Invité à l’instar de l’ancien dictateur Moussa Traoré, le démocrate et ancien président de la République, Alpha Oumar Konaré a préféré ne pas être au défilé militaire commémorant le Cinquantenaire du Mali que d’avoir à serrer la main ou à s’asseoir à côté de celui que le peuple malien, à travers le Mouvement démocratique et les Forces armées patriotiques, renversait le 26 mars 1991. C‘est dire que le chemin de la réconciliation, que le président de la République, Amadou Toumani Touré, a, dans son discours à la Nation, souhaité voir se matérialiser entre tous les fils du pays, a encore du chemin à parcourir. Pourquoi Alpha Oumar Konaré a-t-il boycotté toutes les cérémonies officielles ? ATT pourra-t-il bénéficier de la compréhension voire de l’adhésion de ses concitoyens dans cette quête de la vraie réconciliation qui sous-tendrait la réhabilitation de Moussa Traoré ?
En écoutant le président de la République, Amadou Toumani Touré, dans son discours à la Nation àla veille du 22 septembre, parler de la nécessité dela réconciliation nation ale, entre tous les fils de la Nation, on ne peut que penser à la polémique suscitée par l’invitation adressée à l’ancien président de la République, Moussa Traoré, dont les mains, qu’on veuille l’admettre ou pas, sentent encore l’odeur du sang des martyrs de la Révolution de mars 1991. En dépit de tout cela, le peuple semble avoir tourné la page de ces sombres journées de janvier et de mars 1991. Sans pour autant oublier. Car, ceux qui ont perdu un enfant, un père ou une mère ne pourront jamais oublier ; et cela quels que soient les appels pathétiques ou les paroles lénifiantes distillées dans ce sens. De même que ceux qui vivent quotidiennement, dans leur peau et dans leur chair, les souffrances insupportables de la barbarie exercée sur eux en 1991. Et dire qu’elles sont encore nombreuses, toutes ces victimes de la répression de mars 91 à arpenter les couloirs des services en charge du Développement social et de la solidarité àla quête d’un soutien matériel ou financier en vue de soulager leurs maux. L’Etat continue-t-il à penser à eux ? Certainement pas. Mais, la vie des grands blessés de l’ADVR (Association pour la défense des victimes de la répression) continue toujours d’être un véritable calvaire. Ils sont, le plus souvent, ballottés entre le ministère de la Santé et celui du Développement social quand il s’agit de leur trouver un hôpital à l’étranger pour y recevoir des soins que les hôpitaux nationaux ne peuvent leur prodiguer. Alors que des enfants ou parents des barons de la République sont évacués sur l’extérieur sur un simple coup de fil, et cela au frais de la Princesse, c’est-à-dire l’Etat.
Comment, dans ces conditions, peut-on demander aux grands blessés de pardonner ? Il s’agit, d’abord, pour l’Etat de s’assumer, de montrer sa compassion et de faire face à ses responsabilités vis-à-vis de ceux dont il doit implorer le pardon. Car, il a fallu que certains aient eu à risquer leur vie, que d’autres aient même eu à la perdre pour qu’on puisse parler de démocratie aujourd’hui, de droits de l’Homme, entre autres. En un mot, pour que la Troisième République naisse et que les détenteurs du pouvoir puissent s’installer dans les ors du Palais.
La vraie réconciliation, c’était d’abord de commencer par inviter les victimes de la répression de mars 91 et des années de braises qui l’ont précédé avant de vouloir dérouler le tapis rouge au passage de l’ancien dictateur Moussa Traoré pour la tribune officielle du défilé militaire du Cinquantenaire. Certes, personne ne peut remettre en cause la bonne foi du Chef de l’Etat, père de la Nation. Mais la démarche choisie n’est certainement pas la mieux indiquée. Surtout en ces temps où les Maliens semblent avoir même oublié le Général Moussa Traoré et ses sbires qui, de même que leurs progénitures, continuent, dans le Mali des démocrates, de bénéficier des meilleures faveurs à même de faire pâlir d’envie tout Malien ordinaire. Il est inutile voire inopportun, dix-neuf ans après la Révolution de mars 91, de vouloir réveiller le chat qui dort. Quel intérêt Moussa Traoré, lui-même, a-t-il à tirer d’une polémique presque artificiellement créée et qui le mettrait sous les rampes de l’actualité nationale et internationale. Et cela dix-neuf après sa chute à la suite d’une Révolution populaire.
Vers la réhabilitation de Moussa Traoré ?
