L’une des raisons invoquées pour justifier la chute du régime de Moussa Traoré avait été la corruption. Qui ne se rappelle pas alors de l’exigence du ‘kokajè’ réclamé par le peuple alors en ébullition ? La soif de changement en matière d’exercice du pouvoir l’avait amené à chanter à l’occasion des batailles de rues, son refus de l’ancien et sa quête d’un monde nouveau «An tè korolen fè fo kura».
Les châteaux de la sécheresse et autres indélicatesses du régime défunt avaient été fortement dénoncés à l’époque. Les libertés prises par rapport à la gestion des deniers publics, le détournement des aides internationales, la non transparence dans l’attribution des marchés publics et les nombreux délits d’initiés, la violation des textes et règlements, des procédures légales, les nombreux abus de pouvoir avaient fini par discréditer largement un régime qui ne se maintenait plus que par la férocité de sa répression. Sa chute sanglante en Mars 91 avait soulevé d’immenses espoirs au niveau des Maliennes et des Maliens.
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Qu’en dire aujourd’hui, plus de 16 ans après ? Qu’est-ce que l’ère ‘démocratique’ nous a apporté en matière de corruption et de lutte contre la corruption ? A-t-elle contribué à un assainissement salutaire de la gestion du domaine public ou a-t-elle au contraire aggravé la situation voire ‘démocratisé’ la corruption ? L’injustice et l’impunité qui avaient poussé les populations à la révolte, ont-elles connu un recul notable ou au contraire sont-elles devenues la norme courante, la voie royale vers l’ascension sociale ?
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Dans la Première République, au début des années 60, la corruption semblait être un phénomène assez marginal. Elle n’était point le trait distinctif du régime. Bien au contraire. Le sentiment patriotique était si élevé et la conscience citoyenne si forte que la corruption était synonyme d’infamie. Des individus soupçonnés d’indélicatesses avaient préféré à l’époque, se suicider plutôt que de connaître l’humiliation de la prison pour des faits de corruption.
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Mieux, la volonté politique nettement affichée de lutter contre la corruption et l’enrichissement illicite avait conduit le régime à mener des campagnes vigoureuses de lutte contre la corruption, suivie de purges au sein de l’appareil administratif et politique d’alors. Il est vrai que les plus hauts responsables de l’époque s’évertuaient à donner l’exemple par leur comportement quotidien dans la gestion des affaires publiques. L’idéal révolutionnaire et la morale socialiste en étaient le fondement.
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Le coup d’Etat de Novembre 1968 porta un coup rude à l’éthique publique. Ce fut la ruée générale vers les coffres forts de l’Etat, la prise de contrôle des secteurs juteux de l’économie, le parachutage à la tête des entreprises publiques de cadres à la solde du régime. On connaît la suite. Les programmes d’ajustement draconiens imposés par les bailleurs de fonds consécutivement à la gestion calamiteuse de l’économie nationale.
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Cependant, au regard de ce qui se passe à l’ère ‘démocratique’, la corruption sous la dictature militaire semble être un fait ‘d’amateur’. Avec la démocratie, elle est passée du stade de l’artisanat à celui de l’industrialisation. Si elle était auparavant le fait exclusivement des élites, à l’heure de la démocratie, elle est devenue une pratique largement populaire, un ‘sport national’.
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La corruption a aujourd’hui largement gangrené le tissu social, notamment dans sa forme la plus pernicieuse, pudiquement appelée ‘débrouillardise’. Elle a atteint toutes les catégories sociales, toutes les couches sociales, toutes les classes sociales.
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La ‘petite’ corruption, petite en raison du fait qu’elle porte sur des montants peu élevés, est devenue un fait banal, une pratique presque ‘normale’ de nos jours. Elle fait désormais partie des mœurs de la cité. Le ‘prix de la cola’, s’inspirant de la tradition de courtoisie à l’égard des aînés, est devenu un moyen de s’assurer les faveurs de l’administration. Il permet d’accélérer la procédure, d’éviter un rejet, d’obtenir rapidement la signature requise. Parfois, il occasionne des entorses à la règlementation et à la loi, la falsification des dossiers. Son montant varie en fonction de l’importance du service sollicité.
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La crise économique et sociale généralisée, les bas revenus, les salaires insuffisants, la quête difficile du pain quotidien ont transformé cette civilité des temps anciens en un moyen d’obtention voire, d’extorsion de ressources ‘complémentaires’. Sa banalisation en a fait une pratique presque anodine. Le ‘prix de la cola’ est devenu presque une institution. Point besoin de le réclamer, il est désormais une exigence, un dû. Sa monétarisation de plus en plus accentuée a profondément bouleversé la mentalité des populations. Il s’est désormais inséré dans l’inconscient collectif et certainement pour longtemps.
