Cinquantenaire : Le 19 Novembre… et les oubliettes de l’histoire ?

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C’est Fénelon qui disait que le bon historien n’est d’aucun temps ni d’aucun pays. Notre histoire politique immédiate n’est pas encore tout à l’inventaire. Dans les 50 dernières années de notre pays, nous avons des chiffres et des dates qui se suivent mais ne se ressemblent pas. Des nombres et des chiffres qui parlent au peuple malien comme par exemple le 20 Août 1960, le 22 Septembre 1960, le 20 Janvier 1961, le 19 Novembre 1968, le 26 Mars 1991… Dussions- nous ne jamais tout expliquer, nous nous sommes attardés sur quelques unes des observations liées à ces dates. Si on le niait, on se paiera de vains mots nous nous disons alors. Il y a maintenant 42 ans de cela, le 19 Novembre 1968, le Mali changeait de scène avec l’irruption des militaires.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous le pont et dans ce Mali Cinquantenaire que nous célébrons à l’unisson pourtant, il y a comme une sorte de ‘’ blocus sentimental’’ qui entoure le 19 Novembre 1968, mais que d’échos… La position que cette date avait à l’époque pour les Maliens a changé. Faut- il quereller la morale des vainqueurs d’un jour dans notre IIIème République ? Le pouvoir amené par Moussa Traoré va durer 23 années et pourquoi le souvenir de la Ière République est- il après sa mort ? Entre les deux termes le peuple malien serait- il redevenu raisonneur ? De cette date, on y voit donc plus d’intérêts divers, mais moins d’intensité dans l’évocation de cette journée.

Le 19 Novembre n’est plus une journée chômée et payée aujourd’hui comme pourrait l’être toute œuvre qui n’a de valeur que dans son encadrement. S’il y a toujours des mots pour les traits de ce 19 Novembre 1968 raconté par ceux qui l’ont vécu, des expressions marqueraient ceux qui n’étaient pas encore nés et ceux qui n’étaient pas exercés à les trouver. C’est que le 19 Novembre 1968 eut un grand retentissement dans le pays. Ce fut la césure, et comme on le dit les seules preuves nous viennent des anciens eux-mêmes. Il faut savoir écouter les témoignages de leur scepticisme à cette époque. Bamako bruissait alors d’étranges bruits.

Un Comité National de Défense de la Révolution que la chute de N’krumah enfanta au Mali se prit au jeu de tout régenter avec ses démembrements locaux. Les institutions du parti- Etat de l’US- RDA furent mises sous régime de curatelle. Ajoutez à cela les vexations nées de la milice populaire et vous verrez que dans la morne humidité du brouillard national de ce 19 Novembre 1968, c’est un temple mutilé que les jeunes militaires vont renverser. Voici ce que la conscience percevait à l’époque. Et qui pourrait donc oublier que le vrai sens des choses n’est possible à observer que pour celui qui se place à la source même des choses.

 

La première République donna lieu à une succession de postures                  

Le 22 Septembre 1960 avait eu un immense écho dans tout le pays. Les pères de l’indépendance se le disaient ainsi : Le Mali est né, le Mali continue. Le régime voulu par l’US-RDA et ses dirigeants de l’époque voulaient soulever de dessus le roc inique des pesanteurs nées au sortir de l’éphémère Fédération du Mali. L’infirmité de nos rapports avec la France qui se dessinait était solide à la base. Savoir ce que l’ancienne Métropole nous avait fait ne nous payait pas d’une politesse. Dans le Mali nouveau, nous sentions alors les flammes du volontarisme. La superbe de nos dirigeants était telle que l’état des solutions qu’ils eurent à envisager était noble en proportion des problèmes et des difficultés qui venaient. Les Maliens ne savaient rien encore des douleurs et des révoltes car leur leader Modibo KEITA en appelait à une « volonté héroïque » pour son peuple. On le suivit au début. Les difficultés pointant, le régime de l’US-RDA s’appesantit sur lui-même en ne convoquant pas son congrès statutaire. Le même régime va alors se faire ignorer sur son compte ce qu’il importait le plus de savoir : ses liens avec le peuple. L’erreur de l’US-RDA ne fut-elle pas de se sentir complet, par ce qu’elle était Union… ?

Ses dirigeants vinrent à ignorer le reste si bien que sur le tard le président Modibo KEITA lui-même laissa percevoir souvent son impatience à l’épreuve du pouvoir. C’est un régime qui va ouvrir la bouche sur lui-même et son peuple-milicien n’y pourra rien. On n’a pas encore fini d’interroger les circonstances sur le déplorable dénouement du régime de Modibo KEITA. Les Maliens n’oublieront pas de si tôt ce qu’il avait de grand. Tout n’était pas illusion chez lui, et voici en quoi il se distingue. L’ascendant de son régime sur la scène africaine fut admis et autorisé. C’est-à-dire que sa passion de la scène africaine, son panafricanisme fut reconnu… Un autre hommage qu’il partage avec d’autres comme N’krumah, Nyéréré… Cette autorité subsistera dans les lois fondamentales de toutes les Républiques qui suivront au Mali. Tous les politiciens qui vont venir après le régime de Modibo KEITA ont jusqu’ici parlé de ce qu’il a fait et défait depuis… Modibo KEITA voulait en politique que se réalise le miracle du volontarisme fécond…

