à un GAB (guichet automatique de banque) tant ses capacités à distribuer de l’argent à hue et à dia étonnent et exaspèrent. Apparemment, lui s’en moque car, aurait-il expliqué à des proches, le Président de Ndoumbélane, Son Excellence Pathé Sallazard, le soutient sans limite.
Après une demi-heure d’attente, le ministre se pointe, présente ses excuses et s’affale littéralement sur son siège. «J’arrive éreinté et sans jus, mais il faut que l’on boucle rapidement mon budget. On peut y aller», indique-t-il à ses interlocuteurs. À ce moment précis, un député demande la parole. On espère naturellement qu’il veut faire une proposition liée à l’organisation de la séance. «Monsieur le ministre, avant de débuter nos travaux, je voudrais rendre hommage à Monsieur le directeur général des Ports du Sénégal, les PDS. Si la société les PDS gère aujourd’hui l’un des ports les plus dynamiques de la côte ouest-sanfrikaine, à savoir Rakdak City, c’est grâce à notre grand à tous ici, Ngagne Mbassou. Monsieur le PDG, que Dieu vous garde et illumine vitre chemin aux côtés de Son Excellence Monsieur le Président de la République de Ndoumbélane.»
Parlementaires d’un genre particulier
Mal à l’aise et surpris par ce discours si iconoclaste, le ministre esquisse un sourire forcé, les yeux rivés sur ses dossiers. Et avant qu’il lève la tête pour mettre des yeux sur ces députés particuliers, des applaudissements fusent de tous les coins de la salle, accompagnés de jurons indéchiffrables, tout à l’honneur du PDG des PDS. Mollement, il tente d’imiter ses hôtes. Mais juste avant qu’il fasse se toucher les paumes de ses mains, un autre député s’écria sans permission : «Cher collègue, tu m’as marché sur la langue tu sais ! Mais heureusement, car l’émotion qui m’étrangle m’empêche de dire au PDG Ngagne Mbassou Tandian toute l’admiration et l’estime que cette assemblée nationale patriotique lui porte…». Autre tonnerre d’applaudissements, puis le même refrain chanté par le député qui suit sur la liste informelle des députés laudateurs.
Trois heures d’horloge plus tard, le ministre a sans doute dû oublier qu’il était venu défendre son projet de budget dans cette commission technique. Pratiquement les deux tiers des députés auront arraché la parole pour s’épancher sur ce «génie du management» et de la «tactique politique» que serait «Grand Mbassou», comme l’appellent ses militants. L’examen de son budget n’aura pas pris plus de quinze minutes aux honorables députés de la République avec qui il envisageait d’autres types d’échanges.
Acte de corruption
Après des salamalecs convenus, la salle se vide, les parlementaires emportant avec eux le secret de cette effusion sentimentale inhabituelle à l’endroit du PDG des PDS. Mais les murs savent souvent être généreux quand on s’y attend le moins. En fait, tout s’est joué avant. La veille de l’audition du ministre en commission technique, Ngagne Mbassou Tandian a fait venir chez lui une bonne vingtaine de députés. Les mêmes qui le soutiennent dans ses excentricités depuis que le Président Sallazard l’a porté à la tête des Ports du Sénégal. Après deux heures d’entretien à bâtons rompus, il leur avait explicitement demandé un soutien actif en présence du ministre. Puis, dans un cérémonial digne des plus grandes cachotteries, le patron des PDS les reçut un à un. À chacun, il remit une enveloppe de couleur saumon contenant de l’argent. Combien ? Mystère et boule de karité…
Momar DIENG