Le temps est le meilleur juge, dit-on. C’est avec lui que l’on découvre la vraie nature des uns et des autres. Cette vérité générale peut se justifier à travers le cas de l’ancien premier ministre de la transition. Il a fallu seulement moins de deux mois après son limogeage que l’opinion publique découvre une face cachée de Dr Choguel Kokalla Maïga. Et cela, à travers la publication, en fin décembre 2024, d’un rapport de vérification financière du bureau du Vérificateur général.
En effet, il s’agit d’un rapport sur la gestion de l’Agence de Gestion du Fonds d’accès Universel (AGEFEAU), une structure étatique qui relève de la primature et dont Dr Choguel Kokalla Maïga est le président du conseil d’administration. La vérification a porté sur les exercices 2020, 2021, 2022 et 2023. Elle a mis en lumière des manquements significatifs en matière de gouvernance se traduisant par des irrégularités administratives et financières.
Parmi les irrégularités administratives relevées, la non-prise de certains textes réglementaires permettant le financement du fonds, la non-invitation de la DGMP-DSP aux séances d’ouverture des plis des marchés passés dans le cadre de l’exécution de trois (3) conventions de maîtrise d’ouvrage déléguée conclues entre l’AGEFAU et l’AGETIER ou le non-respect des critères de la passation par entente directe d’une convention de maîtrise d’ouvrage déléguée.
Quant aux irrégularités financières constatées, elles sont multiples et ont un impact financier important, totalisant plus de 20 milliards FCFA (20 635 952 322 F). Toutefois, sur ce montant, 503 243 901 FCFA ont été régularisés à la suite des travaux de vérification. Sur le reste du montant n’ayant pas eu de justifications, il faut signaler celui que le président du conseil d’administration, Dr Choguel Maïga, s’est fait payer indûment au titre des dépenses de souveraineté et cela, à la faveur uniquement de deux missions de l’ancien premier ministre. Ces deux missions sont : la cérémonie d’inauguration du projet de centres d’accès universels conteneurisés, phase III, à Konobougou ; et le lancement du projet pilote d’extension de la couverture réseau.
Dans la première mission, il se fait payer 15 millions FCFA pour une seule journée de mission alors que ses frais de mission, selon les textes, sont de 75 000 FCFA par jour. Le Président de l’agonissant MPR (Mouvement patriotique pour le renouveau) et non moins Président contesté du M5-RFP (Mouvement du 05 juin- Rassemblement des forces patriotiques) récidive dans le cadre d’une deuxième mission au cours de laquelle il s’est fait payer indûment la somme de 20 millions FCFA en deux journées de mission. Pour ces deux missions à l’intérieur du pays, Dr Choguel s’est fait payer des millions de FCFA comme frais de mission. Ce qui dépasse de très loin le montant prévu par les textes, c’est-à-dire, 75 000 FCFA par jour.
Pour la première mission, il s’est fait payer pour une journée de mission 15 millions FCFA
Il s’agit de la mission relative à la cérémonie d’inauguration de la phase III du projet de centres d’accès universels conteneurisés à Konobougou. C’était, le 09 décembre 2023. Une cérémonie à laquelle le Premier ministre, Président du Conseil d’Administration a été invité par l’AGEFAU.
Pour cet événement, selon le rapport du vérificateur général, le Directeur Général de l’AGEFAU a autorisé, suivant la Décision n°2023-217-AGEFAU-DG du 7 décembre 2023, le mandatement de la somme de 18 460 000 FCFA pour la prise en charge des frais de mission, imputable au budget de l’AGEFAU sur le code économique 611112 (frais de mission à l’intérieur) sur la base d’un budget dans lequel il a prévu un paiement de 15 000 000 FCFA comme dépenses de souveraineté. L’Agent Comptable a payé au Régisseur d’avances le montant ordonné par chèque BMS-SA n°6501209 du 7 décembre 2023 de 18 460 000 FCFA. Après réception des fonds, le Régisseur d’avances a payé la somme de 15 000 000 FCFA au Premier Ministre, Président du Conseil d’Administration, suivant un document du 8 décembre 2023 intitulé «Etat de remise de fonds pour servir au paiements de dépenses de souverainetés du Premier ministre » signé pour ordre par l’Attaché de cabinet ( Moussa Diakité , un compagnon politique de très longue date de Choguel et enseignant du fondamental à la retraite) du Premier ministre.
