Classe politique malienne : Des chapelles dépourvues de conviction

0
Partis politique  lors d'une rencontre avec le ministère de l'Administration territoriale (Photo archives)
Partis politique lors d’une rencontre avec le ministère de l’Administration territoriale (Photo archives)

«Certains jeunes croient toujours que les victoires politiques leur viendraient du ciel… Ils perdent leur temps. Ce seraient les jeunes qui sont dans les partis politiques bons ou mauvais qui feront l’histoire du Mali…» ! C’est ce qu’a laissé entendre un responsable politique lors d’un débat sur l’opposition sur les réseaux sociaux.

Il est vrai que, comme toute société ou toute institution, la jeunesse est supposée insuffler un sang neuf à la politique. Sauf que dans la plupart des cas, les jeunes rejoignent les chapelles politiques par opportunisme et non par conviction.

Pour eux, la politique est l’ascenseur social qui peut propulser au sommet sans mérite particulier. «Je t’avais dit de rejoindre le parti. Si tu m’avais écouté, personne ne se serait attaqué à toi», nous disait un camarade de promotion à l’Ecole nationale d’administration (Ena) de Bamako quand nous avons été remerciés par le gouvernement.

«Mes convictions ne me permettent pas de militer au sein d’un parti politique», avons-nous rétorqué. «Ce n’est pas une question de conviction, mais d’opportunité. Tu t’engages pour protéger ton boulot et pour réussir dans la vie en occupant de hautes fonctions. Les cabinets ministériels sont toujours envahis par les jeunes et militants des partis de la majorité. Ce n’est pas parce qu’ils sont plus compétents que les autres, mais parce que ces partis ont intérêt à les positionner», a-t-il répliqué.

Faire de la politique pour pouvoir mettre son expérience et sa compétence au service de son pays. Ou, autrement, point de salut pour les compétences du pays en dehors des chapelles politiques ! Ainsi peut-on résumer les conseils de notre camarade de promotion.

A croire que le culte de l’excellence est méconnu de nos chapelles politiques. Ces jeunes des partis politiques feront l’histoire du Mali s’ils parvenaient à incarner un autre idéal que se servir aux dépens de leurs électeurs. Pour ce faire, il faut qu’ils inculquent d’autres valeurs (probité, intégrité, patriotisme…) à la vie politique pour réconcilier celle-ci avec leurs compatriotes.

Les Maliens ne croient plus aux politiciens. Les faibles taux aux différents scrutins ces dernières années (à l’exception des présidentielles de 2013) traduisent ce dépit. Ce qui se comprend aisément d’autant plus que la démocratie n’est pas parvenue à combler leurs attentes de changement, leur souhait de voir un autre exercice de la politique.

«La politique, c’est satisfaire les besoins du peuple», disait un ancien Chef d’Etat du pays. C’est en tout cas le minimum qu’un peuple peut attendre de sa classe politique. Combien d’élus, maires ou députés, se préoccupent réellement de leurs électeurs, de leurs attentes et préoccupations ?

Quand démocratie rime avec désillusion

A la place du changement, les Maliens ont assisté impuissants à la montée en puissance des fléaux comme le népotisme, la corruption et la délinquance financière, le culte de la médiocrité.

Au lieu d’une justice sociale et une juste redistribution des richesses du pays, on assiste à un diktat d’une minorité qui a pris en otage tous les circuits de production pour s’enrichir. Les milliardaires de la démocratie sont presque partis de rien et leur seul mérite est dans le cercle du pouvoir ou être dans ses grâces.

Ce qui donne l’impression que sous nos cieux, on fait la politique sans aucune conviction. Juste pour réaliser ses ambitions personnelles. C’est ce manque de conviction qui explique le phénomène de la transhumance politique qui a affaibli plus d’un parti politique depuis l’avènement de la démocratie au Mali.

Les élus changent de vestes, si ce n’est de boubous, en fonction de leurs intérêts personnels. Et en la matière, les jeunes sont souvent plus voraces que leurs aînés car trop pressés de tout avoir et d’atteindre le sommet de la hiérarchie socioéconomique.

Non seulement ils n’ont aucune conviction politique, mais même les compétences professionnelles laissent à désirer car ayant passé plus de temps à courir derrière les cadres du parti et à fréquenter les meetings que les bancs du lycée et de l’université.

Peut-on alors miser sur cette jeunesse qui a contracté toutes les tares développées par leurs aînés ? Pas forcément !

