Croisade contre la corruption : Les typologies d’infractions commises au Mali en 2009-2010

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Lors d’une conférence-débat organisée le 9 décembre dernier au Centre international de conférences de Bamako dans le cadre de la semaine nationale de lutte contre la corruption prévue du 8 au 14 décembre 2010, le procureur anti-corruption est pour une fois sortie de sa réserve pour donner au grand public non seulement les éléments de statistiques du pôle économique et financier de Bamako pour la période 2009-2010 mais aussi et surtout les typologies d’infractions commises au Mali pendant la même période.

Ces révélations n’avaient d‘autre but que de démontrer la pertinence de l’institution des pôles économiques et financiers par la loi 01-080 du 20 août 2001 portant code de procédure pénale dans le ressort de trois (03) cours d’appel au Mali, aux tribunaux de première instance de Kayes, Mopti et au tribunal de première instance de la Commune III du District de Bamako. Ces pôles économiques et financiers ont compétence pour connaître de la poursuite et de l’instruction d’infractions limitativement énumérées et portant sur la matière économique et financière y compris la corruption, à savoir : les faux en écriture, le faux monnayage, les atteintes aux biens publics, la concussion, le favoritisme, la prise illégale d’intérêt, le délit d’initié, le blanchiment de capitaux et toutes les incriminations définies par le code des douanes, le code de commerce, le code des impôts, la loi de finances et de la comptabilité.

Avec un parquet spécialisé dirigé par le procureur de la République ; d’une brigade d’investigation spécialisée dite brigade économique et financière comprenant des officiers et agents de police judiciaire de la gendarmerie et de la police nationale placée sous l’autorité du procureur de la République, de cabinets d’instruction spécialisés et surtout des assistants spécialisés en matière économique, financière, fiscale et douanière, les pôles économiques et financiers constituent véritablement un modèle d’organisation qui consacre la rupture avec une justice artisanale mal organisée et sans moyens face aux enjeux des dossiers économiques et financiers souvent obscurs et complexes. Il consacre le rapprochement des magistrats instructeurs relevant du siège indépendant avec les magistrats du parquet relevant de la chancellerie.

Ce montage juridique décrit par Sombé Théra dans le développement du thème «Rôle et mission des différentes structures impliquées dans la lutte contre la corruption et la délinquance financière : efforts déployés par le gouvernement en la matière» prouve s’il en est encore besoin qu’au centre de la lutte contre la corruption se trouve la justice, service public de l’Etat qui a en charge les pouvoirs de poursuivre et de juger les auteurs d’actes de corruption.

Face au sentiment d’impunité qui anime bon nombre de citoyens et d’observateurs, Sombé Théra rétorque en disant que la justice pénale est soumise au respect de sacro-saints principes notamment la présomption d’innocence, le secret de l’enquête et de l’information et des droits de la défense.

Parlant de la procédure elle-même, Sombé Théra fera savoir que le procureur de la République est la cheville ouvrière du pôle économique et financier. «A ce titre, il reçoit conformément aux dispositions de l’article 52 du CPP, les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner. Ces plaintes et dénonciations émanent soit des particuliers, des victimes, des structures de contrôle ou de la CASCA». Selon lui, les dénonciations émanant de la CASCA ont pour fondement les dispositions de l’article 58 du CPP qui dispose que toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public, qui dans l’exercice de ses fonctions, acquerra la connaissance d’un crime ou d’un délit, sera tenu d’en donner avis sur le champ au procureur de la République ou au JPCE territorialement compétent et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

 

Les éléments de statistiques pour la période 2009-2010

A en croire le procureur anti-corruption, Sombé Théra, le pôle économique et financier de Bamako croule sous les dossiers de 2009-2010.

 

Les affaires inscrites au registre spécial des plaintes

Elles sont au nombre de 74 dont 36 affaires correctionnelles toutes jugées à l’exception de 4 enrôlées pour novembre 2010 ; trente cinq (35) affaires criminelles, toutes imputées aux magistrats instructeurs ; trois (3) imputées aux magistrats instructeurs ; trois (03) affaires classées sans suite pour absence d’infraction à la loi pénale.

Les affaires criminelles transmises au procureur général près la cour d’appel de Bamako après clôture de l’instruction préparatoire

Elles sont au nombre de vingt et une (21) affaires. A en croire Sombé Théra, des assises spéciales ont été organisées par la Cour d’appel de Bamako courant janvier 2010 pour leur jugement.

Les affaires ayant fait l’objet de justification ou de versement au trésor public

Selon le procureur anti-corruption, Sombé Théra, elles sont au nombre de onze (11) pour l’année 2009 pour un montant de deux milliards deux cent soixante douze millions trois cent cinquante cinq mille quatre cent quatre vingt trois (2 272 355 483 F Cfa).

