L’ENIGMATIQUE CITE ADMINISTRATIVE : 7,3 milliards pour le beau-fils d’ATT

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Cadeau des Libyens aux Maliens ? Cadeau empoisonné ? Bâtiment de l’Etat malien ? Les questions vont bon train en ce qui concerne la Cité administrative qui ne finit pas de sortir de terre au bord du fleuve Niger. Entre le jour où il a été décidé de rassembler tous les ministères sur un même site, en 1992, et aujourd’hui beaucoup d’eau a coulé sous les deux ponts sur fond de délais sans cesse repoussés, de chantages, d’intimidations, de bâtiments de l’Etat hypothéqués, de violations du code des marchés publics et de marchés attribués par népotisme.

Même inachevée, la Cité administrative constitue une fierté pour les Maliens, une fierté quelque peu teintée de curiosité devant ces majestueux bâtiments qui défient le temps et les délais. Parce que ce n’est pas aujourd’hui qu’on a commencé à parler de cette Cité administrative. Selon Lahaou Touré, chef du bureau du projet de construction de la Cité administrative, l’idée « de regrouper tous les départements ministériels sur un même site date de 1992 afin de renforcer l’efficacité du service public et d’amoindrir le coût de fonctionnement des services ».

Le président Alpha Oumar Konaré, qui estimait que la modernisation de l’Administration passait par là, a pris langue avec les Libyens que l’idée avait fortement enchantés. Selon Touré, sur un coût estimé initialement à 100 millions de dollars (environ 50 milliards de F CFA), les Libyens, à travers la Banque de financement extérieur ont allongé 50 millions de dollars (environ 25 milliards) pour la réalisation de la première tranche qui comprend la Primature, 12 départements ministériels, un bâtiment de service commun, 12 villas pour hôtes et les travaux de voirie. L’Etat malien devait supporter 10 % des coûts de cette première tranche.

Avec ce pactole en main, l’Etat malien entre en négociation avec la société de construction égyptienne Arab Contractors connue pour expertise dans les BTP. Entre-temps, la Libye, qui était sous embargo international, comptait sur notre diplomatie et l’entregent de notre président pour desserrer l’étau. Alpha, dont les convictions panafricaines sont connues, a mobilisé tout le continent africain autour de la question libyenne jusqu’à obtenir la levée de l’embargo que tous savaient injuste.

Le marché change de main. Etant les principaux bailleurs, les Libyens suggèrent au Mali de passer le marché de la construction de la Cité à une de leurs entreprises. Contre l’avis du gouvernement du Mali, Alpha accède à la demande de Tripoli. C’est ainsi que le marché quitte les bords du Nil pour atterrir en terre libyenne par l’intermédiaire de la Général Company for Construction (GCC) pour un coût actualisé de 35 millions de dollars (environ 17,5 milliards de F CFA), selon M. Touré. C’est après seulement que les travaux ont effectivement démarré en septembre 2003 pour une fin programmée pour mai 2006, puis repoussée au 31 décembre 2006. On attend de voir parce que rien dans l’avancement des travaux ne permet un tel optimisme.

Un marché, des marchands

Un tel marché suscite immanquablement les convoitises et aiguise les appétits. De l’aveu même des maîtres d’ouvrage, c’est l’un des plus gros marchés dans la sous-région financé par les Libyens. En affaire comme dans d’autres choses, ceux-ci ne sont pas des enfants de chœur. Très vite le marché relatif à la Cité devient une sorte de foire d’empoigne et de festival de brigands. Chacun veut avoir sa part surtout que certains esprits malins tentent de faire croire aux Maliens que c’est un cadeau. Or qui dit cadeau songe directement à un gâteau dont le partage ne saurait obéir à aucune règle.
Devant le laisser-aller et le laisser-faire, la direction générale des marchés publics a été obligée à plusieurs reprises de tirer la sonnette d’alarme. En juillet dernier, elle rappelait fort opportunément l’attention du bureau du projet de construction de la Cité administrative sur l’expiration des délais d’exécution alors même que certains intervenants n’ont perçu que les 20 % dus au démarrage des travaux.

Par rapport à l’entreprise libyenne, la direction générale des marchés publics a fait remarquer qu’en plus des 35 % qu’elle a perçus comme avance de démarrage, elle a encaissé 16 autres milliards représentant environ 59 % du montant du marché initial alors que les travaux ne sont exécutés qu’à moins de 30 %. En plus, la direction des marchés publics a identifié tous les blocages et tous les manquements qui maintiennent le chantier dans une sorte de flou juridique et réglementaire. Sans compter les réserves émises concernant la prorogation des délais sans au préalable faire le point exhaustif de l’exécution technique du marché de l’entreprise. Mais tout porte à croire qu’aucune des observations émises n’a été respectée.

7,3 milliards pour Ytelcom

Logiquement, la société libyenne aurait dû payer des pénalités. Mais l’Etat a renoncé à appliquer les dispositions contractuelles pour se contenter de lui retirer la construction des 14 villas (cela fera l’objet du prochain article) dans des conditions très suspectes. Comme nous le disions plus haut, le marché de la Cité administrative a suscité bien de convoitises et aiguisé beaucoup d’appétits. En effet, l’un des aspects sur lequel il y a eu beaucoup de pressions et d’interventions est le volet « téléphonie et informatique ».

Initialement, ce volet avait été attribué à Megatel pour une somme de 2,6 milliards de nos francs. Mais la partie libyenne a eu à faire face à toutes sortes d’interventions pour lâcher ce volet au profit de proches du pouvoir. Devant le refus des Libyens d’obtempérer, le Premier ministre est lui-même monté au créneau pour signifier à la partie libyenne que le volet « téléphonie et informatique » est une question de souveraineté nationale et qu’il allait être déduit de leur marché. Selon Lahaou Touré, ce procédé est autorisé dès lors que les montants en jeu ne dépassent pas les 15 % du marché. C’est ainsi qu’un nouveau contrat a été octroyé à la société Ytelcom Engineering dans le cadre de ce qu’ils ont appelé le Réseau multiservices de communication gouvernementale. En plus, au lieu des 2,6 milliards initiaux, le montant est passé à 7,3 milliards.

Le hic dans cette affaire est que le nom du beau-fils de ATT, Mohamed Kéita, est lié à la société qui a bénéficié du nouveau contrat. Contacté par nos soins, l’intéressé a nié toute accointance avec Ytelcom. Mais sur la base de nos propres recoupements, nous pouvons affirmer que c’est par lui que cette société est venue au Mali et que c’est par lui que le marché a été obtenu (sa belle-mère Mme Touré Lobbo Traoré a joué un rôle prépondérant).
Tout comme nous savons que pour cette Cité, l’Etat a gagé le titre foncier de certains bâtiments publics comme la Primature, le ministère de l’Agriculture, le ministère des Domaines de l’Etat, le ministère de l’Equipement, le ministère de l’Administration territoriale et le terrain même de la Cité administrative.

A suivre…

Mohamed Daou
Aly Kéita

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