Lutte contre la corruption : Entre deal au sommet et poursuites sélectives

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La nomination de Maître Malick Coulibaly au poste de Ministre de la Justice dans le Gouvernement du Dr Boubou Cissé avait été saluée par l’opinion publique et la plupart des observateurs de la scène politique malienne, qui y voyaient le signe d’un engagement du Président IBK de lutter enfin contre la corruption et l’impunité au Mali. C’était au mois de mai 2019.

 

Précédé d’une solide réputation de rigueur et de probité acquise lors de son passage au Gouvernement de Transition issu du coup d’Etat de mars 2012, l’intéressé, après plusieurs années de relâchement coupable marqué par de nombreux scandales de détournement de fonds publics, semblait avoir le profil parfait de l’emploi.

Plusieurs mois après cet évènement que d’aucuns n’ont pas hésité à qualifier de fondateur au regard de l’extraordinaire mansuétude dont ont fait preuve les gouvernements successifs du Président IBK en matière de lutte contre la corruption, l’on peut légitimement s’interroger sur le bien-fondé du crédit de rigueur et d’équité largement accordé à l’actuel Garde des Sceaux.

Maître Malick Coulibaly est- il le redresseur des torts tant attendu, le défenseur de la veuve et de l’orphelin, ou encore le Saint- Just d’une inéluctable révolution à laquelle les Maliens aspirent, après tant d’années de gabegie financière et d’injustice sociale ?

Le doute est permis lorsqu’on fait le parallèle entre les intentions affichées de l’homme, notamment lors des conférences de parquet tenues récemment sous son égide, et les résultats concrets obtenus.

Les intentions affichées

Il n’est pas inutile de rappeler les intentions affichées par le Ministre Malick Coulibaly au lendemain de sa nomination. Il ne s’agit ni plus ni moins que de mener une lutte implacable contre la délinquance financière et l’impunité qui en découle depuis plusieurs décennies pour ceux qui s’y adonnent. Les annonces faites par le Procureur en charge du Pool économique et Financier de Bamako complètent harmonieusement les professions de foi du Garde des Sceaux, qui redit à chaque sortie sa volonté d’en finir avec les pratiques du passé. Elles ont en outre l’avantage d’être précises dans la mesure où elles relèvent directement de l’autorité chargée de mener la nouvelle politique portée par le Ministre et définie par le Chef de l’Etat.

Ainsi, il a été publiquement affirmé qu’aucun secteur, aucun dossier sulfureux et aucune personnalité ne seront épargnés, bref que nul ne sera au-dessus de la loi. Selon le procureur, tout sera passé au peigne fin : du scandale de l’achat de l’avion présidentiel, au tout récent dossier des « avions cloués » en passant par l’affaire dite du contrat d’armement.

Les résultats obtenus

S’il est sans doute prématuré de dresser un bilan de la croisade contre la corruption en cours, on peut d’ores et déjà faire une brève analyse des résultats obtenus et des cibles retenues.

La chasse aux « délinquants financiers » annoncée urbi et orbi se limite pour l’instant à des affaires qui tiennent dans une poignée de main : celle des ristournes dues aux cotonculteurs, celle du Conseil régional de Kayes, celle du Conseil du District de Bamako et celles des détournements frauduleux commis au sain de quelques conseils communaux (Commune de Baguinda et Safo).

Avec un tel trophée de chasse, sur fond de sorties hyper médiatisées, peut- on sérieusement considérer qu’une lutte conséquente est actuellement menée contre la corruption et la délinquance financière dans le pays ?

Le Ministre a t- il les ambitions qu’on lui prête ou alors a-t-il des contraintes qu’il se garde bien d’évoquer, ce qui tendrait à mettre en cause l’apolitisme dont il se prévaut et plus profondément la sincérité de son action ? Il ne s’agit point pour nous d’intenter un quelconque procès à qui que ce soit, mais l’examen attentif des affaires ayant fait l’objet de poursuites judiciaires démontre à l’évidence que lesdites poursuites sont sélectives et fort troublantes.

Des poursuites sélectives et troublantes

Rappelons que, contrairement aux annonces faites, aucun dossier politiquement sensible n’a, jusqu’à plus ample informé, fait l’objet de poursuites judiciaires. Ni celui de l’acquisition de l’avion présidentiel, ni celui des avions cloués au sol, ni celui des milliards volatilisés selon Choguel Maïga au cours de l’année 2018 au préjudice du Trésor public (190 milliards). Du reste, il se susurre depuis quelque temps, que certains des dossiers classés sensibles auraient fait l’objet d’un classement sans suite.

L’on a en revanche, côté parquet anti – corruption, mis en avant certaines affaires, en les sur médiatisant, comme pour jeter en pâture à la vindicte populaire des coupables soigneusement choisis à l’avance.

L’arrestation du Maire du district de Bamako Adama Sangaré, qui avait déjà fait l’objet d’un véritable acharnement judiciaire sous l’impulsion de Daniel Tessogué, autre magistrat proche de la junte militaire d’alors, semble à cet égard, procéder de considérations hautement subjectives et d’une véritable fixation sur la personne d’un homme incarnant pour certains à la fois le régime Adema et celui d’ATT.

Celle de Bakary Togola, proche du pouvoir actuel et des précédents, semble relever de la même volonté, mainte fois affirmée dans  certains cercles, d’en finir avec la classe politique actuelle qu’on voudrait renouveler au forceps, fût- ce en instrumentalisant l’appareil judicaire.

Celles de Madame Traoré Mafily Koné, ancienne responsable des hydrocarbures d’EDM et épouse du secrétaire général adjoint de I’Untm, en dit long sur les tentatives d’instrumentalisation de la Justice en cours. Elle a été embastillée, après avoir loyalement collaboré à l’enquête menée par le pôle économique sur la gestion de certains contrats de fourniture d’hydrocarbures à l’EDM sans qu’on lui notifie la moindre charge.

C’est par un simple Sms qu’elle sera convoquée par la suite et présentée à un juge d’instruction qui la placera aussitôt sous mandat de dépôt. Cette arrestation intervient dans un contexte où le gouvernement est à couteaux tirés avec l’Untm sur le Programme de vérification des Importations (PVI)…

Un deal au sommet  pour épargner les barons du régime

Face à l’écart entre les ambitions de la lutte contre la corruption et les maigres résultats atteints, et surtout devant l’inaction du Ministre dans la gestion judiciaire des grands scandales financiers qui ont eu lieu ces dernières années, on peut se demander si un compromis n’a pas eu lieu entre ce dernier et le Président de la République. Tout se passe en effet comme si ce pacte, au terme duquel les barons du régime seraient épargnés et le ministre maintenu en fonction, a bien eu lieu.

Il expliquerait pourquoi l’affaire qui agite actuellement la Cmdt et qui fait les choux gras de la presse, n’a donné lieu à aucune arrestation. Il expliquerait également pourquoi les affaires de l’avion présidentiel, des avions cloués au sol et celle du contrat d’armement n’ont connu aucune suite judiciaire et ce, malgré les injonctions des PTF dont, excusez du peu, le FMI, la Banque Mondiale et l’Union Européenne. Excusez du peu.

Birama FALL

 

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