 

En 2010 (janvier  à septembre), la situation se présente ainsi qu’il suit :

Sommes justifiées par les pièces : trente huit millions sept cent soixante six mille cinq cent vingt deux (38 766 522 F Cfa).

Sommes versées au trésor public : quarante quatre millions quatre vingt et quatre mille sept cent cinquante trois (44 084 753 F Cfa).

Les rapports transmis par les structures de contrôle au parquet au titre des années 2009 et 2010

Selon Sombé Théra, ces rapports sont au nombre de quarante deux (42) tous transmis par la Cellule d’Appui aux structures de contrôle de l’administration (CASCA).

Au titre de ces rapports : huit (8) proviennent du contrôle général des services publics, trois (03) de l’inspection de l’intérieur, deux (02) de l’inspection des services judiciaires, un (01) de l’inspection de la santé, un (01) d’un cabinet d’expertise et vingt sept (27) du bureau du Vérificateur général.

 

Les typologies d’infractions

Différentes infractions ont été commises au Mali pendant la période 2009-2010. Il s’agit entre autres des atteintes aux biens publics par plusieurs modes opératoires. On dénombre : dix neuf (19) au titre des affaires inscrites au registre spécial des plaintes ; quinze (15) au titre des affaires transmises au procureur général.

 

Des faux en écriture et infractions connexes

On dénombre douze (12) au titre des affaires inscrites au registre spécial des plaintes, quatre (04) au titre des affaires transmises au procureur général.

Des trafics de drogues ou autres produits pharmaceutiques, de la corruption de fonctionnaires

On dénombre six (06) au titre des affaires inscrites au registre spécial des plaintes ; deux (02) au titre des affaires transmises au procureur général.

Du blanchiment de capitaux

On dénombre trois (03) au titre des affaires inscrites au régime spécial des plaintes.

 

De la contrebande

Elles sont au nombre de vingt (20) et proviennent essentiellement de la brigade mobile d’intervention des douanes. A en croire le président du pôle économique et financier de Bamako, Sombé Théra, la mise quasi-systématique en détention provisoire des prévenus et le recours à la procédure de flagrant délit pour leur jugement rapide participent à la protection de l’économie nationale.

Quant aux incriminations portant sur le terrorisme, l’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat et les pratiques frauduleuses constatées par l’autorité de Régulation des marchés publics et de délégation des services publics, Sombé Théra fera savoir qu’elles sont autant d’infractions qui laissent apparaître d’une part qu’au-delà du traitement des affaires de corruption et de délinquance financière, les pôles économiques et financiers connaissent aussi des affaires portant sur le crime organisé et la sûreté de l’Etat.

Il tiendra à indiquer aussi que la pénalisation du droit des marchés publics par la création du délit de favoritisme et la mise en place de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics et de Délégation des services public permettent de mettre à jour d’autres espèces de pratiques frauduleuses autres que le favoritismes, ces marchés publics restant le support privilégié de la corruption publique.

Quant au traitement des affaires généralement dites «affaires du bureau du Vérificateur général», Sombé Théra fera observer qu’au titre des rapports 2008 et 2009, le bureau du Vérificateur général n’a fait aucune dénonciation à son parquet (à l’exception de deux (02) non encore finalisées). Selon lui, ceci pourrait s’expliquer par la création au sein du bureau du Vérificateur général suivant décision N°026/20/10/BVG du 16 février 2010 d’une Cellule de saisine. En effet, expliqua-t-il, la nécessité d’articuler des faits circonstanciés et précis pouvant recevoir une qualification pénale s’impose à toute autorité dénonciatrice laquelle a par ailleurs l’obligation de joindre à la dénonciation tous les supports nécessaires. Ce faisant, les rapports sectoriels du bureau du Vérificateur général transmis au parquet du pôle économique et financier de Bamako par la CASCA sont toujours dans l’attente de la production des supports documentaires.

Il tiendra cependant à dire que sur dix neuf (19) rapport transmis par la CASCA à son parquet, des régularisations et justifications portant sur la somme de cinquante deux milliards trois cent neuf millions sept cent soixante quinze mille huit cent douze (52 309 775 812 F Cfa) ont été opérées par les structures contrôlées dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations diligentées par la primature. «Ces justifications ne feront pas obstacle aux investigations judiciaires opportunes» dira le procureur anti-corruption Sombé Théra.

Tel est l’état des lieux en ce qui concerne la lutte contre la corruption au niveau du pôle économique et financier de Bamako.

Birama Fall

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