En trois ans, l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite (Oclei) a transmis 21 enquêtes au Pôle économique pour un montant reproché de 22 milliards de FCFA. Cette information a été donnée à la presse lors d’un une journée d’échange et de sensibilisation des journalistes sur la corruption et l’enrichissement illicite dénommée « Oclei-Medias ». Tenue le 07 juillet dernier à Maeva Palace, elle était présidée par Moumouni Guindo, président de ladite structure.
Dans le cadre de la Journée africaine de lutte contre la corruption, instituée par le Conseil exécutif de l’Union africaine à Addis-Abeba en janvier 2017 pour commémorer la signature de la Convention africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, et célébrée chaque 11 juillet, l’Office central de lutte contre l’enrichissement Illicite (l’Oclei) a saisi cette occasion pour tenir une journée d’échange avec les journalistes afin de mieux expliquer leurs missions et difficultés.
Selon Djibril Kané, magistrat, président du pôle d’investigation de l’Oclei, à leur première année d’investigation, ils ont bouclé 5 dossiers dont 3 transmis à la justice. Il dira qu’ils ont également travaillé sur un dossier de la structure homologue du Niger, et qu’il y a d‘autres dossiers sur lesquels ils ont mené les enquêtes et en conclusion, ils ont été informés que ces dossiers ne relèvent pas de leur compétence. A en croire le président du pôle d’investigation, en 3 ans, ils ont transmis 21 enquêtes à la justice concernant 22 milliards de FCFA de montant reproché au total.
« Nous avons mené trois enquêtes au cours de l’année 2019, 6 enquêtes pour 2020 et 12 enquêtes pour l’année 2021. Les montants reprochés sont de 4 milliards pour 2019, 2 milliards pour 2020 et 16 milliards pour 2021 », a-t-il précisé.
D’après lui, la mission de l’Oclei est de ‘’mettre en œuvre l’ensemble des mesures de prévention, de contrôle, et de lutte envisagés au plan national, sous-régional, régional et international contre l’enrichissement illicite’’.
« Notre critère ce n’est pas le régime défunt ou le régime en cours. Nous prenons les déclarations, nous fixons les critères par rapport aux variations et ces critères nous permettent de poursuivre. Que la personne soit verte, jaune ou blanche », a-t-il indiqué.
Il sera conforté par son président, Moumouni Guindo, qui avait déclaré dans son discours d’ouverture que la compilation des rapports des structures de contrôle stipule que de 2005 à 2019, les irrégularités financières au détriment de l’Etat et des collectivités territoriales s’élèvent à environ 1 266 milliards de FCFA. Et cela, il a précisé que c’est suite à des détournements de deniers publics, de fraudes aux marchés publics, de gaspillages et de violations des textes. Selo lui, ces moyens financiers spoliés à l’Etat pouvaient suffire pour construire 264 hôpitaux de haut standing, 1767 centres de santé de référence et environ 42 ponts. Pour dire que ces actes de corruption impactent directement la qualité de vie des concitoyens et freinent les efforts de développement.
A en croire M. Kané, les choses ne se font pas au hasard. Après plainte ou dénonciation, ils procèdent à des vérifications et si les informations qu’ils ont leur permettent de continuer, ils vont pousser des investigations jusqu’à l’aboutissement de la vérité. Il rassure qu’à l’Oclei, il n’y a pas que des plaintes et dénonciations. Ils peuvent aussi s’autosaisir à travers des informations recueillies dans la presse ou dans d’autres canaux de communication. Ainsi qu’à travers l’exploitation des rapports des structures de contrôle et des déclarations de biens. L’Oclei mène des enquêtes administratives et des procédures judiciaires qui, par la suite, seront transmises au Pôle économique judiciaire.
« Nous avons difficilement accès à l’information »
Aux dires du président du pôle investigation de l’Oclei, les difficultés qu’ils rencontrent lors de leurs missions sont entre autres : la mauvaise organisation de l’administration et la mauvaise foi de certaines structures. Il se trouve qu’au cours de leurs enquêtes, ils adressent des demandes à des structures publiques ou privées. Avec la coopération, il s’est réjoui que les choses s’améliorent un peu plus, mais, quelques fois il dira qu’ils ont du mal à accéder aux informations. « Certaines administrations ont des fichiers mais qui sont mal organisés. Certaines structures peuvent refuser de coopérer en se disant si je donne de l’information concernant x, mon tour pourrait arriver un jour », a-t-il déploré.
Par ailleurs, il avoua que dans la composition des équipes d’investigations, qu’il y a des officiers de police judiciaire qui sont de la police et de la gendarmerie. Ils sont au nombre de 10 agents, précise-t-il, dont 5 de la police et 5 de la gendarmerie.
« Si une dénonciation est faite, on peut remonter au centime près. Nous avons les possibilités de savoir ce qu’un agent devrait avoir légalement. Maintenant, ce qui ne rentre pas dans le cadre de ce que nous savons légalement, on lui demande s’il a d’autres revenus qui rentrent dans la légalité et que nous ne savons pas », a expliqué Dr. Adama Coulibaly, magistrat, chef du service juridique de l’Oclei. Durant la journée, il a exposé le cadre juridique international et national de la lutte contre la corruption.
Pour lui, ce n’est pas une chose qui est faite au hasard, car, dit-il, le sens de leurs enquêtes est de savoir ce qu’un agent a, qu’est-ce qu’il devrait avoir. Est-ce qu’il y a problème ou pas. Il s’agit évidemment d’un agent de l’Etat.
Donc, pour qu’il y ait enquêtes et poursuites judiciaires d’enrichissement illicite, il faut l’implication d’un agent public, qui émarge au budget de l’Etat. Les agents privés peuvent également être atteints de complicité d’enrichissement illicite. « Il faut être en mesure de justifier tes biens, les dons et les cadeaux que vous recevez. À défaut, refuser de les prendre pour ne pas se retrouver inquiéter par l’Oclei », a-t-il précisé.
Cependant, il a souligné que le fait de ne pas se déclarer est une violation de la loi. Il invite donc les agents concernés à aller déclarer leurs biens à l’Oclei.
Le commissaire divisionnaire Badji Coulibaly, qui a présenté la mission de prévention et de sensibilisation de l’Oclei, ajoutera que depuis sa création jusqu’à ce jour, l’Office a mené plus de 2829 évènements. Si en 2017 il n’y a eu que 20 déclarations, il dira qu’en 2018, il y a eu 629 déclarations de biens contre 331 en 2019 et 253 en 2020. Une chute des tendances due à la mauvaise volonté de la part des assujettis. « Des activités de sensibilisation ont été menées et d’autres en cours pour augmenter la tendance », at-il dit.
Par ailleurs, dans son discours, Moumouni Guindo a signalé que l’apport des journalistes dans la lutte contre la corruption est jugé en-deçà des attentes par de nombreux observateurs. Et il a justifié cette insuffisance d’une part par la faiblesse de la collaboration entre les médias et les structures en charge de lutter contre la corruption ; et d’autre part par le déficit de formation des journalistes maliens sur les concepts de la corruption et l’enrichissement illicite. Une manière pour lui d’inviter les hommes de medias à s’impliquer davantage sur les problématiques de la corruption et de l’enrichissement illicite.
Moussa Sékou Diaby