Sixième partie de notre traduction. L’OIG nous détaille aujourd’hui par le menu les subterfuges utilisés par les prévaricateurs des Programmes Palu et Tuberculose pour « justifier » ou masquer leurs retraits de fonds. Nos spécialistes du détournement s’y révèlent être des as de l’informatique! Scannage d’en-têtes, de tampons et de signatures, rajout de lignes sur des factures. Tout était permis, y compris de maquiller des relevés bancaires au fluide correcteur.
IV. Résultats de l’enquête
L’enquête de l’OIG a constaté qu’ entre mai 2004 (peu après le début de la première subvention) et avril 2010, la direction et le personnel de gestion financière des programmes financiers et des agences d’exécution (DAF, PNLT et PNLP) – avec le soutien actif ou en connaissance de cause de DRS (Directions régionales de la Santé)et de vendeurs tiers – étaient impliqués dans le détournement, la fraude, la mauvaise gestion et autres abus d’au moins 5,2 millions USD, soit 53% des 9,7 millions USD de fonds de subventions investigués. La fraude et le détournement ont concerné 4,1 millions USD (42%) des fonds enquêtés, et les méthodes découvertes étaient: (i) le détournement frauduleux des fonds logés dans les comptes bancaires des programmes et les paiements illicites à l’agent comptable et au régisseur, (ii) la fabrication de fausse documentation justificative des dépenses, et (iii) la surfacturation et le détournement d’actifs du programme. En outre, 1,1 million de dollars (11%) des fonds étudiés ont également été perdus en violation des dispositions de l’accord de subvention, car les retraits n’étaient pas validés par des pièces justificatives et que les pratiques d’approvisionnement étaient frauduleuses. Enfin, 100 000 USD (1%) des fonds utilisés n’ont pas encore produit es résultats escomptés, comme ceux relatifs à un laboratoire pour la tuberculose qui n’est pas conformes aux normes de sécurité et est donc inutilisable. En conséquence, ces fonds ont été mal gérés.
Nb: L’enquête de l’OIG comprenait un examen des dépenses effectuées jusqu’au 31 Décembre 2009. La SEC Diarra, récemment embauchée comme auditeur financier externe, a informé l’OIG qu’elle avait trouvé des preuves de fraude, en particulier de surfacturation des biens et services et concernant les jours supposés passés en missions de supervision, dans la documentation fournie par le PNLP pour le premier trimestre 2010, après le début de l’enquête de l’OIG.
A. Fraude bancaire et au titre des dépenses
1. Fraude bancaire et détournements au niveau de la DAF
Grâce à un examen détaillé des relevés bancaires, des chèques annulés et les documents de décharge, l’OIG a identifié les éléments suivants concernant la fraude et les détournements perpétrés par le personnel de la DAF.
L’OIG a trouvé des preuves que le comptable de la DAF avait pris des dispositions pour dissimuler certains de ces détournements, en recouvrant certaines entrées des relevés bancaires avec du liquide correcteur. En Décembre 2010, l’OIG a fourni une liste détaillée de transactions bancaires illégales au responsable par intérim de la DAF, pour ses recherches supplémentaires et ses commentaires, sans aucun retour. Le chef intérimaire a informé l’OIG que la DAF avait cessé ses investigations et enquêtes internes une fois que l’affaire avait été officiellement transmise aux autorités maliennes vers Juin 2010, et donc qu’il n’avait aucune information complémentaire à fournir à l’OIG sur ces transactions.
a) Chèques falsifiés par le comptable de la DAF
En Octobre 2009, le Ministère de la Santé a attiré l’attention de l’équipe d’audit de l’OIG sur le fait qu’un vérificateur externe, qu’il avait embauché indépendamment, AE2C, avait découvert un certain nombre de chèques falsifiés par le comptable de la DAF, l’Individu A. Le ministère de la Santé avait découvert que l’Individu A avait falsifié les signatures des signataires autorisés à émettre des «chèques au porteur», sur des chèques où manquait le nom du bénéficiaire, les rendant ainsi payables à quiconque les présentait à l’encaissement. L’individu A a par la suite reconnu ce stratagème dans une confession écrite obtenue par les autorités maliennes. Globalement, l’Individu A a admis avoir falsifié 38 chèques, totalisant 140 272 467 de FCFA, de cette façon. En conséquence de ces résultats préliminaires d’enquête, le Ministère de la Santé a remboursé le montant équivalent, soit 304 000 USD, au Fonds mondial, le 4 Mars 2010.
