Près de quatre cent milliards de francs CFA (le tiers du budget national !) ont été volés aux Maliens. Des centaines de dossiers ont été constitués et expédiés au procureur chargés de traquer les criminels financiers. Mais rien à faire : le patron du pôle financier chargé de lutter contre la corruption et la délinquance financière dort au gaz. Au grand désespoir des citoyens et des bailleurs de fonds.
Il y a maintenant quatre ans, un journaliste d’Info Matin avait eu le malheur de commettre un article inspiré d’une pièce de théâtre. Avant que ses lecteurs ne finissent d’en prendre connaissance, le procureur de la République près le tribunal de la Commune III l’avait déjà expédié en prison pour offense au chef de l’Etat alors que ce dernier ne s’était nullement senti concerné. L’affaire dite de la « maîtresse du président », pure œuvre de fiction, venait de démarrer et Sombé Théra de s’illustrer au peu glorieux chapitre de bourreau de la liberté d’opinion.
S’il est facile de s’attaquer aux journalistes, s’il est aisé d’étaler la force de l’Etat et son pouvoir régalien face à des professionnels qui ne disposent que de leur plume et d’une liberté que leur accorde la Constitution de la République, mettre hors circuit les plus grands bandits du pays relève d’un autre registre. Et là, personne n’a vu les muscles du procureur. Et chaque année, le cycle recommence qui s’énonce comme suit : Le Vérificateur général transmet son rapport au président de la République. Il constate, avec preuves à l’appui que des dizaines de milliards ont été volés. Le dossier « est transmis à la justice » qui ne fait rien. Puis, la Cellule d’appui aux structures de contrôle de l’administration (CASCA) produit son bulletin annuel. Il est remis en grandes pompes au chef de l’Etat. On note que des dossiers suspects ont été « transmis à la justice » qui enquêtera en dormant au gaz. Et bien curieusement, toutes les enquêtes du Vegal, vilipendées sur la place publique et dénigrées seront confirmées par les experts de la CASCA. Toujours rien.
Le pôle financier est pourtant une structure étatique dirigée par un « procureur chevronné » disent les laudateurs qui ajoutent souvent le qualificatif « redoutable » à l’énoncé de ses fonctions. Le pôle dispose d’un budget de fonctionnement, de magistrats, de greffiers et personnel d’appui tous grassement payés à la fin de chaque mois par le Trésor public. Mais alors, que se passe-t-il pour que le vol, la corruption, l’impunité prospèrent à cette enseigne ?
De prime abord, on peut comprendre les objections des sceptiques qui ont toujours pensé et pensent que le Bureau du Vérificateur général était juste un gadget, un lubie budgétivore créé dans le seul but de marquer l’histoire et feindre une volonté de lutte contre la prévarication. Soit ! Et la CASCA dans ce cas ? Organisme cent pour cent gouvernemental, partie intégrante de l’appareil de contrôle de gestion ? Dira-t-on ou tentera-t-on de justifier la léthargie du pôle économique par un discrédit qui frapperait également l’équipe de Djénéba Konaté ? Certainement pas.
La seule explication qui résiste à la critique est que le procureur anti-corruption, Sombé Théra, s’est merveilleusement incrusté dans l’air du temps qui souffle sur le Mali depuis quasiment une décennie : l’impunité. La lutte contre le vol de deniers publics n’a jamais dépassé le stade du vœu pieux, du slogan ou de la boutade. Sombé ne bouge pas et ne bougera pas seul. Il sait pertinemment que toute sortie hasardeuse contre les prédateurs, sans le soutien et la caution de Koulouba serait un harakiri irréversible. En osant affronter brutalement la mafia qui dépèce actuellement le pays, il sait qu’il y laissera carrière et santé. Or, de toute évidence, personne sur la Colline ou à la Maison du peuple ne manifeste un zèle évident à couvrir le procureur qui n’a même pas été capable de nous dire qui l’a tabassé !
Comparaison n’est certes pas raison et chaque situation est fonction de son temps. Cependant, les moins jeunes de ce pays se souviennent que le général Moussa Traoré avait des positions fermes devant la concussion et la corruption et cela procurait à la Cour spéciale de sureté de l’Etat une certaine audace pour mener à terme sa mission. On a beau crier que seuls les lampistes comparaissaient, c’est une consolation par rapport à l’inaction totale. On se souvient également de la croisade anti-corruption d’Alpha Oumar Konaré avec le procureur Amadou Ousmane Touré, actuel Végal dans le rôle de Zorro. Quoi que l’on dise, le Kokajè avait produit des résultats probants. Son échec, du point de vue des condamnations fermes, ne fut que le résultat de la chienlit qui a pris racine dans notre système judiciaire ; une justice qui, de l’aveu même d’un ancien Garde des Sceaux, s’offre désormais, sur la place publique, au plus offrant et dernier enchérisseur.
Il reste encore treize mois au président Amadou Toumani Touré pour doter ce pôle financier de crocs et lâcher ses enquêteurs aux trousses des voleurs. Aura-t-il, dans son souci constant de marquer positivement l’histoire, le souci de ne pas laisser l’image d’un élu à la magistrature suprême qui s’est fort bien accommodé d’injustice et de déni de droit ? Quant au réveil de Sombé Théra, on peut toujours vivre d’espoir.
OPTION