Coopération en matière de santé et lutte contre la corruption : Après le Fonds mondial, le Fonds GAVI de 11 milliards de FCFA également mal géré

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Les partenaires techniques et financiers du Mali sont décidés à relever le défi de la transparence dans la gestion des énormes sommes d’argent qu’ils mettent à la disposition de notre pays dans le cadre de la lutte contre la maladie. Après que l’auditeur canadien Guy Bourassa soit retourné dans son pays, à la suite de sa mission menée dans toutes les structures du département de la Santé, voici que s’installe dans les locaux de la Direction administrative et financière du ministère de la Santé une autre équipe, celle du Fonds GAVI, dans le but de fouiner dans la gestion des 11 milliards de F CFA destinés à l’achat de vaccins et à la vaccination. 

En effet, c’est le Directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme qui a donné l’alerte. On se rappelle que le ministre de la Santé, Oumar Ibrahima Touré, dans une note remise aux médias et que votre quotidien a publiée dans sa parution n°2546 du lundi 16 août 2010, ce dernier fustigeait, dans sa correspondance n°392-MS-CAB du 3 août 2010, le comportement du Directeur exécutif dudit fonds, Michel Kazatchkine, considéré comme le propagateur  de "rumeurs tendancieuses" dans le but de "souiller le Mali".

 

    Le ministre de la Santé ajoutait : "L’ampleur des rumeurs a été telle que certains de nos partenaires techniques et financiers parmi les plus importants ont décidé de surseoir au décaissement des contributions dont les requêtes leur ont été régulièrement adressées. Aussi, dans le cadre du partenariat sincère et constructif, vous voudriez bien me fournir l’information exacte par rapport à cette situation en même temps que les copies des rapports des différentes missions effectuées dans mon département sous l’égide de votre institution ".

 

Le mot est lâché : le ministre même avait autorisé que des missions soient effectuées dans son département sous l’égide du Fonds mondial. Comme on le voit, les partenaires ne sont pas venus s’installer sans permission dans les locaux du ministère de la Santé. Depuis l’aéroport, ils ont été accueillis et conduits par des chauffeurs du département, dans des voitures appartenant à des services du ministère de la Santé. Et ce sont les mêmes responsables qui ont mis à leur disposition des bureaux notamment à la DAF du ministère de la Santé afin qu’ils soient à l’aise dans l’exécution de leur mission, si importante pour le Mali également. C’était en novembre 2009. Mais il faut dire qu’à l’époque, le ministre de la Santé pensait avoir bouché le trou quand il avait prélevé 140 millions de F CFA des caisses du Trésor public pour rembourser les sommes détournées par le comptable de la DAF, Ichiaka Diallo, en charge du Fonds mondial. Il faudra également rappeler que ce sont les inspecteurs du Fonds mondial qui avaient décelé ce trou  au niveau de la DAF et non le ministère de la Santé qui, cela est vrai, s’est après empressé de porter plainte contre l’indélicat gestionnaire. Avec certainement l’espoir que tout allait s’arrêter là.    

 

Au terme de cette première mission, le constat des inspecteurs du Fonds mondial avait été que la lutte contre le VIH-SIDA, menée principalement par le Haut conseil national de lutte contre le sida (HCNLS), rattaché à la présidence de la République, avait atteint des résultats appréciables ; celle contre la tuberculose avait été notée passable et celle contre le paludisme nul. Cette information donnée par le Chef de la mission des inspecteurs du Fonds mondial était passée presque inaperçue.

 

A l’époque, le ministre de la Santé se trouvait en mission à l’extérieur du Mali. Et cette information, par rapport à la lutte contre la tuberculose et le paludisme, n’a jamais été démentie. Pourquoi un résultat nul, alors que ce sont des sommes faramineuses qui sont injectées, tant du Budget national que sur financement des partenaires, dans la lutte contre la tuberculose et le paludisme. La réalité étant qu’une bonne partie de ces sommes sont, directement ou indirectement, détournée. Comment atteindre dans ces conditions les résultats escomptés ? Et cette situation a embarrassé les partenaires techniques et financiers qui ont commencé à s’interroger : où va alors tout cet argent ? D’où la mission d’investigation, composée d’une douzaine de personnes, que le Fonds mondial a décidé, alors, d’envoyer dans notre pays en début du mois de septembre 2010, avec à sa tête le Canadien Guy Bourassa, un auditeur de réputation mondiale.

 

La gestion du HCNLS épinglée 

 

Après avoir fait le tour des services de la Santé, bénéficiaires des subventions du Fonds mondial, sur toute l’étendue du territoire national, la mission de Guy Bourassa a également passé au peigne fin la gestion du Haut conseil national de lutte contre le sida (HCNLS), dirigé par Malick Sène, un ancien fonctionnaire international. Apparemment, au niveau de cette structure le comportement de Guy Bourassa n’a pas plu. Pourquoi ?

Il semblerait qu’il soit arrogant voire méprisant. Mais surtout exigeant. On dit qu’il a été si dur avec un opérateur économique, traitant avec le ministère de la Santé, que ce dernier a perdu carrément le nord avant de s’asseoir véritablement à table : c’est là où il aurait eu à accuser de hauts responsables de la Santé avec lesquels il a partagé les sous perçus des marchés surfacturés et fictifs. Même le ministre de la Santé, Oumar Ibrahima Touré, n’aurait pas été épargné.