Selon les stipulations de l’accord d’établissement de l’AGEFAU, le Président du Conseil d’administration avait droit au paiement de frais de mission d’un montant de 75 000 FCFA pour cette mission d’une (1) journée au lieu de dépenses de souveraineté de 15 000 000 FCFA. De plus, ces dépenses de souveraineté, non prévues dans le budget de l’AGEFAU, ont été imputées sur le chapitre budgétaire consacré aux frais de mission.
Pour la deuxième mission, il puise 20 millions FCFA de frais de mission pour deux journées.
La deuxième mission concerne le lancement du projet pilote d’extension de la couverture réseau. C’était du 27 au 28 décembre 2023. Un lancement auquel le Premier ministre, Président du Conseil d’Administration a également été invité par l’AGEFAU, le Directeur Général a autorisé, suivant la Décision n°2023-238-AGEFAU-DG du 22 décembre 2023, le mandatement de la somme de 28 420 000 FCFA pour la prise en charge des frais de mission, imputable au budget de l’AGEFAU sur le code économique 611112 (frais de mission à l’intérieur) sur la base d’un budget dans lequel il a prévu un paiement de 20 millions FCFA comme fonds de souveraineté. L’Agent Comptable a payé au Régisseur d’avances le montant ordonné par chèque BMS-SA n°6501234 du 26 décembre 2023 de 28 420 000 FCFA. Après réception des fonds, le Régisseur d’avances a payé la somme de 20 millions FCFA au Premier Ministre, Président du Conseil d’Administration, suivant un document du 26 décembre 2023 intitulé « Etat de remise de fonds pour servir au paiement de dépenses de souveraineté du Premier ministre » signé pour ordre par l’Attaché de cabinet du Premier ministre. Selon les stipulations de l’accord d’établissement de l’AGEFAU, le Président du Conseil d’administration avait droit au paiement de frais de mission d’un montant de 150 000 FCFA pour cette mission de deux (2) journées au lieu de dépenses de souveraineté de 20 millions FCFA. Ces dépenses de souveraineté, non prévues dans le budget de l’AGEFAU, ont été également imputées sur le chapitre budgétaire des frais de mission.
Face à ces graves irrégularités financières, les soutiens de l’ancien locataire de la primature ont sorti des arguments. Ainsi, ils estiment que les paiements effectués à Dr Choguel sont légaux et légitimes. D’après eux, ils sont conformes au décret n°2016-0001/P-RM du 15 janvier 2016 : “les missions effectuées par le Chef de l’État et le Premier ministre bénéficient d’une prise en charge totale sur la base d’un budget présenté au ministère chargé des finances.”
Ils vont plus loin en citant la lettre circulaire n°2016-003/PM-RM du 11 août 2016, qui selon eux, permet au Premier ministre d’exercer un pouvoir de dérogation, notamment pour autoriser des dépenses provenant des organismes sous sa tutelle.
Dans leur argumentation, ils estiment qu’en tant que Chef du Gouvernement, le statut du Premier ministre prime largement sur celui de Président du Conseil d’administration d’une agence comme l’AGEFAU. Et que par conséquent, ses missions sont soumises à des règles spécifiques et adaptées à ses fonctions. Les soutiens du “choguelisme” indiquent que les fonds sollicités auprès de l’AGEFAU ont été utilisés pour couvrir des dépenses légitimes de souveraineté, notamment pour indemniser plus de 200 personnes ayant participé aux activités liées aux deux missions du Premier ministre. Parmi ces personnes, ils citent les journalistes de l’ORTM et de l’AMAP, les membres de l’escorte de sécurité, les chauffeurs, les membres des forces spéciales. Ces arguments sont-ils suffisants pour blanchir leur mentor ?
En tout cas, le vérificateur général a indiqué, dans son rapport, que ces irrégularités financières concernant Choguel et d’autres aspects de la gestion de l’AGEFAU, ont été dénoncées aux autorités judiciaires.
En tout cas, les jours prochains s’annoncent sombres pour celui qui rêvait d’être le premier magistrat du Mali. Avec ce rapport, l’on peut affirmer que le précurseur de ” la clarification” est en passe d’être victime de sa propre doctrine lancée par lui-même quelques jours avant son fameux meeting dit de clarification au cours duquel il s’en est violemment pris à ses employeurs en kaki, espérant avoir un soutien populaire. Mal lui en a pris, car quelques jours après il a été purement et simplement limogé comme un mal propre. Alors, la prédiction de Cheick Oumar Sissoko, président de EMK (Ensemble pour le Mali), une forte composante du M5-RFP originel, s’est réalisée. Celui-ci avait en son temps, dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, que Choguel sera débarqué de la primature de la façon la plus humiliante.
Arouna Traoré