En plus des découvertes du MoH, l’OIG décèlera ensuite d’autres chèques endossés frauduleusement par le comptable de la DAF, l’Individu A. Dans ces cas là, alors que les chèques étaient établis au nom d’une tierce personne, pour ce qui semblait être des paiements de salaires, ils étaient endossés par l’Individu A pour lui-même. L’OIG a décelé 9 cas de ce type, pour un montant total de 3 085 USD (1 468 359 FCFA). Aucun de ces détournements n’a encore été remboursé au GF.
b) Chèques émis par le personnel de la DAF et endossés par le comptable
L’enquête interne menée par le MoH (Ministère de la Santé) a révélé que, fin 2007, l’un des signataires du compte bancaire du programme, le Secrétaire Général du Ministère de la Santé, l’Individu E, avait donné pleins pouvoirs au comptable de la DAF pour effectuer des transactions sur les comptes bancaires du programme, ainsi que pour obtenir des carnets de chèques, des relevés bancaires et récupérer les chèques annulés. La dévolution de ces pouvoirs au comptable violait les principes de base de la séparation des tâches et empêchait effectivement tout contrôle fiduciaire d’être mis efficacement en œuvre. Ce fait a conduit les autorités du Mali à emprisonner et à inculper le Secrétaire général, l’Individu E, relevé de son poste fin 2009. L’OIG a appris l’Individu E aurait été libéré depuis.
Bien que les procédures de contrôle interne de la DAF auraient dû assurer qu’aucun chèque autre que ceux relatifs au paiement des salaires mensuels, ne soit émis au nom du comptable de la DAF, l’OIG a trouvé 119 chèques supplémentaires directement émis (par des personnes habilitées à le faire) à son nom ou endossés par lui. Le montant total de ces chèques est égal à 352 609 USD (167 842 258 FCFA). La DAF a été incapable de fournir la documentation justificative des dépenses liées à ces retraits, qui ont constitué plus de 67% de ce montant. En outre, l’OIG a constaté 24% des montants complémentaires avaient été justifiés par des dépenses frauduleuses. Au total, l’OIG a découvert que plus de 91% des chèques tirés directement ou endossés par l’Individu A, et, au-delà, ceux qu’il a falsifiés, ont été justifiés par de faux documents ou ne l’ont pas été du tout. On peut donc raisonnablement supposer que ces fonds n’étaient pas utilisés à des fins légitimes.
c) Chèques remis par le régisseur au comptable de la DAF
L’OIG a également identifié 38 cas, totalisant USD 267 265 USD (127 218 344 FCFA) dans lesquels les chèques ont été émis au nom du régisseur de la DAF, l’Individu F (conformément au protocole établi), mais où la décharge signée indique que l’argent a été remis au comptable de la DAF. Comme dans les cas où les chèques ont été émis directement au nom du comptable, cet argent n’aurait jamais dû lui être remis et les preuves d’une telle pratique entraînent une forte probabilité que les fonds aient été détournés. En effet, 50% de ces retraits, soit 133 794 USD (63 686 094 FCFA), ont été justifiés par des documents que l’OIG a prouvé être frauduleux. Les 50% restants, 133 471 USD (63 532 250 FCFA) n’ont été justifiés par aucune documentation. On peut donc aussi raisonnablement déduire que ces fonds n’étaient pas utilisés à des fins légitimes.
d) Chèques payés au régisseur sans décharge, sans décharge signée ou avec des signatures suspectes sur les décharges
L’OIG a également identifié 72 autres retraits par chèque, totalisant 362 829 USD (172 706 656 FCFA), émis au profit du régisseur de la DAF. Ils présentaient de nombreuses anomalies, telles que des décharges manquantes, des signatures de bénéficiaires manquantes ou des signatures suspectes sur les décharges.
