50 ans d’indépendance, le Mali a connu trois républiques et quatre présidents. La 1ère République, qui a commencé le 22 septembre 1960 avec la proclamation de l’indépendance. Les événements du 19 novembre 1968 ont jeté les bases de la seconde République avec la constitution promulguée le 2 juin 1974. La dernière et troisième République que nous vivons actuellement est née après la révolution du 26 mars 1991. Voici le parcours de quatre hommes qui ont eu à diriger notre pays de 1960 à nos jours.
Modibo Kéïta : le père de l’indépendance !
Née en 1915 à Bamako, Modibo Kéïta a fait ses études à l’école William – Ponty de Dakar. Il sort, en 1936, major de sa promotion. Pour ses encadreurs, le futur maire de Bamako est un "instituteur d’élite, très intelligent mais antifrançais, agitateur de haute classe, à surveiller de près ". Il enseigne dans les écoles de brousse puis à Bamako, Sikasso et Tombouctou. Il crée, avec le Voltaïque Ouezzin Coulibaly, le Syndicat des enseignants d’A.O.F
Il adhère au Bloc soudanais de Mamadou Konaté. Peu après se situe l’épisode auquel il fera souvent référence : un séjour de trois semaines à la prison de la Santé, initiation désormais classique à la lutte anticoloniale. Après le congrès de Bamako (1946), au cours duquel est créé le Rassemblement démocratique africain (R.D.A.) dont Houphouët-Boigny devient le président, il est nommé secrétaire général de l’Union soudanaise R.D.A., la section locale.
En 1948, il est élu conseiller général du Soudan puis, en 1953, conseiller de l’Union française. En 1956, il est le premier Africain à siéger comme vice-président à l’Assemblée nationale française. Il est secrétaire d’État en France d’outre-mer dans le cabinet de Bourgès -Maunoury (juin 1957) et à la présidence du Conseil dans celui de Félix Gaillard (novembre 1957).
Très attaché à l’unité, il fut président de la Fédération du Mali en janvier 1959. Mais la Fédération s’effrite avec le départ, au bout de trois mois, de la Haute-Volta et du Dahomey. Le 3 juillet 1959 est créé à Dakar le Parti de la fédération africaine. Il en est le secrétaire général et Léopold Senghor le président. L’indépendance est proclamée le 20 juin 1960.
En 1960, il forme avec Sékou Touré et Kwame Nkrumah l’Union Mali – Ghana – Guinée. Il est l’un des rédacteurs de la Charte de I’OUA (Organisation de l’Unité africaine) créée en 1963. Son prestige lui vaut de jouer un rôle de conciliation auprès du Maroc et de l’Algérie engagés dans la "guerre des Sables " (1964). Il signe la Charte de Casablanca. De 1965 à 1966, il normalise les relations du Mali avec ses voisins sénégalais, ivoiriens et voltaïques.
Les exactions d’une milice répressive suscitent un mécontentement profond dans la population. Le 19 novembre 1968, un Comité militaire de libération nationale (CMLN) prend le pouvoir. L’instituteur syndicaliste a été évincé par un ex-soldat de l’armée française, âgé de trente-deux ans, ancien enfant de troupe à l’école de Kati, le lieutenant Moussa Traoré. Modibo Kéita est emprisonné. Son procès n’aura jamais lieu. Soumis à un isolement continuel, le fils de Daba refusa toujours d’être libéré contre la promesse d’abandonner toute activité politique. Il est mort le 16 mai 1977 en détention à l’âge de soixante-deux ans. L’ancien président a été assassiné par le régime militaire. Celui dont le général de Gaulle avait dit un jour, en raison de sa haute taille, qu’il était "le seul chef d’État devant lequel il n’était pas obligé de baisser la tête pour lui parler " était devenu l’une des figures africaines les plus marquantes de la décolonisation et des années qui l’ont immédiatement suivie.
Général Moussa Traoré : le bourreau de Taoudenni ?
Né le 25 septembre 1936, Moussa Traoré fit ses études à l’Ecole des enfants de troupe de Kati avant de les poursuivre à l’Ecole préparatoire des Officiers d’Outre-mer. Nommé sous-lieutenant en 1961, il passa lieutenant en 1963. Après un séjour au Tanganyika (partie intégrante de l’actuelle Tanzanie), Moussa Traoré fut affecté, toujours comme instructeur à l’Ecole militaire inter -armes de Kati.
