Décidément, le Contentieux de l’Etat ne démord pas dans l’affaire qui l’oppose à Djibril Sogoba, gendarme à la retraite domicilié à N’Tomikorobougou et (ancien) membre de l’Oclei (Office central de lutte contre l’enrichissement illicite). Mais, cette fois-ci, il va devoir se plier définitivement : la Cour suprême vient de rejeter comme étant mal fondé son recours en révision dirigé contre son arrêt du 15 juillet 2021 favorable au capitaine Sogoba (cf. notre parution 360 du vendredi 5 mai 2023).
Dans notre édition du vendredi 5 mai 2023, nous vous offrions un dossier spécial sur cette affaire à la manchette et en pages 6 et 7 sous le titre : “Oclei : La Cour suprême annule deux décrets de nomination”. A titre de rappel, dans deux arrêts rendus respectivement le 15 juillet 2021 et le 23 mars 2023, la Cour suprême annulait deux décrets portant nomination d’un membre de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite suite à des plaintes devant la justice de Djibril Sogoba et Mme Bagayoko Fanta dite Dioukha Camara dont on avait mis fin aux fonctions avant la fin du mandat.
Rappel des faits
Dans le cas spécifique de Djibril Sogoba, la Section administrative de la Cour suprême du Mali, en son audience publique ordinaire du 15 juillet 2021, avait rendu l’arrêt n°469 entre le requérant d’une part et, le décret n°2020-184/P-RM du 2 avril 2020 du président de la République, portant nomination d’un membre de l’Oclei, le ministère des Forces armées et des Anciens combattants, représenté par la direction générale du Contentieux de l’Etat d’autre part.
Dans son verdict la Cour a déclaré la requête comme bien fondée ; a annulé, pour excès de pouvoir, le décret n°2020-0184/P-RM du 2 avril 2020, portant nomination d’un membre de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite ; a dit que le décret n°2017-017/P-RM en date du 10 mars 2017 du président de la République produira tous ses effets en ce qui concerne le capitaine Djibril Sogoba ; a ordonné la restitution de la consignation versée ; et a mis les dépens à la charge du Trésor public.
Contestant ce verdict, le Contentieux de l’Etat a introduit auprès de la Cour suprême un recours en révision de l’arrêt n°469. Une fois de plus, la Cour rejettera ce recours en révision après analyse des prétentions des parties en droit et la discussion juridique dans la forme et dans le fond.
L’attaque du Contentieux de l’Etat
A l’appui de son recours, la direction générale du Contentieux de l’Etat, agissant pour le compte du ministère des Forces armées et des Anciens combattants et celui de la Justice et des Droits de l’Homme, garde des Sceaux, a fait valoir une kyrielle d’arguments. Entre autres :
Qu’il ressort des dispositions de l’article 254 de la loi n°2016-046 du 23 septembre 2016, portant Loi organique fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour suprême et la procédure suivie devant elle, que “le recours en révision est dirigé contre les arrêts contradictoires de la Section administrative dans les cas suivants : si la décision a été rendue sur pièces fausses ; si la partie a été condamnée faute de présenter une pièce décisive retenue par l’adversaire ; s’il y a eu non application de la loi, fausse application ou fausse interprétation de la loi ; si la décision rendue est entachée d’une erreur de procédure non imputable à la partie et qui a affecté la solution donnée à l’affaire” ; de la non application de la loi, fausse application ou fausse interprétation de la loi :
Que l’arrêt déféré procède de la non application de la loi, fausse application et fausse interprétation des dispositions de l’article 14 de la loi portant création de l’Oclei qui précisent que : “il ne peut être mis fin aux fonctions de membre de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite, avant l’expiration du mandat, qu’en cas de mission de décès, de faute lourde ou d’empêchement” ;
Que Djibril Sogoba avait sollicité de la Section administrative de la Cour suprême, l’annulation pour excès de pouvoir du décret n°2020-184/P-RM du 2 avril 2020 portant nomination d’un membre de l’Oclei.
