Enrichissement illicite : Ce que dit l’avant-projet de loi

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Mercredi prochain, le conseil des ministres examinera un avant-projet de loi préparé par le ministère de la justice sur l’enrichissement illicite. Si le conseil l’adopte, il sera soumis au vote des députés et entrera en vigueur après sa promulgation par le chef de l’Etat. Ce texte, dont votre journal s’est procuré copie, va assurément révolutionner les moeurs financières dans la sphère publique. En voici les détails.

Enrichissement  illicite et personnes poursuivables. L’article 2 du texte définit l’enrichissement illicite comme “l’augmentation substantielle du patrimoine” ou “un train de vie” que la personne concernée ne peut justifier par ses “revenus légitimes”. Selon l’article 3, sont susceptibles d’être poursuivis pour enrichissement illicite “toute personne physique civile ou militaire dépositaire de l’autorité publique, chargée de service public, même occasionnellement, ou investie d’un mandat électif; tout agent ou employé de l’Etat, des collectivités publiques, des sociétés et entreprises d’Etat, des établissements publics, des organismes coopératifs, unions, associations ou fédérations desdits organismes; des associations reconnues d’utilité publique; des ordres professionnels ; des organismes à caractère industriel ou commercial dont l’Etat ou une collectivité publique détient une fraction du capital social; de manière générale, toute personne agissant au nom ou pour le compte de la puissance publique ou avec les moyens ou ressources de celle-ci”. L’article 3, alinéa 2, range“toute personne morale” dans la catégorie des personnes poursuivables. L’article 6 soumet tout contrôleur de comptes publics à l’empire du texte légal.

 

 

De la déclaration de patrimoine. L’article 9 du texte oblige les agents publics à déclarer au président de la Cour suprême leur patrimoine avant d’entrer en fonctions et après avoir cessé leurs fonctions. La déclaration se fait suivant un modèle fixé par décret présidentiel. Le refus de déclaration ou les déclarations fausses entraîneront la révocation et des poursuites pénales. Pour bien spécifier les personnes tenues de déclarer leur patrimoine, l’article 8 dresse leur liste : ministres ou personnes ayant rang de ministres, chefs d’institutions, vérificateur général, médiateur de la République, gouverneurs, ambassadeurs, consuls généraux, préfets, sous-préfets, élus nationaux et locaux, directeurs nationaux, directeurs de services ou d’entreprises publiques, directeurs des finances des ministères, chefs des autorités de régulation, chefs d’états-majors et directeurs des services centraux de l’armée, de la garde, de la gendarmerie et de la police; directeurs et régisseurs des domaines, des impôts, des douanes, du trésor et des services assimilés; comptables ou agents financiers des collectivités locales, agents chargés de la passation des marchés publics…

 

 

 

Les poursuites et la procédure. L’article 6 du texte confie aux pôles économiques des tribunaux de 1ère instance la charge exclusive des poursuites judiciaires pour enrichissement illicite. Le procureur de ces pôles peut agir soit sur la base des déclarations de patrimoine reçues, soit suivant des plaintes ou dénonciations. Il peut aussi agir de son propre chef. Si l’enquête qu’il ordonne découvre des indices d’enrichissement illicite, le procureur convoque la personne intéressée et lui ordonne, sous peine de poursuites, de  prouver l’origine licite de ses biens dans un délai de 60 jours. Ce délai peut être prorogé de 30 jours au besoin. Si la personne convoquée ne comparaît pas ou n’apporte pas les justificatifs dans le délai requis, l’enrichissement illicite est réputé constitué (article 18). L’article 24 dispose que “le secret professionnel n’est jampais opposable” aux enquêteurs en matière d’enrichissement illicite. Et lorsqu’une enquête est ouverte, le procureur ou le juge d’instruction chargé du dossier peut confisquer tout ou partie des biens du suspect en vue de “garantir le paiement des amendes encourues ou, le cas échéant, l’indemnisation de la victime”. L’article 33 prévoit des circonstances atténuantes pour la personne qui, en cours de poursuites, avoue les faits et rembourse les sommes reprochées. La même clémence vaut pour la personne poursuivie qui aide les enquêteurs à découvrir des auteurs ou complices d’enrichissement illicite. Mieux, la personne qui, avant l’ouverture de toute enquête, aura révélé aux autorités judiciaires des faits d’enrichissement illicite ne sera pas poursuivie. Les citoyens sont, en somme, encouragés à dénoncer…

 

Les peines encourues. Les auteurs et les complices d’enrichissement illicite encourent les mêmes peines. Si l’enrichissement illicite est égal ou inférieur à 50 millions de FCFA, l’auteur écopera  d’un à trois ans de prison et  d’une amende égale au montant reproché. Si le montant reproché dépasse 50 millions de FCFA, la peine sera de 3 à 5 ans de prison et l’amende équivalente au double du montant reproché. L’article 37, alinéa 4, précise que le sursis à l’exécution de la peine ne peut être prononcé que si les montants reprochés ont été “intégralement remboursés”. L’article 38 stipule que le condamné peut, au-delà de la peine de prison, se voir retirer son passeport, interdire de sortir du territoire ou priver de ses droits civiques et politiques pendant une période ne dépassant pas 10 ans. En outre, la personne morale (société privée,  association ou parti) qui aura profité de l’enrichissement illicite commis par son représentant ou son dirigeant sera condamnée à payer le quintuple des sommes incriminées; il en ira ainsi même si les personnes morales en cause n’ont pas été condamnées comme complices ou auteurs de l’infraction. L’article 40 prévoit que les personnes morales susdites soient fermées pour 5 ans au moins ou dissoutes pour de bon.Dans tous les cas, les biens des condamnés seront confisqués pour faire face aux éventuels remboursements.

 

 

Le texte s’applique-t-il aux situations antérieures ?Question angoissante : le texte va-t-il frapper les faits d’enrichissement commis avant son entrée en vigueur ? La réponse est fournie par l’article 5 qui dispose : “L’enrichissement illicite est une infraction continue. Le délai de prescription ne court qu’à compter de la découverte des éléments constitutifs de l’enrichissement illicite. L’enrichissement illicite est une infraction réputée consommée par la seule continuation de ses effets”. En clair, bien que le texte ne bénéficie  pas d’une rétroactivité expresse, il frappera ceux qui se sont enrichis avant son entrée en vigueur puisqu’il s’applique aux “effets” présents de cet enrichissement antérieur.

 

 

 

On souhaite bien du plaisir aux agents publics et assimilés: avec une telle loi, mieux vaudrait manger son argent dans les toilettes puisque la moindre sortie en voiture luxueuse ou la moindre acquisition immobilière peut valoir un long séjour en prison ! Il y a cependant  lieu de se demander si les pouvoirs politiques ne s’adonneront pas à une application délibérément sélective du texte, juste pour éliminer les opposants à leur politique. Mais que le texte en projet soit adopté ou non, le ministre de la justice a, à tout le moins, le mérite de l’avoir proposé.

 

Tiékorobani

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3 COMMENTAIRES

  1. je ne vois pas les magistrats parmis les personnes citées pouvant etre poursuivies, pourtant c’est les plus corrompus de notre système. ❓ 😥 😥 😥 😥 😥 😥 😥 😥

  2. Vous avez été incapable d’inculper les personnes citées dans le rapport du Vérificateur, je ne me glorifie plus de rien, les bandits armés touaregs dont la justice lance des mandats d’arrêt contre eux se retrouvent à Koulouba diner, sans un bip de votre part, vous êtes la honte, vraiment encore une déception!!

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