Parmi ces 72 retraits, l’OIG a constaté que 26 retraits, totalisant USD 217 285 (47 937 761 FCFA), ou 60% ont été justifiés par une documentation frauduleuse. En outre, 32% de ces retraits anormaux, totalisant 100 710 USD ((103 427 695FCFA), soit 28%, n’ont été soutenus par aucun justificatif de dépenses.
Le LFA a fourni à l’OIG des copies des relevés bancaires des Rounds Paludisme 4, 6 et 7 qui lui avaient été remis par la DAF au cours de ses contrôles de routine des subventions. Ces relevés bancaires portaient des falsifications évidentes: nom du comptable de la DAF, l’Individu A, comme bénéficiaire du chèque, et opérations entières supprimées manuellement en utilisant ce qui semble être du «fluide correcteur». En total, dans 24 cas identifiés par l’OIG, totalisant 195 652 USD, les relevés bancaires ont été falsifiés. De ce montant, seuls 14 chèques, totalisant 121 002 USD (93 130 686 FCFA) ont été reversés au GF dans le cadre du remboursement de 304 000 USD en Mars 2009.
2. Fraudes commises dans les dépenses
Pour 2 millions de dollars de retraits au titre des quatre subventions, l’OIG a constaté que les pièces justificatives des dépenses, prétendument fournies dans le but de prouver que les fonds du programme avaient été légitimement dépensés, présentaient en fait des signes évidents de fraude. De ce montant, 500 000 USD se chevauchent avec les cas de détournement de fonds provenant de comptes bancaires présentés ci-dessus. Les fonctionnaires du PNLT, du PNLP et de la DAF ont créé de faux documents justificatifs, comme des factures d’entreprises existantes ou fictives, sur leurs propres ordinateurs, ou en collusion avec certaines entreprises, afin de donner l’illusion d’un processus concurrentiel d’approvisionnement et de passation de contrats pour la fourniture de biens ou de services.
Les fonctionnaires ont également trafiqué des «ordres de mission» du ministère de la Santé pour des formations, des supervisions ou d’autres activités. Enfin, les responsables ont fabriqué des feuilles récapitulatives de versements de per diem, censées répertorier le personnel du programme et les participants aux formations ayant perçu des allocations alimentaires et des frais de déplacements quotidiens, en falsifiant des signatures. Les responsables du programme ont aussi tenté d’authentifier les faux documents grâce à l’utilisation de cachets qui n’auraient jamais dû être en leur possession.
L’OIG a trouvé des modèles de factures, des documents de fournisseurs frauduleux, de faux reçus et d’autres documents de «vendeurs» dans les ordinateurs utilisés par l’Individu C, l’agent de surveillance, d’évaluation et de planification du PNLT; l’Individu B, le coordonnateur du PNLT et l’Individuel A, le comptable de la DAF.
L’OIG a identifié près de 600 documents (images et fichiers Word) qui étaient des modèles de soumissions, de factures et de reçus de livraison concernant 73 fournisseurs différents. La grande majorité de ces documents ont été retrouvés sur les ordinateurs utilisés par les fonctionnaires du PNLT. Sont inclus dans ces fichiers inclus des pages vierges à en-tête d’un fournisseur, sans contenu, tampon ou signature; des soumissions d’offres sans cachet ni signature, des factures où manquent le tampon et la signature et des bordereaux de livraison de fournisseurs sans en-tête, cachet ou signature. Les ordinateurs des fonctionnaires des programmes comprenaient aussi 150 documents qui ressemblaient à des factures de fournisseurs, sans aucune information d’identification d’un fournisseur spécifique (par exemple, sans en-tête). En fait, l’OIG a été en mesure de faire correspondre ces faux à la documentation qui a été fournie comme preuve que les fonds du programme étaient utilisés pour les activités de celui-ci.
A suivre…
Ramata Diaouré