Les lobbies pour faire autrement la politique

Sans compter qu’on peut faire la politique sans militer au sein d’un parti politique. C’est en tout cas notre conviction ! Privées de l’autel de la foi, nos cha pelles politiques font la politique du ventre ! Et si on les laisse à elles-mêmes, cela ne changera jamais.

Nous pensons que si nous voulons assister à l’avènement d’une autre façon de faire la politique, nous devons nous organiser en groupes de pressions, donc constituer des lobbies comme c’est fréquent aux Etats-Unis.

A savoir qu’un lobby est une structure organisée pour représenter et défendre les intérêts d’un groupe donné en exerçant des pressions ou influences sur des personnes ou institutions détentrices de pouvoir.

La langue de Molière parle aussi de groupe d’intérêt, de pression ou encore de groupe d’influence. Comme nous l’expliquait un professeur de sciences politiques lors de notre séjour aux USA en 2014, cela consiste «à procéder à des interventions destinées à influencer directement ou indirectement l’élaboration, l’application ou l’interprétation de mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, toute intervention ou décision des pouvoirs publics».

Ainsi, le rôle d’un lobby est «d’infléchir une norme, d’en créer une nouvelle ou de supprimer des dispositions existantes».

On sait que la tradition tocquevillienne et libérale souligne l’importance de la société civile et de la prise en compte de ses revendications par l’Etat. En effet, cette tradition considère que «l’Etat doit être limité et ne peut assumer seul la charge du bien commun».

Cela fait du lobbyisme une application de cette mise en relation entre décisionnaires et société civile, au même titre que les corps intermédiaires que sont, par exemple, les syndicats. Cette analyse relève, selon les politologues, de la «théorie pluraliste», dont les principaux auteurs sont les pères fondateurs américains puis, au XXe siècle, par Robert Dahl, David Truman et Arthur Bentley.

Selon cette théorie pluraliste, les groupes latents se mobilisent dès qu’ils sentent leurs intérêts menacés et font contrepoids aux groupes dominants, établissant une forme d’équilibrage du système.

Les lobbies favorisent la participation et l’implication des citoyens dans la définition des règles qui structurent toute société et permettent d’apprécier le caractère libre et pluraliste d’une société démocratique.

Cette option n’est pas basée sur l’exercice du pouvoir, mais sur la défense des intérêts d’un groupe ou du peuple.

Le «Balai citoyen» en est un exemple concret au Burkina Faso. Ce groupe de pression a été très décisif dans le blocage du tripatouillage constitutionnel et de la chute du régime de Blaise Compaoré dans le Pays des Hommes intègres (Burkina Faso).

Cet exemple doit nous inspirer au Mali. Ce n’est en voulant profiter des délices du pouvoir, donc de la politique, que nous pourrions changer la politique dans notre pays. Si les lobbies influencent beaucoup sur les décisions politiques aux Etats-Unis; pourquoi  ne les feront-ils pas au Mali ?

Il est vrai que les lobbies ne sont pas très connus dans nos démocraties, alors qu’ils sont au cœur de principales décisions politiques dans les grandes démocraties. Ce sont les lobbies qui inspirent par exemple les lois aux Etats-Unis. Ce n’est donc pas surprenant que, par exemple, 6000 organisations et 25 000 lobbyistes soient recensés à Washington DC !

Mais, le courant est déjà en marche en Afrique. On se rappelle qu’avant le «Balai citoyen» au Burkina Faso, il y a eu le mouvement «Y en a marre» au Sénégal qui fait échouer le projet machiavélique et antidémocratique d’Abdoulaye Wade.

Au Mali, les «Sofas de la République» peuvent jouer un tel rôle si ses animateurs parvenaient réellement à se tenir loin des allées du pouvoir. C’est aussi le cas de «Sabati 2012» qui, hélas, est de plus en plus handicapé par ces collisions avec le parti au pouvoir !

Même si Max Weber (Le Savant et le politique, 1919, Paris, Plon) pense qu’elles sont irréductiblement opposées, nous pensons qu’il est temps, au Mali voire en Afrique, de réconcilier la politique avec l’éthique de la responsabilité et l’éthique de la conviction.

Surtout avec la seconde qui fait que, selon le politologue, «nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes». La politique, c’est aussi assumer ses convictions et rendre compte. Ce qui est l’une des faiblesses de notre démocratie.

Et il est temps que les Maliens, surtout femmes et les jeunes, comprennent que c’est à nous de contraindre les politiciens à aller dans le sens de l’intérêt national !

Moussa Bolly

Commentaires via Facebook :