En 2002, quand ATT a accédé au pouvoir suprême en juin, beaucoup lui avaient promis un séjour écourté à Koulouba. Les plus sceptiques sont allés jusqu’à penser que militaire qu’il était, il ne comprenait rien à la politique. Entendez la politique politicienne sur la base de laquelle on gère les affaires au sommet. Ils lui donnaient deux ou trois ans au pouvoir, et prévoyaient sa démission avant la fin de son premier mandat.
Cependant, quelques fins analystes et observateurs, dès le début de l’année 2004, ont trouvé qu’avant de rendre le tablier, et ce au bout des deux mandats règlementaires, ATT, tout général militaire et néophyte politique, aura à donner des leçons de sciences politiques à l’ensemble de la classe politique. Et, effectivement, dès son élection, il a inventé le consensus, la gestion consensuelle du pouvoir qui consiste à convier tout le monde autour du buffet garni de la République. Et hormis ceux qui n’étaient pas vraiment invités ou qui avaient décidé de se mettre à la diète, aucun responsable politique n’a boudé son plaisir de se requinquer après les années de privation et d’ostracisme imposées par l’Adema. Ce dernier non plus ne s’est pas écarté du pouvoir. Au contraire.
La première leçon infligée par ATT a été de se faire élire par le peuple malien grâce au soutien massif de la classe politique partisane. Certains partis ont même reniés les siens. Après avoir ridiculisé et banalisé les partis politiques, le président leur a adjoint des associations «civiles» pour la gestion consensuelle. Un consensus dont, excédés, se retirent le RPM, en 2006, le Parena et la Sadi, en 2007. Pour compromettre la réélection d’ATT. Or en cette année, l’Adema, qui a compris que les «politiciens» n’ont plus aucun crédit dans ce pays, a préféré tomber encore plus dans la banalité et le ridicule en s’abstenant de se présenter, contrairement aux autres partis politiques qui, tous réunis, n’auront pas la moitié des suffrages exprimés. ATT est réélu dès le premier tour. Et réédite son consensus, avec, cette fois, quelques boudeurs qui, toute honte bue, le rejoignent un peu plus tard. A ce stade, s’il est vrai que la Sadi a décliné l’offre, ce parti est à saluer et mérite tout respect.
C’est au cours de son deuxième mandat qu’ATT a vraiment surclassé la classe politique. Avec l’affaire du Code de la famille et des personnes. Un texte à l’élaboration duquel il aurait largement participé, du début de la relecture à l’adoption par l’Assemblée nationale. Pourtant, quand il y a eu un tollé général soulevé par quelques rétrogrades et arriérés, le général a tout fait pour faire croire au peuple malien qu’il n’était au courant de rien. La faute à qui alors, se sont demandés les islamistes? A la classe politique, bien sûr. Celle-ci n’a d’ailleurs pas échappé à la vindicte populaire dirigée par ces associations.
Aujourd’hui, elles ont leur récompense : Diamouténé vient d’être nommé à la tête de la CENI de Kafougouna. Pour bons et loyaux services, en particulier pour avoir éteint le brasier.
Quelques années plus tard, une autre adoption par le parlement, celle du projet de révision constitutionnelle, sera encore l’occasion pour la société civile et quelques partis politiques de tirer à vue sur la classe politique, notamment les députés pris à partie pour complicité de «tentative de coup d’Etat contre la démocratie et la liberté»
Aujourd’hui encore, en l’absence de tout dauphin désigné et de véritables préparatifs d’une année électorale, en présence d’un fichier électoral rafistolé et d’une CENI monocolore, malgré les promesses d’ATT de rendre le tablier à terme échu, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la tenue d’élections générales en 2012, donc sur le départ du chef de l’Etat le 8 juin prochain.
Pendant donc près de dix années, ATT n’a fait que mener la classe politique en bateau, imposant à ses élèves ses lubies les plus inattendues et donnant lieu à équivoque et quiproquo.
On se rappelle qu’il y a quelques temps, en visite à Kurukan Fuga, un patelin perdu quelque part dans le Mandé, et supposé, à tort, être le berceau de la démocratie, ATT a remis à Ibrahim Boubacar Kéita une relique de Soundjata Kéita. Il n’en fallait pas plus pour faire dire à quelques «observateurs» avertis le message auquel ATT voudrait qu’on croit : qu’il passera le témoin à IBK.
Aujourd’hui, en pleine période de précampagne électorale, alors que tous les véritables poids lourds se sont déclarés ou ont été investis par leur famille, le Charlot se paye des têtes de Zozos et de Cocos. Modibo Sidibé est convié à assister à ses côtés à la finale d’une banale coupe de football et à l’inauguration du troisième pont de Bamako. Soumaïla Cissé est prié d’interrompre sa participation aux travaux de la conférence nationale qui doit l’investir et de l’accompagner à Mopti. Quant à Dioncounda Traoré, il était tout heureux de parader aux côtés du général coupant le ruban symbolique d’un aéroport.
Ces quatre hommes sont tous candidats à sa succession. Leur présence remarquée, parce que largement médiatisée, dans le sillage du grand homme ne pouvait que nourrir les allégations et supputations voulues par Koulouba.
Il faut garder le flou successoral jusqu’au bout au village des Charlot, Zozos et Cocos. Même s’il n’est un secret pour personne qu’un ministre de mission s’est vu confier une nouvelle mission : se présenter à la présidentielle contre le candidat officiel de son parti. Histoire de diviser la famille en faveur du dauphin mal caché.
Cheick TANDINA