« Nul ne s’enrichira plus illégalement et impunément sous notre mandat, inch Allah! » Lors de ses vœux du Nouvel An, le président Ibrahim Boubacar Keïta (IEK) a décrété que 2014 serait l’année de la lutte contre la corruption. Vaste chantier dans un Mali qui figure à la 127ème place (sur 177 pays classés) de l’indice de perception de la corruption 2013 établi par l’ONG Transparency International.
Pendant des années, les plus hauts responsables maliens ont trempé dans des circuits financiers douteux. Plusieurs proches de l’ancien président Amadou Toumani Touré auraient notamment profité du trafic de cocaïne qui transitait par les pistes désertiques du nord du pays. Mais ces activités illicites ne sont pas l’apanage des élites bamakoises. Elles touchent l’ensemble de la population et de l’administration, du simple citoyen au sommet de l’État. « La corruption est quotidienne et généralisée: au sein de la police, de l’armée, dans les hôpitaux, au cœur des ministères … C’est surtout ça qui est inquiétant », s’alarme le député d’opposition Soumaila Cissé (lire portrait p. 87). Face à cette situation préoccupante, IBK a décidé de hausser le ton, ne serait-ce que pour rassurer les bailleurs de fonds internationaux. Bien que timidement, la lutte contre la corruption progresse.
Fin novembre 2013, Amadou Ousmane Touré, le Vérificateur général (contrôleur en chef des comptes de l’État) a remis au président son rapport pour l’année 2012. Un mois plus tard, le 27 décembre, Idrissa Haïdara, le PDG du Pari mutuel urbain (PMU) du Mali, était interpellé par les enquêteurs du Pôle économique, ainsi que son directeur financier, Moussa Dembélé, et son comptable, Soungalo Doumbia. Accusés d’avoir détourné quelque 36 milliards de F CFA (près de 55 millions d’euros) entre 2006 et 2011, ils ont été déférés devant la justice début janvier. Depuis, l’enquête est en cours.
FIABILITÉ. Dans son rapport, Amadou Ousmane Touré a par ailleurs insisté sur la nécessité de limiter l’immunité judiciaire des membres du gouvernement et des cadres de l’armée. Il a aussi recommandé d’établir une meilleure coopération avec le ministère de la Justice. Nommé en septembre 2013 et reconduit dans le nouveau gouvernement de Moussa Mara, Mohamed Ali Bathily, le garde des Sceaux, abonde dans son sens: « Nous travaillons main dans la main avec le Vérificateur général. Il effectue ses contrôles en amont et me transmet régulièrement ses différents rapports. » Selon Bathily, la lutte contre la corruption passe d’abord par de solides services d’enquête. « Nous sommes en train de faire un grand ménage parmi les magistrats pour nous assurer de la fiabilité de nos instructions », explique-t-il.
Le garde des Sceaux souligne aussi les changements introduits par la nouvelle loi sur la prévention et la répression de l’enrichissement illicite. Adopté le 6 avril par l’Assemblée nationale, le texte prévoit notamment la création d’un Office central de lutte contre la corruption, ainsi que l’assujettissement de tous les responsables de l’État (président de la République, ministres, élus locaux) à une déclaration de biens.
Reste que cette volonté affichée par l’exécutif de lutter contre la délinquance financière a été mise à mal, ces deux derniers mois, par la sortie de « scandales » médiatiques visant le chef de l’État et son entourage. Le palais de Koulouba a, un temps, été gêné par l’affaire Kagnassi (J.A. n° 2776, du 23 au 29 mars). Selon un document publié mi-mars dans la presse malienne, l’homme d’affaires Sidi Mohamed Kagnassi aurait signé, en novembre 2013, un contrat de 69 milliards de F CFA (plus de 105 millions d’euros) avec le ministère de la Défense pour la fourniture de matériel militaire. Peu après, le 7 janvier 2014, il était nommé conseiller spécial d’IBK. Certains soupçonnent un conflit d’intérêts. Le principal intéressé et la présidence ont immédiatement démenti ces accusations, assurant que ledit contrat était un faux.
Selon Le Monde, le président aurait profité des largesses d’un homme d’affaires corse.
BLANCHIMENT. À peine cette affaire retombée, IBK se retrouve à nouveau sous le feu des médias. Dans son édition datée du 28 mars, le quotidien français Le Monde publie un long article retraçant les liens entre le président malien et Michel Tomi, un homme d’affaires corse bien implanté en Afrique, contre lequel la justice française a ouvert une information judiciaire en juillet 2013. Ce dernier est soupçonné de « blanchiment aggravé en bande organisée », « abus de biens sociaux » et « faux en écriture privée ». Rapportant plusieurs scènes a priori tirées des procès-verbaux de l’enquête, Le Monde affirme qu’IBK aurait profité des largesses de Tomi et qu’il détiendrait des parts dans une salle de jeux bamakoise appartenant au Corse. Le soir même, la présidence publiait un virulent démenti: « Cet article vise à salir l’honneur d’un homme, Ibrahim Boubacar Keïta, dont les valeurs d’intégrité et de rigueur morale n’ont jamais été remises en cause, et ce par qui que ce soit. » Depuis, des avocats maliens et français sont chargés d’organiser la riposte. Ils devraient prochainement engager des poursuites judiciaires contre le quotidien.
Quelle qu’en soit l’issue, ces révélations ont entaché la crédibilité d’IBK et de son équipe dans leur combat contre la corruption. On ne lutte pas contre un système généralisé sans s’y brûler les ailes.
BENJAMIN ROGER Jeune Afrique
N° 2781 du 27 avril au 10 mai 2014
JEUNE AFRIQUE