Rapport du Fonds Mondial sur le Mali (1er Juin 2011) – 19 : Les carences de l’Agent Local du Fonds, Swiss TPH

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19ème épisode de notre feuilleton, qui vous livre désormais la version française officielle du Rapport d’enquête du Bureau de l’Inspecteur Général (BIG), datée de juin 2011. Ce sont les lacunes dans les vérifications de l’Agent Local du Fons, Swiss TPH, qui sont aujourd’hui pointées. Lisez plutôt: «Le LFA n’a pas été en mesure d’indiquer précisément quelles dépenses il avait vérifiées ni quelles conclusions il avait tirées de ces vérifications. En raison de l’absence de ces documents, le BIG n’a pu mener à bien son analyse ni savoir si Swiss TPH avait vérifié l’une des transactions frauduleuses. Si Swiss TPH avait conservé les documents appropriés, et adopté notamment un système permettant d’assurer le suivi des dépenses vérifiées, il est probable qu’il aurait pu détecter les opérations frauduleuses beaucoup plus tôt, en particulier en ce qui concerne les opérations ne comportant encore à ce jour aucun justificatif».

• À ce jour, la procédure d’établissement des rapports financiers n’est pas efficace au niveau de la DAF. Le PNLP n’a pas accès à l’information financière actualisée concernant le programme en temps opportun et n’est par conséquent pas en mesure présenter ses rapports financiers dans les délais prévus au Fonds mondial. La capacité de la DAF à gérer financièrement la subvention du Fonds mondial doit être renforcée, en affectant une personne à cette tâche, et / ou en conférant davantage de responsabilités en la matière au PNLP, en prévoyant des effectifs adaptés.

• Il convient de remédier aux insuffisances présentées par le service comptable de la DAF du Ministère de la Santé en renforçant les prestations d’audit interne

• Les dépenses liées à cette subvention s’avèrent très faibles. Comme cela a déjà été souligné, cela tient essentiellement à deux éléments: les retards survenus dans le processus d’achat et dans la construction du laboratoire national. Le PR (Bénéficiaire Principal) a résolu les conflits internes existant entre la DAF et la Division nationale de la santé (Direction nationale de la Santé, sic) et la coordination entre ces deux services s’est améliorée. Le PR doit toutefois encore résoudre la question des achats. La DAF doit impérativement clarifier ses procédures internes pour améliorer la transparence et la gouvernance du processus d’achat. Il s’agit d’un facteur essentiel à la réussite du programme. Il est vivement recommandé au PR de mobiliser les ressources nécessaires, en collaboration avec la CCM, pour parvenir à remédier à ces retards.

5. Aptitude du LFA à déceler les fraudes

Le BIG a constaté qu’il avait été remis au LFA (Agent Local du Fonds) des copies ‑ et non les originaux ‑ des relevés bancaires, qui indiquaient clairement que des opérations suspectes avaient été effectuées sur les fonds, sans que le LFA ne s’en aperçoive ni ne remarque ces dernières, contrairement aux responsabilités qui lui incombent. S’il les avaient vues, les fraudes commises par le comptable de la DAF auraient pu être décelées dès le début, une grande partie du détournement des fonds aurait pu être évitée et les fraudes auraient pu être stoppées. Il aurait été également plus facile de récupérer les fonds détournés. Si les fraudes avaient été détectées plus tôt, l’enquête aurait pu être menée plus rapidement après qu’elles aient été perpétrées, les produits des délits auraient pu être plus facilement identifiés et, par conséquent, plus facilement recouvrés.

La section C.3.1 du Manuel du LFA précise que le LFA doit vérifier l’exactitude et l’exhaustivité du DR/PU préparé par le PR. Il doit s’assurer lors de cette vérification que «les informations relatives aux comptes bancaires sont correctes».

Comme cela a été décrit précédemment, l’un des procédés utilisé par A., le comptable de la DAF, consistait à falsifier les relevés bancaires du programme pour cacher les détournements de fonds qu’il effectuait. Les documents reproduits, fournis au BIG par le LFA, sont des exemples de ces extraits de compte. Sur le premier, alors que l’Ecobank indique systématiquement le nom du bénéficiaire du chèque, l’on voit que le nom de A. a été supprimé en regard des chèques n°3138611 et FT3138613, respectivement de 3 808 770 et 3 668 600 FCFA. L’enquête menée a permis au BIG de découvrir que ces chèques ont été encaissés par A., le comptable de la DAF. À ce jour, la DAF n’a pas été en mesure de prouver que ces sommes ont été utilisées à bon escient. Une analyse plus attentive de ce relevé aurait permis de soulever la question de l’absence des noms pour ces deux chèques. (Note: Le LFA a déclaré au BIG qu’il n’avait pas été autorisé à obtenir les originaux des relevés bancaires car le PR était un organe d’Etat).

La falsification est encore plus flagrante sur le deuxième relevé: deux transactions ont été entièrement supprimées. Le simple fait que la page soit déséquilibrée aurait dû inciter le LFA à s’interroger sur l’authenticité du document. Il aurait en outre dû constater que des transactions avaient été supprimées, dans la mesure où le solde de clôture indiqué en bas de page est supérieur à la somme des différents montants figurant au‑dessus.

