Depuis des décennies, le Mali est en proie à un phénomène de délinquance financière qui sape tous les efforts de développement. Pour endiguer le phénomène ou du moins pour donner l’impression aux maliens que la lutte contre ce fléau est une priorité, pratiquement tous les régimes qui se sont succédés au Mali, ont mis en place un dispositif de lutte. Le régime actuel, dès son arrivé, a déclaré que la lutte contre la corruption était une priorité forte. Et, pour matérialiser cette volonté, le régime en place a fait adopté la loi n° 2014-015/ Du 27 mai 2014, portant prévention et répression de l’enrichissement illicite.
Le 15 janvier 2015, au grand hôtel de Bamako, cette loi était au centre d’une journée d’information et de sensibilisation, organisée par le Groupe de suivi budgétaire-Mali ?
Pour la circonstance, le GSB a mis à contribution M’pèrè Diarra, Avocat Général P.I de la Cour Suprême et membre sortant du Conseil consultatif de l’Union Africaine sur la Corruption. Après avoir présenté la loi dans ses détails, l’avocat général à la cour suprême a formulé un certain nombre d’observations pertinentes.
En ce qui concerne la forme de la loi, il dira que « l’exigence d’une déclaration, par les agents publics, de leurs patrimoines avant d’entrer en fonction, pendant et à la cessation desdites fonctions procédant du souci de dissuader ces derniers contre toute tentation d’appropriation illicite de biens dans l’exercice ou à l’occasion de leur charge publique, le Titre III énumérant exclusivement les personnalités assujetties à la déclaration des biens n’a pas de raison d’être car ses dispositions méritaient, pertinemment, à être insérées dans le Titre suivant, traitant de la prévention de l’enrichissement illicite ».
Dans la même vaine, il dira que « la poursuite pour enrichissement illicite, du seul fait qu’elle se déroule sur fond de renversement de la charge classique de la preuve, la rend suffisamment polémique entre différents courants doctrinaux du droit pénal, toute chose qui devrait amener le législateur à prendre d’avantages de discernement précautionneux dans la fixation des règles pour la répression de cette infraction, notamment en prévoyant un titre ou un sous-titre, en tout cas dans une rubrique séquentielle, à part, la mise en demeure, en faisant une véritable phase (d’enquête) préliminaire informelle, autrement dit d’échange d’informations ou d’explications, plutôt que de diluer les quelques dispositions s’y rapportant, et ce, de façon disparate dans deux titres à la fois, les titres IV et V traitant, respectivement, de la prévention et de la répression ».
Pour ce qui est du fond, l’avocat général près la cour suprême, a dit en ce qui concerne l’obligation de déclaration de biens, que les instruments internationaux, en l’occurrence, la Convention de l’Union Africaine sur la Prévention et la Lutte contre la Corruption et la Convention des Nations Unies sur la Corruption, toutes deux ratifiées par le Mali, engagent à une généralisation de l’obligation de déclaration des biens, au début, pendant et à la fin des fonctions, à tous les agents publics. Il a fait observer « si la nouvelle loi sur l’enrichissement illicite fait une extension remarquable de cette obligation à de nombreux responsables politiques, administratifs, militaires et judiciaires, ainsi qu’à d’autres gestionnaires publics, le Mali, même avec l’avènement de ce texte, est encore loin d’une mise en œuvre totale de la recommandation conventionnelle ».
Il a aussi rappelé que la Convention des Nations Unies sur la Corruption, au paragraphe 2 de son article 30, dispose, au point 2 : « Chaque Etat partie prend les mesures nécessaires pour établir ou maintenir, conformément à son système juridique et à ses principes constitutionnels, un équilibre approprié entre toutes immunités ou tout privilèges de juridiction accordés à ses agents publics dans l’exercice de leurs fonctions, et la possibilité, si nécessaire, de rechercher, de poursuivre et de juger effectivement les infractions établies conformément à la présente Convention ». Avant d’ajouter que de son côté, la Convention de l’Union Africaine sur la Prévention et la Lutte contre la Corruption, plus contraignante, stipule en son article 7, point 5 : « sous réserve des dispositions de la législation nationale, toute immunité accordée aux agents publics ne constitue pas un obstacle à l’ouverture d’une enquête sur les allégations et d’un procès contre de tels agents ». Selon lui, le texte malien n’a pas évolué sur la question des privilèges et des immunités, se contentant de renvoyer aux dispositions actuelles du Code de procédure pénale qui, dans leur application, n’empêchent, guère, l’extirpation, pure et simple, de nombre de personnalités publiques de la rigueur de la loi. Il a rappelé l’article 21 qui stipule que « les dispositions du Code de procédure pénale relatives au privilège de juridiction reconnu à certaines catégories d’agents publics sont observées » et l’article 22 qui précise que « lorsque les faits constitutifs de l’enrichissement illicite sont imputés à une personne bénéficiant d’un privilège de juridiction ou d’une immunité, le Procureur de la République transmet le dossier à l’autorité compétente aux fins d’exercice des poursuites par les voies légales ». Le magistrat à la cour suprême pense que pour l’atteinte des objectifs de ces instruments contre toute impunité en matière de gestion de la chose publique, il aurait donc fallu innover sur cette question de privilège de juridiction et d’immunité de façon à ne laisser aucune maille dans le filet de la répression de l’enrichissement illicite.
Au plan de la sanction, il a estimé que l’infraction d’enrichissement illicite judiciairement établie, est tout à fait assimilable, quant à l’impact sur l’ordre public, à celle d’atteinte au bien public, et comme telle, sa sanction devrait être modulée, en fonction de la gravité des faits commis, allant de peines délictuelles à des peines criminelles, conformément aux dispositions de l’article 107 du Code pénal, plutôt que de qualifier, indistinctement, tous les agissements de délictuels, quelque soit l’importance de l’appropriation illicite avérée.
Il a aussi critiqué le fait que la loi, organisant les poursuites, stipule, en son article 14 que « la poursuite et l’instruction de l’infraction d’enrichissement illicite relèvent de la compétence des Pôles Economiques et Financiers…….. ». Selon lui, si une telle disposition trouve sa justification dans une prise en compte de la nature économique ou financière de l’infraction, il est à craindre qu’au regard du nombre de personnalités assujetties à l’obligation, considérablement étoffé, récemment, et toujours appelés à croitre d’avantage, que les trois seuls Pôles Economiques et Financiers du pays ne soient vite submergés de dossiers de poursuites dès que la loi recevra application.
Pour boucler la boucle des remarques pertinentes, il a indiqué que « la loi portant prévention et répression de l’enrichissement illicite renvoie, nécessairement, à l’adoption d’autres textes législatifs et réglementaires, pour en permettre une application effective ». Selon lui, depuis plus de sept mois après la promulgation de cette loi, tous les textes complémentaires, sans lesquels il ne saurait être question de son application effective, tout comme la mise en place de l’Office Central de Lutte contre l’Enrichissement illicite, se font toujours attendre et ce, jusqu’à quand ?
Assane Koné