Que suivant arrêt déféré, la cour de céans accéda a sa demande ;
Que contrairement à la motivation de l’arrêt susdit, le sieur Djibril Sogoba est tombé sous le coup des conditions énumérées à l’article 14 sus évoqué ;
Que le décret n°2020-184/P-RM du 02 avril 2020 dont l’arrêt attaqué procéda à l’annulation, est bel et bien conforme aux dispositions de l’article susvisé dès lors que Djibril Sogoba a fait valoir son droit à la retraite depuis 2020 ; Que sa mise à la retraite ayant entrainé la perte de sa qualité d’agent public et son rayement du corps de la gendarmerie, ont eu pour conséquence l’empêchement absolu de Sogoba à exercer les fonctions de l’Oclei ; Qu’aucune violation de la loi ou illégalité ne peut être reproché au décret ci-dessus litigieux, qui a été pris du fait que Djibril Sogoba a fait valoir ses droits à la retraite ; Que le motif qui a entrainé sa nomination en qualité de membre de l’Oclei en 2017, n’existant plus par sa mise à la retraite, l’autorité de nomination était dans l’obligation absolue de le remplacer ;
Qu’en édictant le décret attaqué, l’autorité administrative n’a nullement excédé ses pouvoirs ;
Qu’au regard de tout ce qui précède, l’arrêt en cause mérite d’être révisé dans toutes ses dispositions, statuant à nouveau, rejeter le recours de Djibril Sogoba, comme mal fondé.
La contre-attaque de Djibril Sogoba
Dans son mémoire en défense, reçu au greffe de la cour de céans le 11 octobre 2021 sous le n°3201/CS, Djibril Sogoba a rétorqué aux prétentions la direction générale du Contentieux de l’Etat.
D’abord sur le bienfondé et la confirmation de l’arrêt Mère :Qu’en fondant sa motivation sur l’ordonnance n°2015-032/P-RM du 23 septembre 2015, ratifiée par la loi n°2016-017 du 9 juin 2016 portant création de l’Oclei ainsi que le décret n°2017-017/P-RM en date du 10 mars 2017du 23 septembre 2016, qui ont consacré la qualité de membre de l’Oclei du capitaine de gendarmerie Djibril Sogoba pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une fois, conformément à l’article 10 de la loi susvisée, l’arrêt déféré a procédé d’ une saine et juste application de la loi ;
Qu’il y a lieu de rappeler que l’Oclei est une autorité administrative indépendante dont la mission est de mettre en œuvre l’ensemble des mesures de prévention, de contrôle et de lutte envisages au plan national, sous régional et international contre l’enrichissement illicite ;
Qu’à ce titre, ses membres reconnus pour leur probité, leur honorabilité et leur intégrité morale ont besoin de garantie et de protection particulière pour lutter contre l’enrichissement illicite et contribuer à la prévention et à la répression des malversations économiques et financières ; Que l’article 14 de l’ordonnance n°2015-032/P-RM du 23 septembre 2015, ci-dessus citée, prescrit en ses termes : “Il ne peut être mis fin aux fonctions de membres de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite avant l’expiration du mandat qu’en cas de démission, de décès, de faute lourde ou d’empêchement absolu” ; Que cette prescription impérative de la loi vise à servir de gardes fou qui protègent les membres de l’Oclei contre toutes formes de pressions ou de trafics d’influences quelconque ;
Que c’est là, l’excès de pouvoir reproché au décret n°2020-184/P-RM du 2 avril 2020, attaqué en annulation pour avoir violé l’intangibilité, la garantie et la norme de protection légale dévolue aux membres de l’Oclei par les lois spéciales en l’occurrence, Djibril Sogoba pour le cas d’espèce ; Que l’Oclei est une autorité administrative indépendante régie par la loi n°2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes, des autorités publiques indépendantes, lesquelles sont placées en dehors des structures administratives classiques ; Que ce régime spécial régissant l’organisation et le fonctionnement des AAI des API mais également la durée du mandat de ses membres ainsi que les modalités de leur révocation, met du coup à l’abri des injonctions des pouvoirs publics qui ne peuvent révoquer leurs membres (dont la durée du mandat varie entre 3 et 6 ans renouvelable une fois), si ce n’est pour les cas où la loi autorise ;
Que la DGCE est demeurée stérile à démontrer en quoi et pour quel motif de droit, le décret attaqué est-il fondé prématurément le 2 avril 2020, à démettre le défendeur de sa qualité de membre de l’Oclei et ce, avant le terme de son mandat de quatre (04) ans ; Qu’elle soutient, en interprétant par analogie que la mise à la retraite de Sogoba serait un motif d’empêchement absolu ; Que le départ à la retraite n’est pas retenu expressément parmi les quatre causes énumérés à l’article 14 ci-dessus citées ; Que dans le cas d’espèce, en l’absence de la preuve de démission, de décès, de faute lourde ou d’empêchement absolu contre Sogoba et ce, conformément à l’article 9 du décret n°09-220/P-RM du 11 mai 2009 du CPCCS, il y a manifestement excès de pouvoir fondé sur l’absence de base légale du décret attaqué en violation des articles 10, 14 et 15 du chapitre III de la loi sur l’Oclei, relativement au mode de désignation et la durée du mandat de ses membres.