En 1968, contacté par un groupe de jeunes officiers, il organisa avec ses compagnons le coup d’Etat du 19 novembre 1968 qui aboutit au renversement du président Modibo Kéita. Moussa Traoré fut porté à la présidence du Comité militaire de libération nationale (CMLN).
Le 28 février 1978, il fit arrêter quatre de ses compagnons parmi lesquels deux (Tiécoro Bagayoko et Kissima Doukara) traînaient une réputation désastreuse au sein de l’opinion publique nationale. Après la neutralisation des faucons du régime, il devient le véritable "Numéro un" du pays. L’agitation estudiantine de 1980 s’acheva sur la mort du leader du mouvement Abdoul Karim Camara dit "Cabral". Le président Moussa Traoré avait dû se sentir bien démuni puisque le parti unique et constitutionnel qu’il avait créé, l’UDPM, n’avait su se poser ni en intercesseur, ni en mobilisateur de l’opinion publique. Moussa Traoré, qui était devenu entre-temps général de brigade en octobre 1978 (il sera promu général d’armée en mars 1982) commençait alors son apprentissage de la solitude du pouvoir. Celle-ci allait lui faire abandonner ses réelles aspirations d’ouverture de 1978 pour se laisser enfermer peu à peu dans la logique du cénacle.
Au début des années 90, cette logique atteignit sa forme la plus aboutie. Au-delà du parti et plus que le gouvernement, c’était un cercle restreint de proches et d’intimes qui exerçait la réalité du pouvoir et le guidait sur la conduite des affaires du pays. Usé par l’exercice de l’autorité, Moussa s’est référé pour des décisions importantes à son groupe de confiance avant d’agir.
Il s’est de plus en plus coupé des réalités du pays, dont il ne perçut pas les modifications en profondeur. Il connut son chant du cygne en 1988, année où il assuma la présidence de l’Organisation de l’unité africaine en même temps que se fêtait le 20ème anniversaire de sa prise de pouvoir.
Deux ans plus tard, les associations politiques lançaient les revendications pour l’ouverture politique. Imperméable à l’air du temps, sourd aux avis favorables au multipartisme qui surgissaient au sein de son propre camp, Moussa Traoré laissa passer des occasions historiques d’accepter l’ouverture. La répression sanglante de la marche estudiantine du 22 mars 1991 allait sonner le glas de son régime. Renversé par le coup d’Etat du 26 mars, Moussa Traoré sera condamné à mort lors du procès "Crimes de sang" et du procès "Crimes économiques" (les peines furent ensuite commuées en détention à perpétuité).
En mai 2002, il est gracié par le président Alpha Oumar Konaré. En ces deux occasions, il essaya de justifier et de valoriser sa gestion des affaires maliennes pendant 23 ans, mettant sa chute au compte d’un complot ourdi de l’extérieur.
Alpha Oumar Konaré : un panafricaniste à Koulouba
Alpha Oumar Konaré est né le 2 février 1946 à Kayes où il a fréquenté l’école primaire. Il va ensuite au lycée Terrasson de Fougères de Bamako, au Collège des Maristes de Dakar (Sénégal), au Collège moderne de Kayes et, entre 1962 et 1964, à l’École normale secondaire de Katibougou. Il fait ses études supérieures en histoire à l’École normale supérieure de Bamako (1965-1969) et à l’Université de Varsovie (Pologne) entre 1971 et 1975.
Il commence sa carrière professionnelle en étant instituteur à Kayes, puis professeur de lycée à Markala et à Bamako. En 1974, il est chargé de recherche à l’Institut des sciences humaines du Mali, puis, de 1975 à 1978, chef du patrimoine historique et ethnographique au ministère de la Jeunesse, des Sports, des Arts et de la Culture.
En 1980, il est nommé chercheur à l’Institut supérieur de formation en recherche appliquée (ISFRA), et professeur au Département histoire -géographie de l’École normale supérieure (ENSUP) de Bamako. Au cours de sa carrière, il a été responsable de plusieurs associations professionnelles (Association des Historiens – Géographes du Mali, Association ouest – africaine des archéologues, Union des Chercheurs d’Afrique de l’Ouest ou encore président du Conseil international des musées de 1989 à 1992). Entre 1981 et 1992, il a été consultant auprès de l’UNESCO et du PNUD.
