16ème épisode de notre traduction du Rapport des auditeurs et des investigateurs du Fonds mondial relatif aux détournements d’une grande partie des subventions accordées au Mali pour lutter contre le paludisme et la tuberculose. Le Bureau de l’Inspecteur Général (OIG) du Fonds mondial (GF) énumère, de façon quasi exhaustive, toutes les failles du système de contrôle, qui ont permis à certains individus de s’enrichir éhontément. Au premier rang de ces vampires, un comptable qui a été recruté alors qu’il avait déjà été condamné et emprisonné pour détournement de fonds. Ailleurs, cela aurait été rédhibitoire, mais, chez nous, cela n’a pas été du tout le cas. Pourquoi et pour quels intérêts? C’est au pool judiciaire chargé de l’affaire de nous fournir, un jour prochain nous l’espérons, la réponse à cette question!
1. Rôle et responsabilités de la DAF
La DAF était chargée de gérer les aspects financiers des subventions du GF (Fonds Mondial). Cela impliquait, pour les officiels de la DAF, de signer conjointement les chèques pour les retraits des programmes, de gérer la comptabilité des programmes, de conserver la documentation relative aux dépenses des programme et de surveiller les marchés et les contrats d’achats attribués aux fournisseurs plus importants.
2. Revues de la DAF effectuées par le GF
Le Secrétariat du GF était conscient que la DAF était carrent et ne travaillait que selon les normes établies depuis 2003. Le Secrétariat a effectué ses premières évaluations de la DAF lors de la subvention initiale attribuée au Mali pour le Round 1 Paludisme. L’évaluation initiale du fonctionnement de la DAF par le LFA (Local Fung Agent, Agent Local du Fonds) en 2003, ne comporte aucune notation (c’est-à-dire "x") de la gestion financière et des systèmes, et le LFA a noté la gestion des achats et des approvisionnements «C1». Lors de l’examen de renouvellement de la subvention Round 1 Paludisme en 2005, le GPR a relevé que la DAF, jusqu’à récemment, était «clairement inefficace dans la gestion des fonds». Durant l’été 2005, lorsque le Round 4 Tuberculose, la première subvention pour ce programme, a commencé, le GPR pour cette subvention a constaté que la DAF devait mieux coordonner son travail avec le PNLP, pour «clarifier ses procédures, afin d’améliorer la transparence financière à long terme et l’efficacité des procédures d’achat" et "exécuter des décaissements et des approvisionnements de manière optimale".
Une autre fois, en 2006, le LFA a exprimé des préoccupations concernant le fait que la DAF ait retardé des achats lors du Round 4 Tuberculose et recommandé. "Il est nécessaire que la [DAF] clarifie ses procédures internes pour améliorer la transparence financière et la bonne gouvernance dans les processus d’acquisition. Cette question est cruciale pour la réussite du programme». Le LFA a également, la LFA a souligné qu’un transfert de responsabilités de comptabilité à la DAF, qui a eu lieu en 2006, a entraîné un retard d’approvisionnement: «Depuis ce transfert de responsabilités, les procédures d’achat ont été retardées (plus de 6 mois pour acheter 20 motos, 4 mois pour sélectionner un auditeur, etc.)". Le LFA a observé en outre que la DAF "manque de transparence et que son personnel n’est pas expérimenté dans la gestion des subventions du Fonds mondial». En 2007, le LFA a noté que les retards d’approvisionnement avaient été résolus, mais «[DAF] les procédures internes sont inchangées et restent inefficaces».
En 2008, le personnel sortant du Secrétariat du GF a publié une note interne stipulant que la DAF "gérait des questions financières qui ont abouti à d’importants retards [sic], en particulier concernant les marchés [des motos] et la construction du nouveau laboratoire de tuberculose, qui a mis plus de 3 ans pour être achevé". De plus, le CCM (Country coordonating mechanism) et le Programme Tuberculose avaient formulé des plaintes au sujet de la DAF, qui ne leur fournissait pas un aperçu exact des dépenses réelles, ce qui avait pour conséquence de retarder l’accès aux financements.
