Après la publication d’un essai retentissant dans L’Indépendant du lundi 27 juin dernier, l’un des plus éminent membres du Barreau malien, Me Mamadou Ismaila Konaté, revient à la charge. En nous recevant dans son luxueux cabinet, sis à l’ACI 2000, il a, une fois de plus, dénoncé comme " anti-légal " le fait que l’ex-ministre de la Santé, Oumar Ibrahima Touré, inculpé notamment de crime d’atteinte aux biens publics dans l’affaire dite du Fonds mondial, soit traduit devant la Chambre civile de la Cour Suprême et non la Haute Cour de Justice. De ce fait, l’on se demande, si l’argumentaire du célèbre avocat est fondé, comment la très respectable juridiction qu’est la Cour suprême pourrait, les yeux ouverts, enfreindre les lois de la République.
Selon Me Mamadou Ismaila Konaté, " le dossier concernant l’ex-ministre de la Santé, Oumar Ibrahima Touré, est semble t-il " parti " d’un cabinet d’instruction au parquet général de la Cour suprême du Mali puis vers le Bureau de cette haute juridiction. Une Chambre civile de la Cour suprême a été désignée. Elle semble avoir déjà procédé à l’inculpation du ministre qu’il a d’ailleurs mis sous un contrôle judiciaire ". Est-ce bien la bonne procédure que de désigner une Chambre civile près la Cour suprême ? Si oui, quelle est la base juridique de cette saisine ? Quelle est la base légale de la poursuite ainsi mise en œuvre ?
D’après l’avocat, d’un point de vue strictement procédural, il semble que cette poursuite se fonde, bien à tort, sur les dispositions de l’article 616 du Code de procédure pénale du Mali. En effet, ce texte indique que " lorsqu’une personnalité ayant rang et prérogatives de ministre…est susceptible d’être inculpé d’un crime ou d’un délit dans l’exercice de ses fonctions, le procureur de la République compétent ou le magistrat qui le remplace réunit les éléments d’enquête et transmet sans délai le dossier au procureur général près la Cour suprême qui apprécie la suite à donner. S’il estime qu’il y a lieu à poursuivre, le procureur général requiert l’ouverture d’une information. A cet effet, il saisit le bureau de la Cour suprême aux fins de désignation d’une Chambre civile pour connaître de l’affaire ".
D’après Me Konaté, la démarche " judiciaire " décrite ci-dessus, si elle est véritablement celle qui est réellement mise en œuvre, serait totalement erronée en droit mais aussi contraire à la loi pénale qu’elle viole, notamment dans ces dispositions relatives à la compétence qui est, dans cette matière, d’ordre public et strict. De plus, une telle démarche procède d’une méconnaissance de la disposition contenue dans l’article 613. Ce texte, le seul applicable aux ministres, donc à Oumar Ibrahima Touré, lorsqu’ils sont " …susceptibles d’être inculpés à raison des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que leurs complices en cas de complot contre la sûreté intérieure de l’Etat sont justiciables de la Haute Cour de Justice dans les formes et conditions définies par la loi fixant la composition, les règles de fonctionnement de la Haute Cour de Justice et la procédure suivie devant elle ". Peut-on soutenir la " non effectivité " de la Haute Cour de Justice pour violer la loi ? Cette interrogation du célèbre avocat n’a pas été contredite pour l’instant, avant de rappeler que "la Haute Cour de Justice existe dans notre pays et devrait se mettre en place et siéger à l’occasion ".
La Cour suprême n’est pas fondée à juger l’ex-ministre
En effet, selon la Constitution du 25 février, en son article 95 " la Haute Cour de Justice est compétente pour juger le président de la République et les ministres mis en accusation devant elle par l’Assemblée nationale pour haute trahison ou à raison des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que leurs complices en cas de complot contre la sûreté de l’Etat. La mise en accusation est votée par scrutin public à la majorité des 2/3 des Députés composant l’Assemblée Nationale. La Haute Cour de Justice est liée par la définition des crimes et délits et par la détermination des peines résultant des lois pénales en vigueur à l’époque des faits compris dans la poursuite ". Et l’article 96 de préciser que " la Haute Cour de Justice est composée de membres désignés par l’Assemblée nationale à chaque renouvellement général. Elle élit son président parmi ses membres.
La loi fixe le nombre de ses membres, les règles de son fonctionnement ainsi que la procédure suivie devant elle ".
Pour Me Konaté, le président de la République et les ministres du Gouvernement ne sont justiciables d’aucune autre juridiction que de la Haute Cour de Justice. Dès lors, comment comprendre alors que l’ex-ministre de la Santé, Oumar Ibrahima Touré, inculpé de crimes d’atteinte aux biens publics, de détournement de deniers publics, faux et usage de faux, favoritisme et complicité de favoritisme, dans l’affaire de détournement de quelque deux milliards F CFA du Fonds mondial soit poursuivi devant la Cour suprême et non devant la Haute Cour de Justice comme le prévoit la Loi fondamentale de notre pays?
Les plus hautes autorités interpellées
La question que se pose l’homme de la rue est de savoir si les propos de Me Konaté sont fondés en droit et convaincants en pure logique juridique – et le contraire surprendrait – : comment la haute juridiction qu’est la Cour suprême pourrait-elle être amenée à fouler au pied une disposition fondamentale contenue dans la Constitution ? Quels intérêts pourraient avoir les autorités judiciaires à contempler cette situation sans broncher ? Maintenant quelles sont informées, vont-elles changer de fusil d’épaule et renvoyer le ministre en question devant la juridiction compétente, c’est-à-dire la Haute Cour de Justice ?
Voilà une série d’interrogations qui interpellent les plus hautes autorités de notre pays. Qui n’ont aucun intérêt à organiser un simulacre de procès dont le verdict sera contesté par la suite par une institution qui suit cette question de très près. Pour Me Mamadou Ismaël Konaté, le fait de vouloir juger l’ex-ministre par une Chambre civile de la Cour suprême revient à conduire un accidenté à la jambe fracturée devant un gynécologue et non devant un chirurgien. Dans ces conditions, comment s’étonner que cet accidenté rende l’âme à la suite de gangrène et parce qu’il aura été mal " aiguillonné ". C’est presque le cas présentement. Un ministre est amené devant une juridiction qui sait, en âme et conscience, qu’elle n’est pas qualifiée pour le juger. Mais qui laisse faire et se plie au jeu. Quitte à se faire prendre à son propre piège par la suite. Une fois le dégât fait.
Maharafa doit revoir sa copie
En tout cas, Me Konaté est formel, et certainement qu’il n’est pas le seul à constater cette entorse à notre Constitution et aux lois de procédure. Selon lui " aucune autre procédure ne peut être envisagée et n’est d’ailleurs envisageable à l’égard d’un ministre de la République poursuivi pour des faits qualifiés de crimes ou délits dans l’exercice de ses fonctions que celle contenue dans les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale ".
Après cet éclairage de Me Konaté, le ministre de la Justice, Marahafa Traoré, devra certainement revoir sa copie et pourquoi pas, jeter un coup d’œil à la Constitution. En se pliant, le cas échéant, à ses nobles prescriptions qui s’imposent à tous. Les faits reprochés à l’ex-ministre de la Santé se sont déroulés au moment où il exerçait ses fonctions ministérielles.
D’où sa comparution devant la Haute Cour de Justice qui est fondée en la matière. Et non la Cour suprême dont les missions sont claires. A défaut de violer la Constitution. Ce qui serait un précédent fâcheux.
Mamadou FOFANA