 

Si cet opérateur économique (dont nous taisons volontairement le nom) est aujourd’hui en prison avec notamment le Directeur administratif et financier du ministère de la Santé, Ousmane Diarra, est-ce la faute à Guy Bourassa qui n’a fait que son travail? C’est pourquoi, d’ailleurs, le Procureur anticorruption Sombé Théra, est sorti de sa réserve pour déclarer, les 3 et 4 septembre 2010, à la télévision nationale, que "le Bureau de l’Inspecteur général du Fonds mondial a compétence pour mener des investigations sur tout le processus de gestion des fonds appartenant au Fonds mondial. Ce Bureau de l’Inspecteur général a eu, d’abord, à travailler avec le ministère de la Santé quand il s’est agi des premières malversations…A l’issue de leurs investigations, ils ont déposé un rapport au niveau du juge d’instruction en charge du dossier. Ce rapport intitulé rapport intérimaire que nous appelons rapport d’étape a été déposé sous le sceau de la confidentialité. Pour des raisons d’ordre juridique, nous ne pouvons pas révéler le contenu de ce rapport. Ce rapport, qui a été déposé au niveau du juge d’instruction est très  détaillé. Sont annexés à ce rapport 55 000 documents qui sont quasiment tous relatifs à des cas de malversations que ces enquêteurs ont eu à constater au cours de leurs investigations. C’est lorsque le juge d’instruction, ayant eu possession de ce rapport,  a cru devoir, sur réquisition supplétive du ministère public, c’est-à-dire du Procureur que nous sommes, a donc procédé à de nouvelles inculpations et a aussi procédé à des mesures de mise en détention provisoire ".

 

C’est dire que c’est la justice malienne, elle-même, qui a mis sous les verrous certains des cadres et agents du département de la Santé et non Guy Bourassa. Et le ministre de la Santé, Oumar Ibrahima Touré, a été lui-même entendu par la justice dans le but d’éclairer la lanterne des juges dans cette affaire qui va continuer -pour longtemps encore certainement – de défrayer la chronique. Selon des sources concordantes, la mission Guy Bourassa a été très déçue de la gestion également du HCNLS, qu’on croyait en dehors de la magouille et des détournements. Et cela à cause justement de son niveau de rattachement. 

 

Une autre grosse affaire de détournement

 

Depuis le 18 octobre 2010, une autre mission d’inspection se trouve dans les murs du ministère de la Santé. Cette solide équipe d’inspecteurs s’est fait accompagner, dans sa mission d’enquêtes de plusieurs semaines dans notre pays, par le Bureau du Vérificateur général.

C’est ainsi que Sidi Sosso Diarra, l’intrépide Végal, a mis à la disposition de cette mission l’un des vérificateurs les plus talentueux, en la personne de Moumouni Guindo.  Sans tambour ni trompette, cette équipe mixte est en train de débusquer tous les cas de malversations et de détournement opérés au niveau du Fonds GAVI au ministère de la Santé. A cette étape, la situation serait catastrophique. On parle même de cataclysme au vu de l’énormité des dégâts au niveau de ce fonds qui est de l’ordre de 11 milliards de F CFA octroyés, de 2000 à 2010, à notre pays par l’Alliance GAVI et ses partenaires.

Le rapport qui sera produit à l’issue de cette mission risque d’être plus explosif que celui du Fonds mondial derrière lequel le ministre de la Santé court toujours. Sans jamais l’obtenir.

 

Rappelons qu’en août dernier, l’Alliance GAVI avait gelé près de 1,5 milliard F CFA, après avoir découvert plusieurs "faiblesses" dans le système de contrôle financier des fonds logés à la Direction administrative et financier (DAF) du ministère de la Santé. C’est ce qui a, d’ailleurs, précipité l’envoi des inspecteurs, appuyés par le Bureau du Vérificateur général, dans les différents services du département de la Santé. D’ores et déjà, la mission aurait décelé plusieurs dysfonctionnements au niveau du ministère de la Santé par rapport à la gestion des fonds destinés à l’acquisition de vaccins et à la vaccination. Lesquels ? Ces informations seront bientôt disponibles.

 

Rappelons que l’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination, connue sous le nom de GAVI, est un partenariat public et privé, visant à élargir l’accès des enfants aux vaccinations dans les pays pauvres. Parmi les partenaires, on compte des gouvernements, l’UNICEF, l’OMS, la Banque Mondiale, la Fondation Bill et Melinda Gates, l’industrie pharmaceutique productrice de vaccins, des institutions de santé publique et des organisations non gouvernementales (ONG).

 

La mauvaise gestion est passée par là également. D’où le gel de tous les décaissements y compris ceux concernant le palu et la tuberculose du Fonds mondial. Nous avons en face un cocktail explosif : quand la mauvaise gestion des fonds d’origine étrangère est devenue réelle au ministère de la Santé.

C’est dire que le Mali a désormais le couteau sous la gorge. Il est temps que les autorités se lèvent pour prendre le taureau par les cornes afin que les  populations ne soient à court de médicaments, de vaccins ou de matériels de vaccination. Et  reprendre langue avec les partenaires au lieu de chercher à les vilipender au motif que certains d’entre eux seraient irrespectueux…

Et cela pendant qu’il est encore temps.

 

Mamadou FOFANA

 

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