L’ancien DAF du Ministère de la Justice, non moins président de la Fédération malienne de football, Hammadoun Kolado Cissé alias Kola, a été interpellé et entendu pendant plusieurs heures au Pôle économique le vendredi dernier, 24 juin 2011. Il devait s’expliquer sur deux dossiers dont le plus impressionnant concerne le «vandalisme» subi par les caisses du Ministère de la Justice où il était Directeur Administratif et Financier au moment des faits. Le second, porte sur sa gestion des fonds du Ministère de la Fonction Publique où il fut également DAF.
Dans le souci de préserver les secrets de l’instruction, notre source nous apprend qu’après plusieurs heures d’interrogatoire musclé, Kola a été autorisé à se rentrer à son domicile. Cette décision des Magistrats du Pôle économique a été justifiée par l’état de santé précaire de l’inculpé. Il faut rappeler que l’ancien DAF, Kola, se bat depuis belle lurette contre une très longue maladie qui l’a fragilisé physiquement ces derniers temps.
Les faits qui lui sont reprochés
Dans son rapport 2009, le Bureau du vérificateur général avait passé aux peignes fins la calamiteuse gestion des ressources publiques et avait noté avec insistance que les dégâts étaient énormes au sein du Ministère de la Justice et au Ministère de la Fonction Publique, où un certain Kola Cissé, DAF, travaillait presqu’à la hache contre les caisses de ces deux Départements.
D’abord au Ministère de la fonction publique. L’Etat malien a lancé un processus de réforme de l’administration publique dans le but de créer les conditions d’un développement durable à travers des structures administratives stables, performantes et crédibles. Il a mis en place le Programme de Développement Institutionnel (PDI), piloté par le Commissariat au Développement Institutionnel (CDI). La somme de 25,7 milliards de F.Cfa a été engagée pour les exercices 2006, 2007 et 2008. Ainsi donc, la DAF du Ministère gère, en plus des dotations budgétaires annuelles, des fonds de 2,56 milliards F.Cfa et de 4,44 milliards de F.Cfa provenant respectivement des Pays-Bas et du Canada. Ces fonds, mis à la disposition du CDI, sont destinés au financement des activités du plan opérationnel 2006-2009 du PDI. Suivant les situations d’exécution des budgets, il a été alloué à la DAF du Ministère de la Fonction Publique, un crédit global de 14,79 milliards de F.Cfa sur la période sous revue. Le rapport du Bureau du Vérificateur général, après investigations, a fait ressortir des faits alarmants. La DAF a utilisé le compte bancaire du Programme de Développement Institutionnel (PDI) pour enregistrer toutes les opérations de recettes et de dépenses. De plus, les pièces fournies à la mission pour justifier les dépenses effectuées ne sont pas probantes pour un montant de 31,55 millions de F.Cfa. Il existe des incohérences entre les informations du logiciel de gestion budgétaire (PRED) et celles fournies par la régie. Ainsi, selon le PRED, pour l’exercice 2008, le montant total des mandats émis s’élève à 883,31 millions de F.Cfa alors que, selon le registre de la régie, ce montant est de 804,30 millions de F.Cfa, soit un écart de l’ordre de 79 millions de F.Cfa. Quant aux fonds destinés aux dépenses d’investissement du PDI, soit 459,19 millions de F.Cfa ont été utilisés par la DAF pour assurer les charges de fonctionnement. Pire, elle a procédé à l’entretien et à la réparation de plusieurs véhicules n’entrant pas dans le parc du Ministère, pour un montant de 29,84 millions de F.Cfa et a effectué des dépenses non justifiées de même nature, à concurrence de 37,09 millions de F.Cfa pour des véhicules figurant dans son parc. La mauvaise tenue de la comptabilité-matières, selon le rapport, a favorisé des dépenses fictives et rendu difficile l’identification des acquisitions.
La DAF refusait de codifier les biens acquis, tels que les véhicules, le matériel informatique ou de bureau. De plus, elle ne remplit pas convenablement les documents concernant l’entretien et la réparation du matériel. Ce qui rend difficile le choix entre l’acquisition de matériels neufs et la réparation des matériels défectueux. Dans certains cas, les frais d’entretien et de réparation du matériel informatique et des véhicules sont comparables au prix d’achat de matériels neufs de même type. Ainsi en 2007, le coût moyen d’entretien par véhicule du CDI s’est élevé à 29,01 millions de F.Cfa. L’achat d’un véhicule du même type aurait coûté environ 25 millions de F.Cfa.
La DAF est également épinglée pour non respect des dispositions du Code des Marchés Publics. Ainsi donc, les dossiers des marchés ne comprennent généralement pas de Procès-verbaux de réception ou de bordereaux de livraison. Or, il est clair que sans ces documents, il est difficile pour la DAF de savoir si le marché a été correctement exécuté ou pas. Mieux, l’administration financière ne s’assure jamais que les dossiers des soumissionnaires respectent les dossiers d’appel d’offres. Selon toujours le même rapport, certains marchés ont été attribués à des entreprises ayant fourni des états financiers non conformes. Malgré ce bilan chaotique, le même «dévastateur» a été nommé toujours comme DAF au Ministère de la Justice, où son passage a été plus que dramatique, dit-on.
Au Ministère de la Justice
Dès sa nomination au Ministère de la Justice, Kola Cissé, semble-t-il, ne faisait plus la différence entre les biens publics et les ressources personnelles. Selon plusieurs autres rapports de contrôle produits et par la CASCA et par le Bureau du Végal, les fonds destinés au PRODEJ ont été purement et simplement passés à la pelle. Ce n’est pas tout. La passation des marchés ne respectaient aucun principe d’économie. Ainsi, des entreprises proposant les meilleurs prix pour une qualité égale ont été éliminées pour des raisons non conformes au Dossier d’Appels d’Offres (DAO). Or, le choix de ces entreprises aurait pu permettre à la DAF et à la Cellule de Coordination du PRODEJ de réaliser une économie de l’ordre de 102 millions de F.Cfa sur les marchés examinés. Pire encore, des matériels informatiques achetés et réceptionnés n’ont pas été retrouvés. Ainsi, 50 ordinateurs, 50 onduleurs et 44 imprimantes qui auraient dû se retrouver dans le magasin, sont simplement introuvables.
En se décidant enfin d’isoler un «prédateur» si cupide, la justice malienne démontre à nouveau qu’elle ne se laissera pas intimidée par les relations d’amitié ou de parenté avec le chef de l’Etat, ATT. Il faut rappeler que c’est grâce à l’implication personnelle du chef de l’Etat que Kola a été élu président de la Fédération malienne de Football, instance au sein de laquelle, il est aujourd’hui décriée. Peut-être que le président s’était trompé sur le compte de son ami Kola. Dans cette affaire, va-t-il le soutenir ou le lâcher ? L’avenir nous dira !
Abdoulaye NIANGALY