La gestion financière de l’Ambassade du Mali à Rome en Italie est sans appel : surfacturations à la pelle, vols et détournements de fonds. Auxquels s’ajoute, l’autoconsommation des recettes de la chancellerie, d’année en année. Au tant de pratiques qui selon un rapport d’audit financier ont précipité la représentation diplomatique du Mali à Rome dans l’abîme. Avec à la clé, un trou béat de 284 millions FCFA (284 151 956F) dans la caisse pendant les exercices 2015, 2016, 2017 et 2018 (1er semestre).
Élaboré par des experts, chargés de faire toute la lumière sur la gestion calamiteuse de ces fonds, ce dossier épingle l’ancien Ambassadeur du Mali à Rome, Son Excellence M. Bruno Maïga (ancien ministre de la Culture), qui a pris fonction, le 18 février 2015 au 24 décembre 2018. Mais aussi, l’actuelle Secrétaire Agent Comptable (SAC) de la chancellerie autrement appelé, Cheffe Comptable, Mme Touré Fatma Maïga, en fonction depuis le 10 juin 2014.
À l’issue de leurs investigations, les enquêteurs sont tombés, à leur corps défendant, sur des zones d’ombre dans la gestion de ces 284 millions de francs CFA.
La chancellerie, entre parenthèses
L’Ambassade du Mali à Rome dans son histoire n’a jamais connu une telle hémorragie financière. Pire, elle n’a jamais été confiée à des personnalités aussi controversées que l’Ambassadeur sortant, M. Bruno Maïga et l’actuelle SAC, Mme Touré Fatma Maïga. Les caisses ont coulé. Comme un fleuve dans son lit. Et les détournements n’ont pas été comptabilisés en dizaine de millions. Mais en centaines de millions de nos francs.
La représentation diplomatique du Mali à Rome de 2015 à 2018 n’a pas seulement perdu de sa superbe. Elle a été vidée de son âme, vendue au diable. Et jusqu’aujourd’hui, ses représentants diplomatiques de cette date et leurs sbires n’affichent qu’une image de ruine et de désolation. Et pour cause : jamais, les gaffes au sein de cette chancellerie n’ont atteint un tel degré.
L’Ambassadeur a utilisé les recettes propres sans autorisation
L’audit réalisé à la chancellerie du Mali à Rome a révélé que pendant la période sous revue, contrairement à la réglementation, l’Ambassade a consommé ses recettes propres sans aucune autorisation du Payeur Général du Trésor (PGT). Pire, la SAC, Mme Touré Fatma Maïga, ne détient pas une situation détaillée de l’utilisation de ces recettes propres à travers une comptabilité ou même un registre. Le montant des recettes autoconsommées sans autorisation s’élève, sur la période sous revue à plus de 320 millions FCFA (320 895 727F).
Au même moment, l’Ambassadeur Bruno Maïga, a accordé des indemnités de déplacement et de mission indues. Ainsi, dans le but de s’assurer de l’application correcte des taux de l’indemnité de déplacement et de mission, l’audit a décelé que l’Ambassadeur du Mali à Rome de 2015 à 2018, Son Excellence M. Bruno Maïga, a accordé des taux d’indemnité de déplacement et de mission supérieurs à ceux prévus par la réglementation. En effet, pour les mêmes destinations et les mêmes catégories d’agents des taux de perdiems diffèrent d’une mission à l’autre. À titre d’exemple, lors de certaines missions de l’Ambassadeur Bruno à l’intérieur de l’Italie, les taux payés varient entre 250 et 375 euros alors que la réglementation prévoit 225 euros soit la moitié 450 euros (300 euros majorés de 50%). Aussi, les auditeurs ont constaté qu’en plus des indemnités de déplacement et de mission, des missionnaires bénéficient des frais d’hébergement. Le montant total des frais de mission non justifiés et d’hébergement indûment payés est de 2, 5 millions FCFA (2 576 508F).