6. Gestion des documents par le LFA
Afin de réunir davantage d’informations et de documents récents sur les transactions frauduleuses qui ont été commises, le BIG a rencontré le LFA (Swiss TPH) pour consulter les documents de travail internes qui lui avaient servi à vérifier les DR/PUs. Il a voulu en particulier examiner les dépenses vérifiées par le LFA dans le cadre de son évaluation de l’exactitude des montants des «dépenses réelles»  indiqués dans les DR/PU. Or, il a constaté que bien que le LFA ait conservé certaines photocopies des documents analysés, il n’avait pas gardé ses documents de travail attestant de la nature et de la portée de l’examen des dépenses. Le LFA n’a pas été en mesure d’indiquer précisément quelles dépenses il avait vérifiées ni quelles conclusions il avait tirées de ces vérifications. En raison de l’absence de ces documents, le BIG n’a pu mener à bien son analyse ni savoir si Swiss TPH avait vérifié l’une des transactions frauduleuses. Si Swiss TPH avait conservé les documents appropriés, et adopté notamment un système permettant d’assurer le suivi des dépenses vérifiées, il est probable qu’il aurait pu détecter les opérations frauduleuses beaucoup plus tôt, en particulier en ce qui concerne les opérations ne comportant encore à ce jour aucun justificatif. (Note: Le BIG a indiqué que, étant donné que Swiss TPH n’a conservé aucune trace des opérations vérifiées, il est possible qu’il ait demandé des justificatifs pour une dépense précise mais qu’il ne les ait jamais reçus. C’est en raison de cette absence de document qu’il n’aurait pas été en mesure d’avertir ensuite le PR qu’il lui manquait des pièces justificatives. Le BIG a d’ailleurs constaté qu’aucun justificatif n’avait été fourni à ce jour pour la plupart des transactions)

Selon la section B.5.1 du Manuel du LFA, «les LFA sont tenus de définir et de tenir à jour leur propre système d’assurance qualité, afin de garantir que les tâches qu’ils accomplissent et que les produits qu’ils remettent au Fonds mondial sont d’une qualité acceptable». Le BIG estime que Swiss TPH n’a pas répondu à ses obligations de respecter des normes fondamentales d’assurance qualité, en ne conservant pas les documents attestant des travaux effectués. Le BIG a abordé cette question avec Swiss TPH et note que ce dernier s’efforce actuellement de renforcer son système d’assurance qualité afin que les documents internes appropriés soient désormais conservés à l’appui de l’ensemble des opérations réalisées.

7. Le LFA et l’assistance technique

Le LFA a déploré le manque de précision concernant les limites de ses fonctions de surveillance et celles de l’assistance technique. À la demande du Fonds mondial, il a conseillé le PR dans l’élaboration des rapports. Le personnel du Secrétariat et le LFA lui‑même ont signalé que le LFA avait sans doute assumé trop de tâches relevant de l’assistance technique, contrairement à ce que prévoit le Manuel du LFA.

8. Collaboration du LFA avec le BIG
Le BIG a constaté que Swiss TPH a fait montre d’ouverture et de transparence et a pleinement coopéré avec ses équipes, à la fois pendant la première phase d’audit interne et pendant l’enquête actuelle. Il a, d’une part, répondu de manière appropriée et dans les délais prévus à toutes les demandes d’information du BIG et a, d’autre part, pris l’initiative de fournir toutes les informations pouvant s’avérer utiles au travail du BIG. Sa connaissance des opérations du programme et sa volonté de communiquer franchement toutes les données au BIG ont eu une incidence favorable sur tes travaux du BIG au Mali. Aussi convient‑il de saluer ses efforts. Il faut aussi souligner que, après avoir passé beaucoup de temps avec les enquêteurs du BIG, le LFA a considérablement accru sa capacité à détecter les fraudes et s’est adressé au BIG beaucoup plus fréquemment. Ses doutes relatifs à des fraudes se sont révélés exacts à plusieurs reprises ces derniers temps, non seulement dans le cadre de cette subvention, mais aussi pour d’autres programmes, qu’il gère également.
A suivre…
Ramata DIAOURE

Quelques précisions utiles
Afin de lever toute équivoque et d’édifier nos lecteurs, en même temps que de répondre à certaines insinuations, il est nécessaire que nous clarifions certains points relatifs aux subventions allouées par le Fonds mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le Paludisme au Mali. Le Round 1 Paludisme courait du 1er décembre 2003 au 30 avril 2007, avec un dernier décaissement effectué le 5 avril 2007. Montant total: US$ 2 592 316. Le Round 4 Tuberculose allait du 1er août 2005 au 31 janvier 2011, pour un montant de US$ 6 747 610 et un dernier décaissement effectué le 24 juin 2010. Ces deux subventions sont closes. Le Round 6 Paludisme avait deux bénéficiaires principaux, le PNLP (Ministère de la Santé), pour 3 336 382 USD et le Groupe Pivot Santé Population pour 14 851 432 USD, sur la période du 1er avril 2010 – 31 mars 2012, avec un dernier décaissement le 16 décembre 2008 pour le PNLP, et du 1er septembre 2007 au 31 août 2012 pour le Groupe Pivot, avec un dernier décaissement effectué le 23 juillet 2010. Suite aux enquêtes menées par le BIG, ces deux subventions sont suspendues. Le Round 7 Tuberculose, d’un montant de US$ 4 540 342, courait du 1er août 2008 au 31 juillet 2010, avec un dernier décaissement effectué le 20 août 2009. Cette subvention n’a pas eu de phase II, ayant été close. Chacun pourra donc aisément savoir qui était en charge du département de la Santé au moment où les décisions importantes concernant la gestion de ces fonds, tant bénéfiques que nocives, étaient prises.
R. Diaouré

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