Qu’en tout état de cause, le décret mis en cause, ayant révoqué Djibril Sogoba sans motif légitime est manifestement excessif, illégal et abusif en ce qu’il heurte le principe de la légalité qui gouverne la matière administrative, s’agissant des actes administratifs créateurs de droits ;
Que de tout ce qui précède, l’autorité administrative ne pouvait sans violer la loi, rapporter la décision, n°2017-017/P-RM du 10 mars 2017 après épuisement du délai légal de rétractation qui court pour compter de la signature de l’acte rapporté.
Que ce délai de quatre (04) mois est d’ordre public et son observation s’impose à tous y compris aux juridictions ; Qu’étant intervenu largement après ce délai, le décret incriminé procède d’un excès de pouvoir, qui entache sa validité en tant qu’acte administratif et l’expose à la censure de la haute juridiction administrative ; d’où il requiert de le retirer dans l’ordonnancement juridique par le rejet du présent recours ;
Qu’a la lumière de l’analyse ci-dessus, il convient de rejeter le recours en révision comme étant mal fondé et de confirmer l’arrêt déféré dans toutes ses dispositions ;
La Cour partage la poire en deux
Dans la discussion juridique, et en la forme, la Cour suprême considère que toutes les conditions de recevabilité exigées par la loi ont été respectées par la direction générale du Contentieux de l’Etat et qu’il convient, par conséquent, de recevoir le recours en révision comme régulier.
Cependant, au fond, le problème est tout autre. En premier lieu, sur la non-application de la loi, fausse application ou fausse interprétation de la loi :
Considérant que l’article 254 de la loi n°206-046 du 23 Septembre 2016 portant loi organique, fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour suprême et la procédure suivie devant elle, dispose : “le recours en révision est dirigé contre les arrêts contradictoires de la Section administrative dans les cas suivants :
– Si la décision a été rendue sur pièces fausses ;
– Si la partie a été condamnée faute de présenter une pièce décisive retenue par l’adversaire ;
– S’il y a eu non application de la loi, fausse application ou fausse interprétation de la loi ;
– Si la décision rendue est entachée d’une erreur de procédure non imputable à la partie et qui a affecté la solution donnée à l’affaire” ;
Considérant qu’il est fait grief à l’arrêt incriminé d’avoir procédé à la non application de la loi, fausse application ou fausse interprétation de la loi en ce que la mise à la retraite de Djibril Sogoba en 2020 a, par voie de conséquence, entrainé la perte de sa qualité d’agent public et de radiation des effectifs de la gendarmerie nationale ; Qu’au regard des empêchements sus évoqués et conformément aux dispositions de l’article 14 de l’ordonnance n°2015-032/P-RM du 23 septembre 2015, portant création de l’Oclei que le décret n°2017-017/P-RM du 10 mars 2017 portant nomination de Djibril Sogoba a été rapporté par le décret n°2020-0184/P-RM du 2 avril 2020 ; Que la requérante conclut qu’aucune violation, aucune illégalité ne peut être reprochée à l’acte incriminé et soutient que c’est donc à tort que l’arrêt déféré a prononcé son annulation.
Considérant cependant qu’il résulte de l’analyse du présent recours, il est constamment établi que les points de droits soumis à l’examen des juges de révision ont déjà été développés devant les juges de fond, qui ont souverainement apprécié avant de les rejeter comme étant mal fondés.
Qu’il a été suffisamment démontré, à travers l’arrêt déféré que le départ à la retraite d’un agent public n’est pas retenu comme motif d’empêchement absolu, tel que stipulé par les dispositions de l’article 14 de la loi portant création de l’Oclei ;
Considérant que le décret attaqué a mis fin, avant terme, au mandat de Djibril Sogoba, motif pris de son départ à la retraite alors qu’il y a lieu de préciser que la survenance de la limite d’âge dans le corps d’origine n’autorise pas l’administration à retirer des fonctions conférées dans un organisme indépendant pour une durée fixée (Conseil d’Etat, Ordonneau, 7 juillet 1989) ; Qu’il s’ensuit que les griefs reprochés à l’arrêt déféré méritent d’être repoussés en qu’il procède d’une saine application de la loi et de la jurisprudence ; Que de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que les moyens invoqués par la requérante pour parvenir à la rétraction de l’arrêt incriminé, n’entrent donc pas dans les cas d’ouvertures prévus par les dispositions de l’article 254 de la loi n°2016-046 du 23 septembre 2016 ci-dessus citée.
Par tous ces motifs, la Cour suprême du Mali (Section administrative) rejette le recours comme étant mal fondé ; et met les dépens à la charge du Trésor public.
Clap de fin !
El Hadj A.B. HAIDARA