Lutte contre la corruption : Des arrestations annoncées dans le dossier de l’Initiative riz

0

Selon de sources très proches de la justice, on s’apprête à faire des interpellations dans le dossier de l’initiative Riz lancée en 2008 par l’ancien Premier ministre, Modibo Sidibé pour juguler la flambée des prix des céréales.  Les enquêteurs du Pôle économique auraient découvert de nombreux manquements dans la gestion des marchés publics liés à ce programme comme l’a été dévoilé dans le rapport 2009  du Vérificateur général, Sidi Sosso Diarra, qui avait à l’époque vivement critiqué l’attribution d’un marché de gré à gré de plus de 12 milliards de nos francs en violation totale du Code des marchés publics au Mali. En attendant, le directeur national de l’Agriculture et des opérateurs économiques comme Diadié Bah auraient déjà été entendus le weekend dernier.
 

La lutte contre la corruption est en train de prendre une nouvelle allure. Quatre semaines après l’inculpation de l’ancien ministre de la Santé, Oumar I. Touré dans l’affaire des fonds publics et une semaine après l’interpellation de l’ancien Daf des ministères de la Justice et de la Fonction publique  et actuel président de la fédération malienne de football, Hammadoun Kolado Cissé dit Kola, on annonce du côté du Pôle économique des interpellations dans le dossier de la fameuse Initiative riz lancée par l’ancien Premier ministre, Modibo Sidibé qui a, en son temps, fait couler beaucoup d’ancre et de salive. Déjà, dans son rapport de 2009, les vérifications ont découvert plusieurs irrégularités dans la gestion dudit projet comme la passation d’un marché de gré à gré portant sur plus de 12 milliards de FCFA à « Toguna Agro-Industrie », sans se soucier de son enregistrement. Cette transaction avait été faite par le ministre de l’Industrie et du commerce, Ahmadou Abdoulaye Diallo qui assurait à l’occasion l’intérim de son collègue des Finances, Abou-Bakar Traoré en déplacement.

Pourtant,  avait expliqué à la presse l’ex-Végal, « notre code des marchés publics n’admet pas le payement d’un marché de plus de 500 000 FCFA sans son enregistrement ». Il s’est insurgé contre l’agissement du « conseil de ministres qui s’est permis de régulariser le marché  entaché d’irrégularités ».

Le Vérificateur souligne que le conseil des ministres est en faute par le fait que le  code des marchés publics n’admet pas qu’un marché soit régularisé avant son enregistrement. « Le conseil n’aurait pas dû régulariser ce marché », a dénoncé le végal dont l’un des vérificateurs, en l’occurrence le magistrat, Moumini Guindo, a précisé que malgré cette régularisation, la faute reste toujours punissable. « La régularisation d’un marché est en quelque sorte un repentir, qui n’efface pas la faute parce que le repentir est tardif. La poursuite est toujours faisable et c’est la commission de saisine instaurée au niveau du BVG qui statuera sur la faisabilité de la poursuite judiciaire », avait-t-il prévenu. D’autres irrégularités ont été constatées dans les exonérations accordées aux importateurs d’intrants. C’est autour de ces faits que le Pôle économique a mené des enquêtes et s’apprêtent à interpeller des personnes qui ont été impliquées dans ces irrégularités.  La semaine dernière, le directeur national de l’Agriculture et des opérateurs économiques comme Diadié Bah ont été soumis à des interrogatoires.
Affaire donc à suivre.
Abdoulaye Diakité


LUTTE CONTRE LA CORRUPTION ET LA DELINQUANCE FINANCIERE :
Des spécialistes se prononcent

 
Plusieurs années après le déclenchement de la lutte anti-corruption, les résultats enregistrés laissent nombre de Maliens très sceptiques qui constatent plutôt une hausse du phénomène dans notre pays. Une situation qui suscite chez les spécialistes des explications différentes.

« Je serai très exigeant sur la gestion des ressources publiques. Et la lutte contre la corruption et la délinquance financière sera mon cheval de bataille ». C’est en ces termes que le président Amadou Toumani Touré annonçait sa volonté de s’attaquer à un phénomène aussi délicat que la lutte contre le détournement des biens publics. C’était quelques jours seulement après son accession à la magistrature suprême en juin 2002. Neuf ans après, les résultats de la lutte contre la corruption sont très mitigés si l’on se réfère aux cas de détournements et de corruption dénoncés par les différents rapports de contrôle. De 2002 à nos jours, la dizaine de rapports de contrôle produits soulignent l’aggravation des pratiques de mauvaise gestion. Et  le seul Bureau du Vérificateur Général crée par ATT a fourni trois rapports pendant les 7 ans du mandat de Sidi Sosso Diarra avec des chiffres effarants concernant le manque à gagner pour le trésor public.