A propos, quinze associations de la société civile, rassemblées au sein de la Coordination malienne des organisations démocratiques (COMODE), s’étaient opposées, dans un message ventilé le 19 septembre dernier, à la présence de Moussa Traoré à la tribune officielle du défilé militaire du 22 septembre 2010. Ladite coordination étant présidée par Pr. Ali Nouhoum Diallo, un démocrate dans l’âme, c’est dire que la déclaration en question émanait de gens sérieux, de vrais démocrates qu’on peut difficilement accuser d’être manipulés. Avant la COMODE, un premier tract, allant dans le même sens et intitulé " Non ! Mille fois non ! Moussa Traoré, ce tyran, ne verra jamais la tribune du 22 septembre 2010 ", vilipendait le régime militaire qui " a instauré, du 19 novembre 1968 au 26 mars 1991, une dictature militaire qui a flétri notre indépendance, hypothéqué notre souveraineté et restauré le pacte colonial pour asservir et exploiter notre pays ".
Quant à la COMODE, elle disait dans sa déclaration qu’ " Il y a des limites qu’il ne faudra pas franchir par décence, par respect de la mémoire de tous les martyrs, morts dans les bagnes de Taoudénit et de Kidal, morts ou handicapés à vie après leur libération des mêmes bagnes mouroir et des prisons de Niono, de Yélimané, de Dioila, de Kolondiéba, de Ménaka, d’Aguel-Hok, de Boureissa et d’Ansongo…Il ne faut pas franchir ces limites par respect de la mémoire des martyrs des journées folles de janvier et mars 1991 qui dorment pour l’éternité au Carré des martyrs ou dans d’autres cimetières…La présence annoncée du Général Moussa Traoré à cette tribune constituerait une insulte à la mémoire de tous ceux qui se sont sacrifiés pour l’avènement du Mali libre et démocratique. Elle signerait une seconde mort de tous les martyrs de la Démocratie ".
L’ancien président de la République, Alpha Oumar Konaré, partage-t-il l’avis émis par ces associations démocratiques remontées contre le pouvoir suite à l’invitation adressée à Moussa Traoré par son tombeur Amadou Toumani Touré ? N’est-ce pas la présence supposée de Moussa Traoré à ce défilé qui semble avoir dissuadé le démocrate Alpha Oumar Konaré de faire le déplacement ?
Quant à l’ancien dictateur Moussa Traoré, il ne s’est pas non plus manifesté au défilé militaire de ce 22 septembre. Une absence qui se comprend aisément. Si l’ancien dictateur était, et cela pour une frange importante de la population, indésirable, tel n’était pas le cas de l’ancien président Alpha Oumar Konaré. Celui-ci avait, d’ailleurs, été reçu la veille du défilé militaire, en audience officielle par le président de la République, au Palais de Koulouba. Dans l’interview accordée à l’ORTM qui a suivi cette " audience officielle ", l’ancien président disait être venu à Koulouba " réaffirmer son attachement au 22 septembre 1960 et au 26 mars 1991 ".
Une visite qui prend maintenant tout son sens et donne lieu à mille interrogations et spéculations. D’où ce sentiment d’un boycott de protestation dans la mesure où, selon toute vraisemblance, l’ancien président Alpha Oumar Konaré était présent à Bamako le jour du défilé militaire. De ce fait, il aurait tout simplement choisi de rester en marge des cérémonies officielles pour, certainement, ne pas avoir à serrer la main de Moussa Traoré.
C’est dire que la réconciliation, qui a été le maître mot du discours à la Nation du président de la République, est encore loin de faire l’unanimité. En effet, dans ce discours, diffusé par l’ORTM le 21 septembre, le président de la République invitait " le peuple à se réconcilier avec lui-même " car, pour le président ATT, il faut " agir pour que toutes les filles et tous les fils du Mali se rapprochent…et enracinent dans les cœurs et les esprits, le pardon ". Surtout que, pour le président de la République, " le Mali n’a jamais arraché une seule page de son histoire ".
Il reste maintenant, au vu des réactions hostiles à une éventuelle réhabilitation (rétablissement dans ses droits de citoyen, lui faire recouvrer la considération du peuple, entre autres) de Moussa Traoré, à définir les contours allant dans ce sens, sans pour autant marcher sur l’orgueil et la dignité de ceux qui ont des motifs réels de ne pas vouloir accéder à cette sollicitation. Et c’est leur avis qui devrait, plus que d’autres assurément, prévaloir dans la prise de toute décision visant la réhabilitation de Moussa Traoré. Sans le pardon des victimes de la répression et leur adhésion à toute initiative de réconciliation, toute tentative de réhabilitation au forceps serait, naturellement, sans effet réel aux yeux du peuple souverain. Donc, par avance, vouée à l’échec.
Mamadou FOFANA