Rapport du Fonds Mondial sur le Mali (1er Juin 2011) – 23 : D’autres donateurs, comme l’OMS et KNCV, cités dans des documents frauduleux…

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«Le Secrétariat doit conditionner tout nouveau décaissement à la République du Mali à un engagement total de la part des autorités nationales à poursuivre en justice toutes les parties responsables des fraudes et des malversations et à soutenir les futurs travaux du BIG menés dans le cadre de son enquête au Mali». C’est l’une des recommandations formulées dans ce 23ème et avant dernier épisode de notre feuilleton Fonds Mondial. Où l’on apprend aussi que l’OMS et KNCV (Pays-Bas), apparaissent sur des ordres de mission douteux enregistrés sur les ordinateurs de nos prévaricateurs. Ce qui laisse supposer que le Fonds mondial n’a pas été leur seule victime

 

C. Calcul des pertes

Après son enquête, le BIG a calculé que les pertes totales pour les quatre subventions du programme s’élevaient à 5,2 millions USD au moins. Il a ajouté à ce montant 606 523 USD de dépenses qui présenteraient des irrégularités ou des fraudes au niveau des procédures d’achats. Le tableau ci-dessus récapitule les différentes catégories qui ont permis de parvenir à ces montants. Un rapide descriptif de ces catégories sera ensuite proposé.

 

Catégorie 1.a ‑ Retraits bancaires suspectés d’être liés à une malversation et à la fabrication de fausses pièces justificatives

Ce montant correspond aux cas pour lesquels le BIG a constaté une activité frauduleuse tant au niveau de la transaction qu’au niveau des pièces censées justifier le retrait. Les activités frauduleuses concernant le retrait en lui-même regroupent les éléments suivants: (i) chèques falsifiés par A, le comptable de la DAF, (ii) chèques établis directement à l’ordre de A, le comptable de la DAF, (iii) chèques encaissés par le préposé aux registres de la DAF, puis remis à A, le comptable de la DAF, (iv) chèques encaissés par le préposé aux registres mais pour lesquels il n’existe aucune preuve que les fonds ont été remis au programme (doute sur l’authenticité de la signature de la quittance ou absence de quittance), (v) chèques pour lesquels les relevés bancaires ont été falsifiés. Ces anomalies bancaires ont été rapprochées d’éléments attestant que les justificatifs des dépenses étaient frauduleux, qui ont été apportés par les fournisseurs eux-mêmes ou trouvés sur les ordinateurs des personnes concernées.

 

Catégorie 1.b ‑ Retraits bancaires suspectés d’être liés à une malversation et à l’absence de pièces justificatives

Ce montant correspond aux cas de retraits identiques à ceux de la catégorie 1.a, mais pour lesquels la DAF n’a pu fournir aucune pièce justificative.

 

Catégorie 1.c ‑ Autres

Le BIG a constaté que ces retraits bancaires présentaient les mêmes anomalies que ceux enregistrés dans les catégories 1.a et 1.b, mais le niveau de preuve retenu ne lui a pas permis de les considérer comme frauduleux. Cependant, il a noté que nombre des dépenses de cette catégorie présentaient des éléments laissant fortement supposer l’existence d’une fraude. Le Ministère de la Santé a en outre confirmé le caractère frauduleux de certains de ces retraits et procédé à leur remboursement.

 

Catégorie 2 ‑ Retraits suspectés d’être liés à des pièces justificatives frauduleuses

Le BIG n’a pas relevé d’anomalies au niveau de ces transactions bancaires, mais a constaté des fraudes en ce qui concerne les dépenses prétendument en rapport avec ces retraits. Comme indiqué précédemment, selon la méthode adoptée par le BIG, si l’une ou plusieurs dépenses en rapport avec une activité étaient confirmées comme étant frauduleuses, l’activité dans sa totalité était considérée comme entachée de fraude et le retrait comptabilisé dans les pertes. Le BIG a noté que la plupart des retraits de cette catégorie ont été effectués par F., le préposé aux registres de la DAF, ou correspondaient à des paiements à l’attention des DRS locales.

 

Catégorie 3.a ‑ Surfacturation des ordinateurs et double facturation des motocyclettes

Cette catégorie regroupe les cas de surfacturation identifiés par le BIG concernant l’achat d’ordinateurs et le prix de deux motocyclettes qui a été facturé deux fois.

 

Catégorie 3.b ‑ Matériel médical acheté auprès de AKAMA SA sans avoir suivi les procédures d’achat requises (et comprenant une surfacturation grossière)

Cette catégorie comprend quatre achats distincts de matériel médical effectués auprès de AKAMA SA. Le BIG a constaté que le Ministère de la Santé avait procédé à ces achats sans avoir rempli le plan de gestion des achats et des stocks requis par le Fonds mondial. Les achats ont en outre été effectués sur la base d’un fournisseur unique, parce qu’il était prétendument urgent de se procurer le matériel. Le BIG s’est aperçu que ce n’était pas un motif plausible, étant donné que le matériel n’était toujours pas utilisé et encore dans son emballage d’origine lors de son enquête, soit plus d’un an après l’achat. Enfin, le BIG s’est rendu compte récemment que le prix payé avait été augmenté de manière grossière.

