Ou quand les escrocs du Net rivalisent d’imagination pour plumer d’honnêtes citoyens.
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Cela fait maintenant plus de cinq ans que je reçois, au moins une fois par mois, des offres mirobolantes d’inconnus qui me proposent des occases en or que même un Kanté aurait du mal à refuser. Les correspondants qui piquent je ne sais où mon adresse électronique sont tellement généreux qu’ils me proposent de devenir millionnaire sans coup férir.
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Comment ne pas pleurer devant un tel déferlement de générosité ! Cependant, sachant que l’argent ne pousse pas dans les arbres et qu’on ne l’offre pas au premier venu, je choisis systématiquement de jeter ces « chances uniques » à la poubelle électronique, sans regret.
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Je dois cependant avouer que la semaine dernière, je n’ai pu m’empêcher de m’embarquer dans un petit jeu pervers avec une correspondante. La lettre que j’ai reçue est tellement bien réfléchie que je me suis dit : ce type est un démon. Je vous propose sa lettre en anglais (et ma traduction libre) et ma réponse. Pensez-y bien avant de faire confiance à des vampires :
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« Cher Monsieur Sow,
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C’est avec beaucoup de bonheur que j’ai fait votre connaissance par l’intermédiaire d’un ami qui travaille aux Nations unies. Je suis Judith Kaaba, la fille aînée du président Hejan Kaaka de Sierra Leone. Comme vous le savez, mon père, après deux mandats, doit tirer sa révérence car la Constitution de mon pays n’autorise pas trois mandats. Mon père a fait fortune dans le commerce du diamant, notamment avec les Libanais, puisque ma mère est Libanaise. Président, son trafic a énormément progressé. Aujourd’hui, il m’a laissé 8000 carats de diamant pur qui valent 11 millions USD. J’ai besoin de quelqu’un au Canada pour recevoir ces diamants et les vendre.
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Pour sortir le diamant de l’aéroport, le directeur des douanes demande 500 000 dollars de bakchich. Je suis prête à t’envoyer les diamants si tu peux payer les droits de douanes. Une fois le produit vendu au Canada, je te rembourse les 500 000 dollars et t’offre 2 millions de dollars. Je suis une fille en panique qui risque de perdre son héritage. Aide-moi pour que nous soyons tous riches.
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Amicalement, Judith Kaaba ».
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Avant ma réponse, je vous invite à observer quelques incongruités : le président de Sierra Leone se prénomme Ahmad Teejan et non Hejan ; lui et sa femme sont musulmans et comment sa fille peut-elle être Judith ; comment la fille d’un président en exercice peut-elle être réduite à négocier avec un petit patron de douanes dans un pays africain ? La plus grosse farce étant 8000 carats d’émeraude à 11 millions de dollars !!!
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Poussé par une magnanimité sans limites, je lui ai préparé une offre alléchante à mon tour :
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« Chère Madame,
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On dit souvent, à juste titre, que seuls les grands esprits se rencontrent. J’en ai aujourd’hui la preuve parce que dans tout l’Univers, votre choix s’est porté sur moi. Je suis Othman al Macina ben Douentza ibn Gueladjo wa Kounari, prince héritier de Diapaga et Fongolimbi, gardien des lieux saints de Tominian dans le royaume de Bataramogo. Mon père, le roi Kankan al-Moussa ben Toumboutou al Mandé el-Mali est le propriétaire des plus grands gisements d’or de la péninsule arabique. Etant prince héritier et unique enfant mâle de ma famille, j’étouffe sous le poids des traditions et mon père m’oblige à être puceau malgré mes 30 ans révolus.
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C’est donc une chance extraordinaire pour moi de rencontrer la fille d’un diamantaire et président dans le Bilad el Soudan. J’ai plus de 2 milliards de dollars à la Citibank de New York et je suis prêt à les partager avec toi si tu acceptes de me joindre au Royal Inn de New York pour quelque fornication. Mon avion spécial viendra vous chercher avec les 8000 carats de diamant que je ne pourrai qu’offrir aux pauvres de mon royaume puisque je vous achèterai toutes les mines de Sierra Leone. Mes deux fakirs, Abdoul El Majid Ben Jamana ibn Thiam et Yaya el Wassoulou Ben Yanfofila wa Sangaré viendront vous apporter les diadèmes, perles et armoiries de la royauté afin que vous arriviez en princesse sur mon modeste château de 19 milliards de dollars planté au milieu de l’Atlantique.
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Ce sera un plaisir pour moi de vous louer un chalet à Alcatraz ou Sing Sing, hauts lieux de villégiature aux Etats-Unis dont les suites royales sont même dotées de chaises électriques et de chambres à gaz. En espérant que ma princesse aux pétales délicats s’épanouira dans les bras qui porteront bientôt le sceptre royal, je vous envoie tout l’amour de l’océan Pacifique ». Je n’ai plus eu de ses nouvelles après cette lettre.
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Je ne peux m’empêcher de pousser des cris de frayeur chaque fois que j’apprends dans les médias, que des escrocs d’un si piètre niveau ont réussi à gruger des crédules. Dites-vous simplement une chose : quelqu’un qui a des millions de dollars ne cherchera jamais un inconnu avec qui les partager. C’est un bon sens élémentaire.
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Ousmane Sow
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(journaliste, Montréal)
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