Le rapport 2009 du LFA exprimait les mêmes préoccupations: «Le LFA continue de relever les difficultés rencontrées par le PR (Bénéficiaire Principal, DAF).. Les procédures internes sont inchangées et restent inefficaces, comme détaillé dans la section LFA 1D-4. A ce jour, le processus d’information financière n’est pas efficace au niveau de la DAF. Le PNLP n’a pas accès à l’information financière sur le programme en temps opportun, et n’est pas en position de soumettre son rapport d’information financière en temps voulu au Fonds mondial. Les capacités de la DAF à gérer financièrement les subventions du Fonds mondial devraient être renforcées, avec une personne dédiée à ces subventions du Fonds mondial, et / ou la responsabilité placée au niveau du PNLP, avec le niveau adéquat de dotation en personnel. Les faiblesses relevées dans la comptabilité de la DAF doivent être corrigées par un renforcement du service d’audit interne».
3. Carences dans la supervision de la DAF
L’analyse de la DAF par l’OIG révèle les carences en matière fiduciaire ci-dessous.
Le comptable de la DAF avait des antécédents de délit financier:
Dans le cadre des recommandations initiales du LFA, découlant de la revue de la subvention Round 1 Paludisme, la DAF a recruté un comptable, chargé d’exercer les fonctions de comptabilité pour les quatre subventions Tuberculose et Paludisme. Plusieurs témoins confidentiels ont informés l’OIG qu’avant d’être embauché pour le poste de DAF, l’individu A avait passé plusieurs années en prison pour détournement de fonds. Le LFA a également confirmé cette information, basée sur des conversations avec d’autres personnes à Bamako.
La DAF a failli à assurer une réelle ségrégation des tâches:
L’Individu A, comptable de la DAF, était responsable d’un large éventail d’activités, pourtant incompatibles entre elles en termes de procédures standard de contrôle interne. Il était non seulement responsable de la collecte de la documentation justificative des dépenses et de son report sur les livres comptables, mais il a également eu accès aux carnets de chèques, aux relevés bancaires et aux chèques annulés. Le manque de surveillance d’un tel individu et sa capacité à accéder à nombre d’informations a conduit à instaurer un environnement dans lequel il pouvait facilement détourner les fonds des subventions avec peu de chance d’être pris.
En effet, le Ministère de la Santé a confirmé que les chèques falsifiés par l’Individu A remontaient au moins à Août 2007, soit deux années entières avant que l’auditeur externe AE2C ne découvre les fraudes.
La DAF a failli dans ses tâches comptables élémentaires:
L’équipe de vérification de l’OIG a conclu que la DAF a traité, au sein de son système comptable, moins de 20% des 8,7 millions d’USD sous sa gérance qui ont été retirés et dépensés directement par le PNLT et le PNLP. L’OIG, avec le LFA et les vérificateurs externes, a également constaté que l’Individu A avait rarement effectué des rapprochements bancaires, une fonction de comptabilité de base, nécessaire, et même essentielle pour identifier les écarts entre la banque et les soldes des livres, pendant toute la vie de ces deux programmes.
La DAF n’a pas rempli de manière adéquate ses missions d’audit interne:
L’OIG a aussi constaté que, pendant toute la durée des quatre subventions, l’équipe d’audit interne de la DAF n’avait effectué qu’un seul audit interne (pendant la première année du cycle Round 4). Bien que les conventions de subvention n’exigent pas expressément d’audits internes, l’OIG note que, s’il y en avait eu, la possibilité existe que les fraudes aient pu être détectées et les pertes en résultant amoindries.
B. Les audits externes
1) Justification des audits externes
L’article 13 des Conditions Générales d’accord de subvention stipule: "les Bénéficiaires Principaux doivent faire effectuer des audits financiers annuels des revenus et des dépenses du programme, menés par un auditeur indépendant» et «veiller à ce que des vérifications annuelles des recettes et des dépenses de chaque Bénéficiaire Secondaire des fonds des subventions soient effectués". Le PR (Bénéficiaire principal) est responsable de la sélection "d’un vérificateur indépendant agréé par le Fonds mondial», et le PR est tenu de "fournir" les rapports d’audit «dans les six mois après la fin de la période visée par la vérification».
