La menace représentée par le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme paraît souvent insurmontable. Les réseaux illicites sont puissants et souples, et grâce à leur faculté d’adaptation et leur évolution, ils semblent toujours avoir une longueur d’avance sur les organismes d’application de la loi. C’est dans ce cadre que la CENTIF (Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières) a organisé, le mercredi dernier à l’Hôtel Millenium, un déjeuner de presse afin d’échanger avec les directeurs de publication sur les contours de la mission de la cellule, ses objectifs et les risques liés au phénomène de blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme. C’était sous la houlette du président de la CENTIF, M. Marimpa Samoura qui avait à ses côtés, des collègues.
Renforcer la synergie d’actions contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Voilà d’un trait, l’objectif visé par la CENTIF à travers ce déjeuner de presse avec les premiers responsables de certains organes de presse de la place.
Ce partenariat avec la presse, a dit le président de la CENTIF, ne date pas d’aujourd’hui. Pour rappel, Marimpa Samoura est revenu sur deux sessions de formation, en 2016 et 2019, organisées par sa structure en partenariat avec la Maison de la Presse à l’endroit des journalistes. C’est donc devant le constat de la propension du phénomène de blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme dans notre pays que la CENTIF a jugé nécessaire d’échanger avec les responsables des médias, afin que chacun puisse mesurer à sa juste valeur l’impact de cette criminalité financière.
Ainsi, lors de cette rencontre, les directeurs de publication ont eu droit à deux communications. La première a été faite par Dr Sacko Modibo sur la présentation de la CENTIF, sa mission de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et la deuxième a été exposée par Mme Coulibaly Fatoumata Hacko, elle a porté sur les relations de la CENTIF avec les assujettis et la lutte contre des opérations suspectes.
Pour planter le décor de cette rencontre, le président de la CENTIF, M. Marimpa Samoura a rappelé en ces termes : « Nous nous sommes dits que la presse est un partenaire privilégié. N’importe quel combat que tu mènes, n’importe quelle mission à laquelle tu es assigné, tu ne peux la réussir sans la presse. Sans la presse on n’ira pas assez loin ».
La traçabilité des fonds est impossible au Mali
S’agissant du cas particulier de notre pays, il dira que tout le monde se plaint de l’ampleur des détournements des deniers publics et autres pratiques financières néfastes. Ce faisant, le résultat du combat et des efforts de tous les jours des structures, telle la CENTIF, n’est pas payant, car les gens ne sont pas sensibilisés. « Les gens ne maîtrisent pas trop les enjeux des phénomènes qui nous assaillent », a synthétisé le président de la CENTIF. C’est pourquoi, il a affirmé : « le devoir incombe d’échanger entre nous pour mettre en place des stratégies pour contrer et empêcher ces bandits financiers à col blanc ».
C’est dans cette optique que M. Samoura a fait allusion au mode opératoire des terroristes, qui ont toujours des moyens de nous combattre, de s’équiper et de se déplacer. Or, selon lui, les moyens avec lesquels ils survivent et nous combattent ne sont pas tombés du ciel. « Ce sont des moyens créés à travers nos propres outils. C’est dans nos banques que se passent leurs transactions, c’est dans nos boutiques qu’ils achètent. Donc tous les moyens que ces derniers utilisent ne proviennent exclusivement que de nous. Or pour plus de sensibilisation que nous effectuons, pour peu de communication que nous faisons, est-ce qu’on ne pourra pas venir à bout de ces moyens pour les assécher définitivement ? », estime le président de la CENTIF. Comme exemples de faille de communication et de coordination contre le terrorisme, il a cité le cas de l’attaque à Bamako de l’Hôtel Radisson Blu, où sur les deux assaillants on a retrouvé des liasses de billets de banque (100 000 FCFA), fabriqués en novembre 2016, dont personne n’a pas pu situer la provenance, contrairement à l’attaque de Charlie Hebdo en France, où les enquêteurs en 24 h ont pu situer facilement la provenance des fonds qui étaient par devers les assaillants. « Ici chez nous au Mali, les fonds ne sont pas traçables, parce que tout se fait avec du cash. La loi qui exige la traçabilité de toutes les transactions n’est pas appliquée, la disposition est ignorée pas tout le monde. Pour que la population puisse accéder à ces informations, nous avons jugé utile de mettre à profit la presse afin qu’elle nous aide à mieux communiquer, à mieux sensibiliser les gens pour que nous puissions rendre nos opérations traçables », a lancé comme appel M. Samoura.
Obstacle pour la presse à la lutte contre le blanchiment d’argent
Poursuivant son intervention, le président Marimpa Samoura, n’a pas manqué de signaler que la presse n’a pas droit d’accéder aux dossiers que la CENTIF envoie devant les tribunaux pour instruction. « La Centif a l’obligation de la confidentialité jusqu’à la mort », a clarifié M. Samoura. Pour prendre au rebond le président de la CENTIF sur cette dernière partie de sa communication, M. Chahana Takiou, en sa qualité de porte-parole des patrons des organes de presse à cette rencontre, a recadré la CENTIF en indiquant qu’il est resté sur sa faim. « Ce qui importe pour nous les journalistes c’est l’information, la traquer et la chercher là où elle se trouve. Malheureusement, vos textes vous interdisent de communiquer, de parler. Donc je ne vois pas l’importance de vos rapports avec la presse, car vous êtes une grande muette, contrairement à d’autres cellules qui interviennent sur le même domaine. De ce fait, je pense que la relecture de votre loi s’impose afin que nous puissions avoir l’information, qui reste un droit, l’accès à l’information est un droit pour les journalistes. Malheureusement, cela n’est pas le cas avec la CENTIF. Dont les rapports annuels ou trimestriels doivent être rendus public », a déploré M. Takiou. Avant de signaler que c’est le contribuable malien qui veut savoir ce que toutes ces cellules sur les informations financières font.
En réponse, le président de la CENTIF a fait la genèse de la création de sa structure, qui est l’émanation d’une réflexion des experts internationaux assortie des recommandations portées à l’attention de l’ONU. Au nombre de ces recommandations, il y a l’interdiction faite de communiquer publiquement avec n’importe quel acteur. « La situation financière de tous les citoyens au niveau de toutes les banques est presque connu de la Centif. Vous pensez que nous avons le droit de communiquer sur la vie privée des citoyens à tout bout de champ ? », a posé comme question M. Samoura, avant de donner l’assurance que les rapports annuels, sans autres formes d’informations nominatives pourront être mis désormais à la disposition de la presse afin que la population puisse être imprégné du développement des phénomènes qui entravent notre survie même.
Cyrille Coulibaly