Il commence à militer politiquement dès sa jeunesse. En 1967, il est élu secrétaire général de la Jeunesse US-RDA (Union soudanaise -Rassemblement démocratique africain, le parti du président Modibo Kéïta) de l’École normale supérieure de Bamako. Après le coup d’État de Moussa Traoré, il devient militant du parti clandestin "Parti malien du travail ". En 1978, il devient ministre de la Jeunesse, des Sports, des Arts et de la Culture avant de démissionner en 1980.
En 1983, il fonde et dirige la Revue culturelle Jamana et la Coopérative culturelle du même nom. En 1989, il fonde et dirige le journal ”Les Échos”. En 1990, il participe à la création de l’association " Alliance pour la démocratie au Mali " (ADEMA) qu’il contribue à transformer en parti politique en fondant l’Alliance pour la démocratie au Mali -Parti africain pour la solidarité et la justice (ADEMA/PASJ).
En 1991, il crée " Radio Bamakan ", la première radio associative libre du Mali.
En avril 1992, à la fin de la transition démocratique conduite par Amadou Toumani Touré, il est élu président de la République, avec 69,01 % des suffrages au second tour contre Tiéoulé Mamadou Konaté. Il est réélu pour un second mandat en 1997 au premier tour avec 95,9 % des voix face à un seul candidat, Mamadou Maribatrou Diaby.
Au plan national, son action est marquée par la restauration de la démocratie au Mali (malgré les difficultés de la tenue des élections générales en 1997), le règlement du conflit avec les Touaregs, la mise en œuvre de la décentralisation.
Mais les difficultés économiques persistent ainsi que la corruption. Il rend hommage au premier président du Mali, Modibo Kéïta en inaugurant un Mémorial à Bamako.
Sur le plan international, il œuvre pour la paix sur le continent et l’intégration régionale. Il a présidé la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest -africaine) en 1999 et 2000. En 2002, il respecte la constitution malienne qui limite le nombre de mandats présidentiels à deux. Amadou Toumani Touré va lui succéder. Alpha Oumar Konaré est élu président de la Commission de l’Union africaine le 10 juillet 2003 par les chefs d’États africains réunis au sommet de Maputo. Il est membre du Haut Conseil de la Francophonie. Il est docteur Honoris Causa de l’Université Rennes 2 Haute – Bretagne et de l’Université libre de Bruxelles.
Amadou Toumani Touré : le soldat de la démocratie
Le général à la retraite, Amadou Toumani Touré est né le 4 novembre 1948 à Mopti où il fréquente l’école fondamentale. Entre 1966 et 1969, il est inscrit à l’Ecole normale secondaire de Badalabougou à Bamako pour devenir instituteur. Finalement, il intègre l’armée en entrant à l’Ecole interarmes de Kati. Au sein du corps des parachutistes, il grimpe rapidement les échelons. Après plusieurs stages en URSS et en France, il devient commandant des commandos parachutistes en 1984.
En mars 1991, après les manifestations populaires réprimées dans le sang, il continue le coup d’État qui renverse le régime du général Moussa Traoré. Il prendra la présidence du Comité de transition pour le Salut du peuple et assurera les fonctions de chef d’État pendant la transition démocratique. Il organise la Conférence nationale (qui s’est déroulée du 29 juillet au 12 août 1991), puis des élections législatives et présidentielles en 1992. À l’issue de ces élections, il remet le pouvoir au nouveau président élu, Alpha Oumar Konaré. On le surnomme alors le "Soldat de la démocratie".
Il fonde et dirige une fondation pour l’enfance qui œuvre dans le domaine social.
En juin 2001, il est l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, en République centrafricaine, après un coup d’État manqué contre Ange – Félix Patassé.
En septembre 2001, il demande et obtient sa mise en retraite anticipée de l’armée. Il décide de se lancer dans la vie politique en posant sa candidature pour l’élection présidentielle. Il est élu président du Mali lors de l’élection présidentielle en mai 2002, avec 64,35 % des voix au second tour. Son adversaire Soumaïla Cissé, ancien ministre, obtient 35,65 % des voix. Sa présidence est assez atypique, il n’appartient à aucun parti politique. Le successeur d’Alpha Oumar Konaré opte pour une gestion consensuelle du pouvoir.
Soutenu par une frange importante de la classe politique, ATT est réélu en 2007 dès le premier tour pour son second et dernier mandat sur la base d’un Projet de développement économique et social (Pdes). Le général ATT a affirmé à plusieurs reprises sa volonté de quitter le pouvoir en 2012.
La Rédaction