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La petite corruption a radicalement changé la mentalité populaire. La perte du sens des valeurs, la dureté des conditions d’existence, l’effritement de la solidarité familiale, et le relâchement des mœurs ont gravement entamé le crédit moral de la société. Le processus de marchandisation globale a brisé toutes les autres considérations. Tout est devenu vendable et achetable.
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Si la petite corruption s’est généralisée, la grande reste concentrée surtout au niveau des élites. Si la petite corruption concerne des montants peu élevés, la grande fait rêver, au regard de sommes faramineuses en jeu. Si la petite se nourrit de la grande, cette dernière sape les fondements mêmes de l’économie nationale et met, par conséquent, en danger toute la communauté.
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Il est établi depuis lors, que les secteurs touchés par la grande corruption au Mali couvrent essentiellement la fraude fiscale, la fraude douanière et les marchés publics. Elle implique directement l’appareil d’Etat et certains opérateurs économiques. Malgré la politique de privatisation des entreprises publiques, l’Etat reste encore un interlocuteur incontournable sur le plan économique. La faiblesse structurelle de l’économie nationale, le peu d’envergure des capitaux nationaux en termes de capacité d’investissements, le défaut d’esprit d’entreprise, de capitaine d’industrie rendent les opérateurs économiques fort peu indépendants des pouvoirs publics. Dans bien de cas, bon nombre d’entre eux servent de ‘prête-noms’ à des décideurs politiques et administratifs embusqués dans les plus hautes sphères de l’Etat.
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La démocratie a en fait aggraver la collusion entre le pouvoir politique et les milieux d’affaires. On peut même dire sans risque de se tromper que le système politique sur lequel repose l’appareil d’Etat est lui-même bâti sur la corruption. Elle est devenue essentielle à la survie du système en place. Elle le nourrit, l’entretient quotidiennement. Politique, Etat et corruption sont devenus des ‘identités remarquables’. Ils forment une trilogie infernale qui semblent tout conditionner, tout déterminer dans le Mali ‘démocratique’.
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Au début de la période ‘démocratique’, si elle faisait subir au Trésor public plus de 10 milliards de francs Cfa en moyenne par an, au regard des faibles capacités des structures de contrôle, de nos jours elle a coûté au pays près de 103 milliards de nos francs entre 2002 et 2006, soit l’équivalent de 69% de la masse salariale annuelle ou 2 fois le budget annuel d’équipement de l’administration publique, selon le dernier rapport du Bureau du Vérificateur. Et cela n’est que le résultat des 27 missions organisées en 2006. C’est dire que le phénomène porte sur des sommes inimaginables.
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Quant à la lutte contre la corruption, elle reste encore du domaine des proclamations de bonne foi. Episodiquement, en réponse à la montée des dénonciations de l’opinion publique et des pressions des bailleurs de fonds, on organise des opérations spectaculaires de lutte contre la corruption. Quelques barons du régime en disgrâce en font des fois, les frais. Arrêtés et embastillés avec force publicité, ils déménagent en prison avec matelas, tapis, téléphones portables, bref tout le confort auquel ils sont habitués. Leurs lieux de détention deviennent des lieux de visite où sont déposés toutes sortes de plats. C’est la fête pour les autres détenus et gardiens de prison. Très vite, la liberté provisoire est obtenue. Les dossiers d’accusation disparaissent comme par magie. Les preuves laborieusement accumulées s’envolent. La liberté provisoire se transforme rapidement en ‘non lieu’. L’affaire est classée sans suite. Le coupable devient finalement la victime. Il réclame des fois des dédommagements qui frisent l’insulte. L’impunité devient ainsi leur privilège exclusif.
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Il arrive des fois que de simples complices, des menus fretins payent à la place des ‘‘gros caïmans’’. On profite de l’occasion pour se débarrasser des concurrents ou des adversaires politiques potentiels. Le verdict tombe rude et sec alors que, cette fois-ci, le dossier est vide en réalité.
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La lutte contre la corruption a été jusqu’ici un instrument de chantage et de règlement de compte politique. Elle permet à terme de s’assurer de la docilité des cadres et des élites. Elle autorise le contrôle et la manipulation de la classe politique. Elle est donc à la fois une arme de dissuasion et d’intégration dans le sérail politique. La corruption devient ainsi le sésame qui ouvre la porte des ‘initiés’ du pouvoir d’Etat.
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Il en restera ainsi aussi longtemps que la politique restera la voie royale en vue de l’ascension sociale. Quand la politique devient un gagne-pain, le passage pour un mieux-être individuel, elle rimera toujours avec la corruption.
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Est-il possible de mettre fin un jour, à ce couple infernal ? La réponse appartient certainement aux peuples concernés !
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Pr. Issa N’DIAYE
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NB : Le titre est de la rédaction
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21 septembre 2007
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