 

Catégorie 4 ‑ Autres dépenses suspectées de collusion, de fraudes ou d’autres violations du contrat

Cette catégorie regroupe les dépenses pour lesquelles le BIG a établi que le processus d’achat comportait des irrégularités ou était entaché de corruption. Elle comprend les cas pour lesquels le BIG a pu prouver que les offres concurrentes (qui n’ont pas été retenues) soumises en réponse à un appel d’offres étaient frauduleuses. Le BIG n’a toutefois pas pu prouver que l’offre retenue était fausse et n’a pu déterminer si le bien ou le service concerné avait été effectivement fourni au programme. Il est probable que les programmes aient subi des pertes dans ces derniers cas (soit en raison d’une surfacturation ou à la suite de l’absence totale de fourniture du bien ou du service attendu), mais le BIG n’a pu en calculer le montant. C’est la raison pour laquelle le montant de ces dépenses n’a pas été inclus dans le montant total des pertes.

 

Catégorie 5 ‑ Autres retraits sans pièces justificatives

Selon l’article 7a de l’Accord de subvention du Mali, «le récipiendaire principal tiendra à jour les livres comptables, les dossiers, les documents et toutes les pièces relatives à l’Accord, de manière à montrer l’intégralité des coûts qu’il aura supportés dans le cadre de l’Accord et l’état d’avancement du programme. L’Unité des Services juridiques du Fonds mondial a précisé dans une note interne du 13 novembre 2010 que «le fait de ne pas conserver ou de ne pas pouvoir fournir de pièces attestant des coûts supportés dans le cadre du programme ( … ) constitue une violation de la section (a) de l’article 13 des conditions contractuelles générales des Accords de subvention du Fonds mondial» et que le PR «peut être tenu de rembourser les fonds des subventions dont l’utilisation ne comprend pas les pièces justificatives adéquates», conformément à l’article 27 des conditions contractuelles générales. Compte tenu de ces éléments et du fait que l’ensemble des données attestent d’une fraude de grande ampleur et de malversations touchant les subventions du Mali, le BIG a inclus les retraits sans pièces justificatives dans les pertes.

 

Catégorie 6 ‑ Construction d’un laboratoire inutilisable

Comme cela est décrit précédemment dans le présent rapport, cette catégorie comprend les coûts relatifs à la construction d’un laboratoire ne répondant pas aux normes en vigueur, qui n’a pas été utilisé dans le cadre du programme depuis sa construction début 2008.

 

VII. Risques de perte pour les autres donateurs

Lors de l’enquête, le BIG a trouvé de nombreux modèles d’ordres de mission datant de 2002 à 2004, qui citaient d’autres donateurs ‑ l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et KNCV (Pays-Bas) comme source de financement. Ces documents ressemblaient à ceux que le BIG a identifiés comme étant frauduleux pour le Fonds mondial. Bien qu’il n’ait pas enquêté davantage sur ces documents, qui ne relèvent pas de son mandat, il apparaît très probable qu’ils aient été créés à des fins inappropriées.

Enfin, des preuves laissent penser que le Fonds GAVI pourrait avoir été victime des mêmes procédés que ceux mis à jour par l’enquête et décrits dans le présent rapport, et, selon la presse malienne, des responsables médicaux et des comptables de la région de Ségou ont été arrêtés pour des actes similaires fin 2010.

 

VIII. Synthèse de conclusion

Le BIG a constaté qu’entre mai 2004 (peu après le début de la première subvention) et avril 2010, des hauts responsables, identifiés plus haut, et des membres du personnel des agences chargées de la gestion financière et de la mise en œuvre des programmes, la Direction de l’Administration et des Finances (DAF), le Programme national de lutte contre la tuberculose et la lèpre (PNLT) et le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP), ‑ leurs actes étant soutenus par, ou connus de certains bureaux régionaux du Ministère de la Santé (Directions régionales de Santé, DRS), ainsi que de certains fournisseurs ‑ ont mis en place des pratiques généralisées destinées à détourner les fonds et les ressources des programmes du Fonds mondial et ont escroqué ce dernier et les programmes concernés de 5,2 millions USD, soit 53% des 9,7 millions USD des fonds des subventions examinés . Le BIG a noté que plus de 4,1 millions (42 %) des fonds sur lesquels portait l’enquête ont été perdus à la suite d’actes de fraude ou de malversation financière. Les pratiques identifiées étaient les suivantes: (i) détournement et vol des fonds des subventions par le biais de faux relevés de banque, de documents falsifiés et fictifs, de transferts non autorisés et inappropriés et de détournements, dont des versements directs au comptable, (ii) fraude, par le biais de la fabrication de fausses pièces justificatives, (iii) surfacturation et détournement généralisé des actifs des programmes, (iv) procédures d’achat entachées de collusion généralisée, et autres violations de l’Accord de subvention. Plus de 100 000 documents frauduleux ont servi à la mise en œuvre de ces pratiques.