La SAC a payé des dépenses inéligibles
Il ressort de l’examen des pièces justificatives des dépenses de la Chancellerie du Mali à Rome en Italie que la Cheffe Comptable, Mme Touré Fatma Maïga, a payée des dépenses inéligibles. En effet, l’analyse des pièces justificatives des dépenses a révélé que l’Ambassade a pris en charge des frais de séjour de deux tierces personnes en visite en Italie sur la rubrique «autres dépenses». Le montant total de ces dépenses irrégulièrement prises en charge par l’Ambassade s’élève à 2.207,36 euros (1.207.36 euros et 1.000 euros) soit 1 447 933 FCFA. Aussi, la Secrétaire Agent Comptable, Mme Touré Fatma Maïga, n’a pas justifié un écart de caisse. Ainsi, après un inventaire des valeurs actives et inactives au niveau de l’Ambassade, il ressort de la caisse de l’Ambassade un déficit de 8.952.27 euros soit 5 872 304 FCFA pour lequel la SAC n’a fourni aucune pièce justificative. Selon elle, ce montant représente des prêts accordés au personnel. Et suivant la lettre sans numéro du 27 mai 2019 du chargé d’Affaires de l’Ambassade du Mali à Rome, la Secrétaire Agent Comptable a fourni la preuve du recouvrement desdites sommes à hauteur de 1952,27 euros soit 1 282 026 FCFA. Le montant non encore recouvré s’élève à 4,5 millions FCFA (4 590 277F). Et ce n’est pas tout. Loin s’en faut.
Même les paiements non justifiés ne sont pas de nature à tempérer la curiosité de Mme la Secrétaire Agent Comptable (SAC). Cependant, il apparaît que des dépenses relatives aux achats de produits d’entretien sont justifiées par des états d’émargement de la SAC. En effet, chaque mois des états sont signés par le personnel diplomatique pour l’achat des produits d’entretien, en lieu et place des factures pour un montant de 47 470 euros soit plus de 31 millions de nos francs (31 139 779F). Le contrôle a également constaté que des dépenses relatives aux frais de communication téléphonique ne sont supportées que par des états d’émargement pour un montant de 1500 euros soit 983 936 FCFA. De plus, ces dépenses ne sont pas prévues par le décret susvisé.
Enfin, la Secrétaire Agent Comptable, Mme Touré Fatma Maïga, a remboursé des frais médicaux supportés par des pièces irrégulières. Ainsi après un examen des pièces justificatives des remboursements de frais médicaux au personnel diplomatique, il ressort que les remboursements de frais d’achat de médicaments ne sont pas toujours supportés par des pièces prouvant la réalité de la dépense. En effet, des états de remboursement signés par l’Ambassadeur, Bruno Maïga et la SAC, Mme Touré Fatma Maïga, sont seulement accompagnés des reçus d’achat de médicaments non supportés par des prescriptions. S’y ajoute, l’existence des incohérences de date entre l’état de remboursement et certains reçus. Le montant total des remboursements de frais pharmaceutiques non supportés par des justificatifs autres que les reçus de pharmacie s’élève à 1,7 millions de francs CFA (1 789 268F).
Par ailleurs, le Payeur Général du Trésor (PGT) n’a pas compensé les autoconsommations de recettes propres de la Chancellerie. Dans le but de s’assurer du respect de la disposition susvisée, les contrôleurs ont procédé à des analyses de documents et des interviews. Du coup, ils ont décelé que sans autorisation du PGT, l’Ambassade à consommer ses recettes propres. En même temps, elle a procédé à cinq compensations à travers des correspondances adressées à l’Ambassadeur Bruno Maïga pour un montant cumulé de 79 millions FCFA (79 271 468 F).
Malgré ces retenues sur les fonds envoyés à l’Ambassade, il reste un montant de plus de 241 millions (241 624 259F) de recettes consommées par l’Ambassade sans autorisation et non compensées par le Trésor Public. En clair, cette situation a permis à l’Ambassade de consommer 241 millions de plus que son budget initial autorisé par les lois de finances respectives.
À ces irrégularités financières, s’ajoutent des irrégularités administratives. Notamment, Le non respect par l’Ambassadeur, Son Excellence M. Bruno Maïga, des dispositions en matière de cotisations sociales ; la violation flagrante des procédures de la commande publique par l’Ambassadeur et la Secrétaire Agent Comptable, Mme Touré Fatma Maïga ; la souscription de l’Ambassadeur à une police d’assurance incomplète ; la non tenu d’une comptabilité régulière par le SAC ; l’entrée en fonction irrégulièrement de la SAC …
Bref, la liste des irrégularités, à l’origine de la disparation de 284 millions FCFA, est loin d’être exhaustive. Du coup, le Vérificateur Général a transmis un rapport à la justice afin que les personnes concernées par cette gestion calamiteuse puissent s’expliquer sur la destination de ce pactole.
Jean Pierre James