Il a voulu enterrer un monde : celui de nos relations passéistes avec la France. Du haut de son palais à Koulouba, aimait-il à regarder le couchant ? D’aucuns vous diront que c’est vers l’Est, là où le soleil se lève que se portaient ses regards. Le régime de l’US-RDA aura duré huit (8) ans. La clameur qui accueillit ce jour là sa chute n’était pas feinte. On y distingua des milliers de voix venant de tous les rangs, des sifflantes et des profondes, des voix lointaines venant des campagnes. Un résumé pour saisir cette grande âme du peuple malien de ce désordre né du 19 Novembre 1968, c’était la lassitude. L’admiration vouée au président Modibo KEITA ne pesait plus dans la balance, même si les militaires ont procédé à des tâtonnements… Il faut dire que même après le renversement de Modibo KEITA, après Mars 1991 des éloges ont été distribuées chichement à la première République. Et c’est ainsi qu’on en était venu à détester tout ce qui retardait Mars 1991…

Un premier coup d’Etat qui ne pouvait éluder l’attention.

On a dit qu’on pouvait juger une société d’après les 30 personnes qui vous entourent. Il n’y avait qu’un homme en ce 19 Novembre pour prendre la tête des conjurés et ce fut le lieutenant Moussa Traoré. Les tombeurs de Modibo KEITA sont connus et on les a dénombrés ceux de qui partirent la fronde pour renverser le régime. Chacun de  ses 14 militaires du Comité avait la libre flamme de sa nature propre. Chez certains, il y avait de la vanité mais surtout de l’intérêt. Les histoires d’argent et d’égo vont triompher durant le règne du CMLN. Il n’y a rien de plus imprévu dit- on que le talent de Moussa Traoré a eu du talent. Pour naviguer pour ainsi dire entre cette présidence du CMLN et celle à la tête de l’Etat. Sous peine de vie du pouvoir du reste, car il ne va rien lâcher.

Moussa Traoré et ses compagnons d’armes firent plus qu’un coup d’Etat. Ils feront des hommes. Arrivé là à 36 ans aux affaires de l’Etat, Moussa Traoré gardera son énigmatique sourire. Les mêmes raisons qu’il se donna pour prendre langue avec la grande Histoire, face au déni des institutions de son pays, un autre frêle lieutenant de son état et commandant de sa garde présidentielle les prendra cet autre 26 Mars 1991 pour le renverser. Moussa Traoré avait une faculté maîtresse : savoir attendre son heure et agir. Ce fut la distinction du lieutenant Moussa Traoré d’entre les autres militaires, du moins ceux avec qui il partagera la figure de témoins historiques de cet instant du 19 Novembre. L’idée de succéder à Modibo KEITA était d’une suprême ivresse, mais elle pouvait effrayer.

Les militaires vont faire appel à d’autres ténors de l’ancien parti pour leur donner du souffle dans la direction à prendre. Une œuvre qui sera brièvement ébauchée avec eux, les militaires préférant d’autres essais ou tirer d’autres plans. Coule alors un fleuve trouble plein de pierres, de boue et de fureurs jusqu’en Février 1978. Le régime s’était donné entre temps un referendum en 1974 ce qui lui permettra de canaliser les énergies pour le futur parti constitutionnel l’UDPM. Moussa Traoré qui était d’un caractère composé n’avait qu’un seul ressort : sauver son siège avec un orgueil qu’il s’avait si bien caché. De cette date, après la longue mort du régime militaire, le pouvoir se modela et Moussa Traoré prendra sa libre action de se mêler à tout. Des problèmes ? Ils ne pouvaient que durer autant que le règne de Moussa Traoré lui-même.

Un vent soufflant de l’Est viendra le surprendre et quand cet orgueil (de son nationalisme) devient implacable, ce sera le tournant avec Mitterand. N’avait- il pas eu par le passé à renvoyer d’une chiquenaude Giscard d’Estaing et son milliard de franc ? Cette fois-ci au début des années 1991, c’est un torrent révolutionnaire qui frappe à la porte. Le président Moussa Traoré sera si irrité qu’il ne saura réagir au moindre évènement des idées en foule comme le multipartisme. De là son attention repliée et occupée par lui- même. Le président Moussa Traoré ne voulait plus juger ni se conduire qu’après le congrès de l’UDPM appelé de ses vœux à cet effet. Certains de ses collaborateurs les plus attitrés vont se sentir téméraires pour ne pas manquer de courage.

La brèche est ouverte alors. Mécontent, mortifié par les journées violentes de Mars 1991, le président Moussa Traoré se paye d’une conduite qui va exaspérer le camp d’en face. Son armée, qu’il a oublié dans cette affaire va se demander pour le compte de qui elle tire comme le soulignera un de nos confrères en son temps. Arrêté après le 26 Mars 1991, l’ancien président Moussa Traoré sera jugé, condamné et rendu « à la vie civile » à la suite d’une grâce présidentielle. Son règne, le plus long de l’histoire de nos jeunes Républiques aura duré 23 ans. Moussa Traoré, ancien chef de l’Etat, se tient désormais coi comme au-delà du bien et du mal et prenant part à cette malice de notre histoire qui veut que jusque là nos anciens chefs aient eu à s’éviter.

SALIF KONE

 

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