Le premier a porté sur un manque à gagner de 20 milliards, le deuxième sur plus de 100 milliards, et le troisième a constaté un déficit d’environ 80 milliards de francs CFA. Par ailleurs, d’autres vérifications effectuées courant 2005-2006-2007 ont signalé un manque à gagner de 138,58 milliards de F CFA, et seuls 31,78 milliards de F CFA ont été recouvrés. Le dernier rapport de la Casca (Cellule d’Appui aux Services de Contrôle de l’Administration), remis en avril dernier au président de la République, a aussi consacré l’amplification  du phénomène de corruption et de dilapidation des deniers publics, soit deux ans après les états généraux sur la corruption et la délinquance financière » organisées fin 2009.

« C’est de la diversion »

A quoi sert alors la très médiatique lutte contre la Corruption lancée au Mali dans les années 90 par le président Alpha Oumar Konaré ? En réponse à la question, Etienne Sissoko est formel. Pour lui, « ils ne servent qu’à faire diversion ». Selon ce docteur en sciences économiques (diplômé de l’Université Paris X à Nanterre), « les rapports au Mali sont publiés pour amuser la galerie ». « Le principe est connu, dit-il. Lorsqu’il s’agit d’attribuer de l’aide au développement à des pays comme le nôtre, les bailleurs de fonds procèdent par tranche de 3 volets : les deux premiers sont mis à disposition, et la troisième tranche n’est débloquée qu’après publication de rapports de contrôle. Comme une façon de montrer que la bonne gouvernance est mise en avant. Mais en réalité, ajoute notre interlocuteur, ce sont des rapports pour la formalité ». Comme solution, le Dr. Etienne Sissoko préconise que l’Etat prenne ses responsabilités. « On connait les secteurs où il y a problèmes », dit-il, plaidant pour la création de véritables structures répressives. « Le détournement et la corruption sont des fautes graves et répréhensibles dans le code pénal. Il faut donc punir les fauteurs et les auteurs des malversations », préconise notre interlocuteur. Qui déplore « les limites du Pôle économique ».

La faiblesse des revenus en cause

Amadou Garan Kouyaté, lui, n’en dira pas moins. Professeur d’économie à la FSJE (Faculté des sciences économiques de l’Université de Bamako), il dirige le Groupe de réflexion et de recherche sur la corruption. Pour lui, tout contrôle a un intérêt. Cependant, ajoute-t-il, l’impact de ces rapports semble très faible dans la réduction de la corruption dans notre pays. L’une des explications à l’ampleur du phénomène réside, selon lui, dans la faiblesse du revenu des gens. « Tu ne peux pas demander à quelqu’un de bien gérer des millions, alors qu’il a un salaire dérisoire. Et je crois que c’est pour cela que  l’Etat lui-même a pris les précautions en attribuant un salaire faramineux au Vérificateur général. Pourquoi n’en fait-il pas de même pour ses autres employés ? »,  s’interroge notre interlocuteur. Qui rappelle que dans tous les pays du monde, toutes les enquêtes ont démontré que l’une des causes de la corruption, c’est la faiblesse du revenu. On attribue des salaires de misère au gens et leur demander d’être transparents. C’est absolument impossible. Je crois que l’Etat doit protéger les gens en augmentant leurs revenus »,  préconise M. Kouyaté. Qui déplore par ailleurs le mécanisme de lutte adopté par le chef de l’Etat. « En lieu et place des poursuites judiciaires, l’Etat exige que le coupable rembourse ce qu’il a volé. Je crois que cette approche ne fait qu’empirer le phénomène  car c’est comme si on avait prêté de l’argent à l’Etat. Rembourser l’argent détourné est obligatoire, mais le côté pénal  (qui exige des poursuites) est impératif. Il faut que cette sanction soit là pour dissuader les gens », conclut l’universitaire.
Issa Fakaba SISSOKO

Commentaires via Facebook :