Les lignes directrices du GF pour les audits annuels des états financiers des Bénéficiaires Principaux (PR) et des Sous-Récipiendaires (Bénéficiaires Secondaires, SR) expliquent les objectifs des audits externes. «Ces vérifications annuelles sont des éléments importants du processus d’assurance relatif au bon usage de l’argent du Fonds mondial et pour servir de base pour la prise de décisions concernant le décaissement des fonds et le renouvellement des subventions, dans le cadre des principes du Fonds mondial de financements basés sur les performances. Les audits doivent fournir au Fonds mondial une assurance raisonnable que les fonds déboursés ont été utilisés aux fins prévues, conformément à la Convention de subvention, au budget approuvé et au Cadre de performance».
2. Des retards importants pour les rapports d’audits externes
Dès l’ouverture de l’enquête de l’OIG, le Secrétariat du Fonds Mondial lui a fourni des copies des quatre rapports d’audit externe portant sur les quatre subventions:
• Round 1 – Du 1er août 2005 au 28 Février 2007 (SOCAGIM SARL)
• Round 4 – Du 1er août 2005 au 31Juillet 2006 (SEC Diarra)
• Round 4 – Du 1er août 2006 au 31 août 2007 (SCAE)
• Round 6 – Du 1er Novembre 2007 au 31Octobre 2008 (AEC2C)
Au cours de la mise en œuvre des quatre subventions, tant le LFA que le Secrétariat du Fonds ont noté que la DAF ne s’était pas suffisamment assurée que les audits externes des subventions étaient effectués en temps opportun et en conformité avec les exigences des accords de subvention. Par exemple, le rapport d’audit pour la période se terminant le 31 Octobre 2008, relatif au Round 6 Paludisme, n’a pas été livré avant Octobre 2009, soit avec plus de 10 mois de retard. Dans un autre cas, l’audit externe du Round 4 Tuberculose, pour la période allant du 1er août 2006 au 31 août 2007, a été soumis par la DAF le 15 Octobre 2007, après un processus de consultation restreinte (ce qui veut dire que la DAF a sélectionné un nombre restreint d’entreprises pour solliciter d’elles des soumissions).
L’OIG a contacté le soumissionnaire gagnant, SCAE, qui lui a notifié (par email le 12 décembre 2010) qu’il avait soumis son offre le 25 Octobre 2007, que l’ouverture publique des plis avait eu lieu le 30 Octobre 2007 et que la DAF l’avait informé que sa soumission était gagnante le 17 Janvier 2008. Malgré cela, SCAE a rapporté à l’OIG qu’il n’avait été invité à entamer ses travaux sur le terrain que presque un an plus tard, le 15 Décembre 2008, parce que la DAF n’était pas prête et que les livres et les registres n’étaient pas dans un état dans lequel ils pouvaient être vérifiés.
Le Secrétariat du Fonds a été proactif dans le suivi des rapports d’audit en retard et pour s’assurer que les audits externes étaient réalisés et soumis au GF. Par exemple, le personnel du Secrétariat concerné a pris l’initiative d’insérer dans la fiche d’accord de subvention une condition préalable, à remplir avant la signature de la Convention de subvention pour la phase 2, imposant la présentation du rapport d’audit couvrant l’année 2 du Round 6 Paludisme. En outre, dans les Lettres de gestion correspondant aux décaissements 12 et 13, le personnel du Secrétariat a noté que tout versement supplémentaire au titre de la subvention du Round 4 TB serait suspendu jusqu’à la présentation des rapports d’audit en retard.
Bien que les directives du GF affirment que le Fonds "se réserve le droit de suspendre ses décaissements aux récipiendaires principaux ou de résilier ou de prendre d’autres sanctions contre le bénéficiaire principal, ce que permet la Convention de subvention si les comptes audités ne sont pas fournis au Fonds mondial», l’OIG n’a découvert aucune preuve d’une procédure de résiliation ou de sanctions pour cause de rapports d’audit en retard de la part de Fonds Mondial.
A suivre…
Ramata DIAOURE