Toute personne arrêtée dans le cadre d’une enquête judiciaire, est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée par le juge. La présomption d’innocente, protège la personne suspectée en attendant donc son procès. Qu’en est-il avec la lutte contre la corruption et la délinquance financière que vient de lancer le pôle économique et financier ?
La lutte contre la corruption et la délinquance financière, a été toujours, le maillon faible du système judiciaire au Mali. De 1991, année qui a vu l’avènement de la démocratie et du multipartisme au Mali, à nos jours, cette lutte contre la corruption et la délinquance financière, a été beaucoup plus politique que judiciaire : beaucoup de promesses mais peu d’actions ; beaucoup de rapports de corruption mais peu d’interpelés devant le juge ; des dossiers transférés devant le juge, sont classés sans suite. Finalement, cette lutte contre la corruption, personne n’y croit vraiment au Mali.
Récemment, le nouveau procureur près du pôle économique et financier, a fait arrêter un « gros poisson » en la personne de Bakary Togola, le président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali (APCAM) non moins président du conseil d’administration de la Confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton (CS-CPC) et réputé proche du pouvoir. Il est reproché à ce grand magnat de l’agriculture, des détournements de fonds publics. La nouvelle de son arrestation fait l’écho d’une bombe ; les réseaux sociaux et les médias s’en apparent ; c’est désormais l’objet de toutes les discussions au Mali. Les Maliens se surprennent à dire que la véritable lutte contre la corruption, a commencé. Le nouveau procureur anticorruption, fait le show et convoque une conférence de presse au cours de laquelle, il explique non seulement l’objet de l’implication du sieur Togola mais il indique également que rien ne lui fera renoncer à sa mission. Mieux, sa structure lance un appel à témoin pour tous les dossiers de corruption – tous les dossiers de corruption ? – non, seulement et surtout pour l’affaire dite des « avions cloués ». C’est désormais l’euphorie au sein de la population pour qui seuls les gouvernants sont corrompus. C’est dans cette mouvance qu’on apprend, chaque jour qui passe, quelques arrestations dans le cadre des enquêtes dans la lutte contre la corruption. Nous disons que c’est une bonne chose si cette lutte contre la corruption et la délinquance financière, est véritablement lancée et qu’elle n’est pas sélective.
Mais, nous reprochons la violation du principe de présomption d’innocence qui est le socle de toute justice. Selon ce principe, toute personne arrêtée dans le cadre d’une enquête judiciaire, est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée par le juge. Ce qui veut dire que le mis-en cause, ne doit pas être présenté comme déjà le délinquant ou le coupable indiqué. Mais, que voyons-nous chaque jour à travers les réseaux ?
Des images des personnes arrêtées dans le cadre des enquêtes, qui circulent sur les réseaux et qui retracent tout le film de leur arrestation ; ce qui indique que ces images proviennent des autorités ayant procédé à l’arrestation (des policiers prendraient-ils des images pendant les arrestations pour ensuite les partager pour les réseaux sociaux ?) ; une violation du secret d’instruction judiciaire puisque ces informations se retrouve sur la place publique. Et, jusque-là aucune réaction de la part du juge anticorruption concernant ces violations flagrantes du droit de la présomption d’innocence.
Par ailleurs, cette lutte contre la corruption est en passe de devenir un véritable règlement de compte. Des gens sont dénoncés à tort ou à raison sur les réseaux sociaux, parfois même avec documents confidentiels à l’appui, depuis que le juge a lancé son fameux appel à témoin.
Nous osons croire et craindre que la bonne foi des juges qui veulent réellement combattre le fléau qu’est la corruption, ne soit trop extravertie et que cela puisse nuire même à la cohésion sociale. Nous sommes de ceux qui croient que le juge, dans sa marche dans et vers la justice, n’a pas besoin de publicité. De toutes les manières, les résultats seront connus. Mais, jusque-là, il n’y a eu aucune condamnation. Donc, il faut respecter le droit des suspectés. Il en va de la bonne distribution de la justice ; il en va de la préservation de la cohésion sociale.
El Hadj Tiémoko Traoré