Après le Directeur administratif et financier du ministère de la Santé, Ousmane Diarra, qui a élu domicile, depuis le mercredi dernier, à la prison centrale de Bamako, et la Coordinatrice du Programme national de lutte contre la tuberculose (PNLT), Dr Halima Naco, déférée à la prison pour femmes de Bolé, la journée du 6 août 2010 a été un véritable " vendredi noir " qui a vu passer, tel dans un défilé funéraire, d’autres cadres et agents des services du département de la Santé devant le Pôle économique et financier. Et cela toujours dans le cadre des enquêtes sur le détournement de centaines de millions F CFA des caisses du Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Ce sont, en effet, le régisseur de la Direction administrative et financière (DAF) du ministère de la Santé, Doulaye Coulibaly (qui venait pourtant de bénéficier d’une liberté provisoire), le comptable-régisseur de la direction nationale de la santé, Charles Sanogo, le comptable de la direction régionale de la santé du District de Bamako, Youssouf Boré, et Madame Diarra, une respectable représentante d’une association de défense des malades de la tuberculose, qui sont présentement en garde à vue au Pôle économique et financier, sis à l’ACI 2000.
Ichiaka Diallo, l’ex-comptable du Fonds Mondial auprès de la DAF et chef d’orchestre présumé de cette entreprise machiavélique est, depuis fin 2009, en prison. L’ancien Directeur national de la santé, Pr. Toumani Sidibé, a été écouté puis autorisé à rentrer à la maison en attendant qu’il ne soit fixé sur son sort.
Quant à Mohamed (au lieu de Modibo comme il avait été écrit par erreur dans notre parution d’hier) Berthé, adjoint au Dr Halima Naco, en fuite, il est actuellement recherché et c’est lui qui serait au cœur même du scandale au niveau du PNLT. Des directeurs et comptables régionaux de la santé, de Kayes à Kidal, pourraient être également invités, dans les prochains jours, à se présenter à Bamako devant le Pôle économique et financier pour les besoins de l’enquête.
L’essentiel des arrestations de la semaine dernière ont eu lieu entre le 4 et le 6 août 2010. Cette dernière date étant, désormais, considérée comme le " vendredi noir " " pour des présumés délinquants à col blanc. En effet, Sombé Théra, le Procureur anticorruption, et ses hommes, ont décidé de frapper fort. Car, il faut le reconnaître, le préjudice causé au Fonds Mondial et au Mali est énorme et les cadres et agents impliqués sont si nombreux que des arrestations devraient, en principe, s’étendre jusqu’aux régions.
En l’absence du Coordinateur adjoint du Programme national de lutte contre la tuberculose, Mohamed Berthé, en fuite, alors qu’il est considéré comme la pièce maîtresse de ce puzzle, tout devient difficile pour les juges anticorruption. Car, aucune confrontation, entre celui-ci et les personnes arrêtées, ne sera possible tant qu’il sera dans la nature. Les recherches, tendant à le dénicher, s’étant, jusque-là, révélées vaines.
Alors que le temps presse et le Fonds Mondial est pressé également. C’est pourquoi, le " vendredi noir ", c’était comme un défilé funéraire devant le Pôle économique et financier. De l’ancien Directeur national de la santé, Pr Toumani Sidibé, en passant par des cadres de la direction régionale de la santé du District, tous ont été reçus, ce jour-là. Si le premier a été autorisé à rentrer à la maison et à se présenter dès le lundi suivant, d’autres n’ont pas eu la même chance.
D’autre part, certains cadres, avant même qu’ils ne soient interpellés, auraient déjà pris les devants en proposant à la vente villas, vergers et immeubles. Cela au cas où il leur sera donné la possibilité de rembourser ce que, eux-mêmes, se reprochent en toute conscience. Pour ne pas aller en prison.
La santé décapitée et ses agents démoralisés
Au rythme où sont menées les arrestations, il est à craindre que les structures de santé ne soient, bientôt, désarticulées. En effet, la DAF de la santé l’est déjà. Le Directeur administratif et financier étant en prison et son adjoint, Souleymane Traoré, en formation au Canada, la DAF se trouve sans signataire attitré. C’est donc l’ensemble des services de la santé qui sont paralysés pour un bon moment. Cela, compte tenu du rôle central et éminemment important que joue cette Direction nationale.
On se rappelle également que le ministère de la Santé avait, en octobre 2009, remboursé quelque 200 millions FCFA au Fonds Mondial dans le but de colmater les brèches de cette marée noire. Décidément cela ne s’est pas révélé suffisant. Mais il laissa, toutefois, un trou béant dans le budget de la santé qui s’est avéré très difficile à colmater. Un préjudice énorme qui va, naturellement, se faire ressentir sur l’achat de médicaments, par exemple, ou la construction de centres de santé.
Comme on le voit, l’affaire de détournement au Fonds Mondial avait connu un certain répit avant de rebondir la semaine dernière. Ce rebondissement spectaculaire serait dû au fait que les enquêteurs du Bureau de l’Inspecteur général à Genève ont, à la suite de leurs missions d’investigations à l’intérieur de notre pays, amené une belle moisson qui permet de confondre tous ceux qui ont eu à prendre part à ce partage du butin peu ordinaire. Effectué sur le dos des malades de la tuberculose.
Le malheur pour ces présumés fraudeurs, c’est que les enquêteurs ont épluché également tous les dossiers de passation de marchés et planché sur les bordereaux de livraison en les confrontant avec l’existant dans les magasins. Un véritable travail de fourmi qui vient, en effet, de livrer ses premières conclusions. D’où ces arrestations en cascade pour fraude, magouilles, détournement et, pire, pour irresponsabilité manifeste. Surtout que, selon des rumeurs distillées ça et là, d’autres fonds d’origine extérieure logés également au même ministère, tels les fonds USAID et Gavy (qui appuie notamment la vaccination) seraient également concernés par une gestion non transparente. Cela fait beaucoup.
Rappelons que le Mali est bénéficiaire des Rounds 4 et 7 du Fonds Mondial, avec un montant de plus de 10 milliards FCFA, dans le cadre de la lutte contre la tuberculose. La part du budget national consacrée à la lutte contre cette maladie étant évaluée à seulement quelque 150 millions FCFA. Le pays comptait, en 2007, quelque 50 000 cas de tuberculose toutes formes confondues. Avec le détournement des fonds destinés à la lutte contre cette maladie, c’est le rendez-vous pris directement avec la mort pour ces très nombreux patients tuberculeux, déjà fortement exposés au VIH-Sida.
Ceux-ci seront-ils laissés à leur triste sort suite à l’incurie de ces voleurs à col blanc qui sont si bien portants qu’ils cherchent, maintenant, à s’engraisser sur le dos des malades. En tout cas, il est temps que le département de la santé cesse d’être considéré comme un lieu d’enrichissement illicite, rapide, sauvage et éhonté. Il ne mérite pas une si triste renommée. Et pourtant, les faits sont têtus. Affaire donc à suivre.
Mamadou FOFANA