La seule journée n’aura certainement pas suffi. Alors, il a fallu prendre toute une semaine pour participer à la lutte contre le tabac. Le Gouvernement a trouvé là encore matière à occuper le devant de la scène. Avec quels résultats ? L’avenir édifiera plus d’un. En attendant, il faudra se pencher quelque peu sur cette stratégie des conférences-débats, marches, raouts télévisés, déclarations, professions de foi, etc.
Comparaison n’est certes pas raison, mais en Europe et en Amérique, les autorités sont passées par tous ces voies et moyens sans pouvoir faire baisser, ne serait-ce que d’un cran, la consommation de tabac. Dernièrement, l’Occident a même eu la fumeuse idée de diaboliser la fumée en contraignant les manufacturiers de tabac à dessiner sur les paquets de cigarettes tous les ravages que la nicotine et les goudrons peuvent causer sur l’organisme des fumeurs actifs et passifs.
L’expérience est trop récente pour en évaluer les retombées. Quelques années auparavant, l’interdiction de fumer dans les lieux publics et la sur-taxation des tabacs n’ont pas donné les résultats escomptés. Ou plutôt, si. Les taxes et droits de douanes versés par les usines et négociants représentent des sommes colossales investies dans les économies nationales. C’est sans doute ce qui explique que l’activité ne soit pas purement et simplement interdite. L’Occident, s’il veut bien faire les choses, ne peut pas et ne doit pas, s’interdire de brûler les champs de tabac, de fermer les usines de fabrication de cigarettes, de poursuivre les vendeurs et revendeurs de ce produit jugé hautement toxique. Et le Mali ?
Notre pays ne peut que dire, du bout des lèvres, oui à ce que l’Occident lui commande. Il y a longtemps que nos dirigeants ont compris que le tabac nourrit grassement son homme. On se rappelle que la SONATAM (Société nationale des tabacs et allumettes du Mali) a été vendue au plus offrant, après moult péripéties, alors qu’elle n’était plus d’aucune rentabilité financière. Sa privatisation a permis à l’Etat de se refaire une santé économique substantielle, alors que sa faillite et son manque de performance étaient le prétexte tout trouvé pour mettre fin à cette activité dangereuse pour l’organisme humain. Il faut croire que l’Etat, toujours très bien avisé, a jugé plus utile de soigner la santé des caisses publiques que de se pencher sur le sort de quelques concitoyens rongés par la tuberculose et les cancers. Il fallait que la SONATAM fasse encore plus d’argent et de ressources, qu’elle remplisse consciencieusement son rôle de vache laitière aux seuls bénéfices de quelques dirigeants peu soucieux de la santé des populations. A titre d’exemple, quand la SONATAM a éprouvé quelques difficultés dont l’Etat n’avait pas besoin, c’est à «une haute cadre» de l’administration, habituée à faire reverdir même le plus rocailleux des déserts, que l’on a fait appel. Et Mariama Kaïdama Cissé, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, s’est si bien acquittée de sa tâche que le Chef de l’Etat lui a fait appel pour gérer sa fin de règne. Adepte de la rentabilisation à outrance de sociétés tabatières en difficulté, on serait bien curieux de savoir ce qu’elle compte faire pour avoir un Mali sans tabac.
Peut-être penserait-elle tout simplement que le tabac tue beaucoup moins que l’anophèle et le VIH. En effet, malgré tout le ramdam fait autour de cette Semaine de lutte contre le tabac, il s’est avéré que le paludisme et le sida tuent beaucoup plus que la tuberculose et les cancers. C’est pourquoi il y a la Journée internationale de lutte contre le paludisme et la Journée mondiale de prévention contre le Sida. N’allez surtout pas croire que lutter contre veut dire prendre un FM, un PM ou un BRDM contre parasites et virus, quoique ce sera plus raisonnable. Non, il s’agit plutôt d’en profiter pour détourner tranquillement les financements, vendre le matériel, mener des formations-bidons, et se gaver en toute bonne conscience. Ce n’est pas le Fonds mondial de lutte contre le paludisme, la tuberculose et le Sida qui dira le contraire. Lui qui a compris que ces maladies faisaient beaucoup plus vivre qu’elles ne tuent. Et cela le révolte encore beaucoup plus quand il voit que les quelques individus épinglés pour détournements et malversations, mangent en prison beaucoup plus et mieux que la quasi-totalité des malades auxquels ils ont dénié le droit d’être soignés.
Et si l’on sait que ces malades ont surtout besoin de soins intensifs et urgents, et qu’on leur a froidement volé leur santé et leur droit d’être guéris, les fumeurs n’ont plus qu’à s’en remettre au bon Dieu ou au mauvais diable. Car le tabac est réputé tuer lentement, à petit feu. Et rares sont les fumeurs qui sont pressés de mourir, à long feu.
Cheick TANDINA