L’enquête du BIG a en outre établi que 1, 1 million USD, au moins 11 % des montants examinés, des fonds constituait une perte violant les clauses de l’Accord de subvention du Fonds mondial, les retraits ne comportant pas de justificatifs (et ce malgré les demandes répétées à ce sujet et les nombreuses occasions de les fournir qui ont été offertes), et parce que des fonds ont été dépensés pour construire un laboratoire de la tuberculose qui demeure inutilisé et quasiment vide et ne répond pas aux normes de sécurité. Le matériel acheté pour le laboratoire est resté dans son emballage sur une étagère pendant plus d’un an et pourrait ne plus être utilisable aujourd’hui.

 

Nb: L’enquête du BIG comprenait l’examen des dépenses effectuées jusqu’au 31 décembre 2009. SEC Diarra, l’agent fiduciaire externe recruté récemment, a informé le BIG qu’il avait trouvé de nouvelles preuves de fraudes ‑ notamment la surfacturation de biens et services et la surévaluation du temps passé dans des missions de supervision ‑ dans des documents présentés par le PNLP au premier trimestre 2010, soit après le début de l’enquête du BIG.

Le BIG estime que les LFA n’ont pas assumé correctement leurs responsabilités, consistant à apporter une vision financière adaptée, et qu’ils ont fait preuve de négligence en ne décelant pas, et en n’avertissant pas le Fonds mondial et le BIG, les pratiques généralisées de facturation frauduleuse, et en ne remarquant pas les innombrables faux documents qui étaient présentés pour demander les décaissements au titre des programmes. Les LFA n’ont pas non plus identifié le risque que nombre des événements de formation financés par les programmes n’ont jamais eu lieu et étaient liés à des pratiques généralisées de facturation frauduleuse, et que de nombreux retraits effectués par le préposé aux registres et le comptable n’ont comporté aucun justificatif pendant des années. Le BIG tient néanmoins à remercier le LFA actuel pour son excellent travail de coopération et la vigilance dont il a fait preuve pour déceler des fraudes, après avoir passé du temps avec les enquêteurs du BIG pour connaître leurs méthodes en la matière.

Le BIG a relevé que les membres de l’Unité Finance n’avaient pas assumé leurs responsabilités d’administration, en ne tenant pas à jour un compte-rendu réel des activités des programmes, notamment le suivi de la mise en œuvre effective des événements financés, en ne remarquant pas que nombre des activités financées par les programmes n’ont pas eu lieu et/ou étaient suspectées d’être associées à des fraudes généralisées, des vols, des détournements, des pertes, des dépenses non justifiées et des pratiques frauduleuses, et en n’effectuant pas un contrôle adapté des PR, des sous-récipiendaires et des fournisseurs dans leurs activités liées aux programmes.

Le BIG estime que les récipiendaires principaux, le PNLT, le PNLP, et de nombreux responsables des différentes entités citées dans le présent rapport ont intentionnellement et en toute connaissance de cause provoqué la perte de montants substantiels des fonds des programmes, par le biais de fraudes, de détournements, de vols et de dépenses ne comportant pas de pièces justificatives, et qu’ils n’ont pas fourni une surveillance et une gestion financière adaptés et responsables.

Le BIG pense que l’instance de coordination nationale (CCM) a également fait preuve de négligence dans l’exercice de ses fonctions de surveillance et n’a pas effectué un contrôle fiduciaire suffisant et adapté des programmes, alors qu’elle était tenue de le faire.

Le BIG tient à saluer l’action menée par les autorités de la République du Mali et leur engagement à poursuivre en justice toutes les parties responsables des fraudes, notamment avec l’arrestation d’au moins 13 personnes, et se félicite de la coopération étroite dont elles ont fait preuve à ce jour.

Compte tenu des conclusions de son enquête, le BIG émet les recommandations suivantes.

A) Le Secrétariat doit s’efforcer de recouvrer, auprès de toutes les parties responsables d’avoir détourné les fonds des subventions du Fonds mondial, et en recourant à tous les moyens légaux possibles, toutes les pertes subies par le Fonds mondial et les programmes à la suite des fraudes généralisées, des malversations, des délits et des violations de l’Accord de subvention, tels qu’ils ont été indiqués dans le présent document, soit un montant s’élevant actuellement à 4,9 millions USD.

B) Le Secrétariat doit conditionner tout nouveau décaissement à la République du Mali à un engagement total de la part des autorités nationales à poursuivre en justice toutes les parties responsables des fraudes et des malversations et à soutenir les futurs travaux du BIG menés dans le cadre de son enquête au Mali.

 

A suivre…

 

Ramata Diaouré


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