La scène se passe à Niamakoro, cet immense quartier populaire de Bamako. N.C., la vingtaine énergique, s’adresse, très enthousiaste, à Pierre, un oncle du coin. «Pierre, j’ai eu ma bac». Quoi? rétorque Pierre en tendant l’oreille, croyant n’avoir pas bien entendu sa nièce ou avoir à faire à un lapsus linguae de la part de celle-ci. «J’ai eu ma bac cette année et j’attends mon cadeau» fit NC, très fière.
Malheureusement, le cas de N.C. n’est pas l’exception qui confirme la règle. En fait, le niveau académique dans l’école malienne n’a cessé de dégringoler depuis des décennies, surtout à partir de l’avènement de la démocratie, en 1991. Le péché originel aura été le fait d’admettre au sein du CTSP (Comité de Transition pour le Salut du Peuple) le premier responsable de l’AEEM (Association des Elèves et Etudiants du Mali) de l’époque.
Ce fut le départ de l’instrumentalisation du syndicat estudiantin à des fins politiciennes. Résultat: les sorties intempestives ont rythmé les années scolaires, avec au bout du compte une chute drastique du niveau académique des élèves et étudiants. Surtout en français, matière qui se trouve être le medium par lequel les connaissances sont transmises.
Le drame, c’est que nombre de ces élèves et étudiants sont devenus les enseignants d’aujourd’hui, avec toutes les contreperformances que cela sous-entend. Une des conséquences fâcheuses de cette situation non enviable est que les jeunes diplômés maliens sont, la plupart du temps, évincés sur le marché de l’emploi, en particulier pour les postes les mieux rémunérés, faute de … compétences. Et dire que, dans un passé pas très éloigné, l’école malienne était la référence dans la sous-région! Aujourd’hui, elle est tout simplement citée en tant que contre-exemple.
Le plus grave crime que les hommes politiques maliens aient commis contre leur pays, c’est d’avoir utilisé l’école pour assouvir leurs ambitions politiciennes. Ce faisant, ils ont pris en otage l’avenir de nos enfants et, ipso facto, celui de la nation toute entière, car nos enfants et petits-enfants sont censés assurer la relève, demain.
Ce tort est à partager par l’ensemble de la classe malienne – majorité et opposition – qui n’a eu de cesse de faire de l’AEEM un instrument politique, et cela depuis l’avènement de la démocratie. Aux responsables de cette association, des espèces sonnantes et trébuchantes sont distribuées, au cas où d’autres avantages et privilèges indus ne leur sont pas accordés. Ce qui est de nature à aiguiser appétits et convoitises.
Très souvent, les élections pour le contrôle des instances de ce syndicat estudiantin donnent lieu à des pugilats. D’autres fois, ce sont même les couteaux ou autres armes à feu qui parlent. Il est donc grand temps que l’instrumentalisation de l’école à des fins politiciennes s’arrête, pour que nos enfants puissent enfin étudier dans la quiétude. Nombreux sont même ceux qui estiment qu’IBK, une fois les rênes du Mali en main, aurait été bien inspiré de dissoudre l’AEEM.
Sous d’autres cieux, où les politiciens sont plus patriotes et plus lucides, la classe politique, dans un bel élan consensuel, a décidé de mettre l’école hors du jeu politique. Les pays qui ont réussi cette expérience – et Dieu sait s’ils sont nombreux -s’en portent très bien. Pourquoi pas nous?
Yaya Sidibé
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