Le soulèvement populaire de mars 1991 découlait, essentiellement, de l’exaspération du peuple malien face à l’enrichissement illicite et à l’impunité dont jouissaient une minorité de privilégiés. " Kokadjè " ou " laver jusqu’à la propreté " était l’un des slogans des manifestations. Qu’en est-il aujourd’hui?
Ils attendaient du changement survenu la création d’emplois afin que les revenus ainsi acquis leur permettent de contribuer à l’éducation de leurs enfants, d’accéder aux soins de santé, au logement et à l’eau potable. Gérer de manière transparente et responsable, les sommes qui ont été injectées dans l’économie malienne depuis l’avènement de la Troisième République aurait, dans une large mesure, atténué le dénuement matériel, la faim, la maladie et l’envie d’émigrer. Malheureusement pour le peuple malien, les finances publiques constituent le butin dont la convoitise est au cœur du jeu politique.
Le choix ou la répartition des postes ministériels, entre les partis au sein du gouvernement, donne lieu à des débats houleux et souvent explosifs, précisément parce que la conquête du pouvoir, au lieu d’être motivée par un idéal de société, rime avec l’accès facile aux deniers publics. Aucun(e) Malien(ne) ne se trompe plus sur la marchandisation de la vie politique et du système judiciaire. La Banque mondiale qui fait partie du problème dans la mesure où elle prêche le tout-marché souligne ce qui suit : " … La corruption au Mali est systémique et pernicieuse en raison du système de clientélisme politique, qui fait que les postes officiels sont attribués à ceux qui produisent des rentes pour leur patron, pour le parti politique ou pour eux-mêmes.
Les carences des systèmes de contrôle permettent aux agents de l’Etat de voler des biens et des fonds, ou de monnayer l’influence de l’Etat. "Démocratie, Etat de droit, lutte contre la pauvreté sont visiblement des vœux pieux d’autant plus que l’enrichissement illicite demeure impunie: Bien que la loi prévoie des sanctions, les représentants de la Banque ont eu connaissance de cas où la malversation n’a pas été sanctionnée. Les rapports du Contrôle général d’Etat citaient des actes illicites qui n’ont jamais été punis, bien que les rapports aient été remis à la présidence et transmis aux ministères pour qu’ils y donnent la suite voulue…" La corruption est, en fait inhérente au modèle économique dominant qui nous est imposé par les puissants de ce monde. " Entrez dans le marché et enrichissez-vous individuellement ", semblent avoir compris les Malien(ne)s et plus précisément le monde des affaires et de la politique qui sont liés.
Les dirigeants des années 60 qui ont certainement commis des erreurs, étaient, dans l’ensemble, des hommes scrupuleux parce qu’ils avaient une vision politique, une conscience sociale et politique et un ancrage culturel.
Aux générations suivantes de dirigeants, les maîtres du monde ont fait admettre que l’Etat devait se désengager et céder la place aux opérateurs privés tant dans la production comme dans la distribution. Le capitalisme mondial n’était pas encore entré dans sa phase actuelle qui concentre tout entre les mains d’une poignée d’entreprises transnationales. Et le secteur privé local, était essentiellement composé de commerçants, plus doués pour l’importation que pour la création de valeur ajoutée au niveau local et l’exportation de services. La tentation pour l’élite politique et bureaucratique d’acquérir les entreprises à privatiser a vu le jour et a grandi d’autant plus aisément que les " privatiseurs/acquéreurs " se tiennent mutuellement. Une concurrence déloyale s’est, depuis lors, installée entre les véritables acteurs privés et les décideurs politiques qui ont un pied dans le public et un autre dans le privé. Il suffit de trouver des prête-noms pour que les passations de marchés publics se déroulent dans l’intérêt des seconds qui sont juge et partie.
Les ressources des entreprises d’Etat ont été dilapidées pendant que les couches sociales qui n’avaient pas d’attache avec la classe dirigeante, voyaient leurs conditions de vie et celles de leurs enfants se détériorer de jour en jour. Cette collusion entre le politique et l’économique au lieu de reculer, s’est exacerbée avec " l’ouverture démocratique ", la plupart des partis politiques et des candidats au pouvoir ayant compris que la survie, dans nos économies démantelées et téléguidées de Washington, dépend des marges de manœuvre que l’on parvient à s’assurer dans la politique. D’où la centaine de partis politiques et la pléthore de candidats aux élections présidentielles. De fil en aiguille, l’appétit venant en mangeant, la course au pouvoir, à travers les élections, est devenue synonyme de course à l’argent.
Tout le monde aura compris que la plupart des électeurs vendent leurs voix à des politiciens qui les achètent. Ce jeu cupide est sans fin puisque les premiers exigent d’être récompensés en cas de victoire des seconds. L’Etat que les tenants du système capitaliste voulaient évincer coûte que coûte s’occupe plus que jamais de l’économie et de la pire des manières : il ne s’agit plus de produire mais de vendre le Mali tout en se servant soi-même. Ce sont des entrepreneurs politiques qui libéralisent en se portant acquéreurs des biens publics ou en en faisant profiter les membres de leurs partis et de leurs familles.
Il en résulte un secteur privé national qui n’a pas les moyens d’être compétitif à moins d’être un relais pour les multinationales. En fait, il en est de la lutte contre la corruption comme des autres aspects de la reconstruction économique et sociale du Mali : les constats sont indiscutables mais les énoncés erronés. Si bien que les solutions préconisées sont, la plupart du temps, sans issue.
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