Le président de la République, Amadou Toumani Touré, on le savait déjà, tient à ses réformes institutionnelles et politiques comme à la prunelle de ses yeux. De la création d’une Commission de réflexion Daba Diawara à un Ministère de la réforme de l’Etat en passant par un Comité d’appui, le chef de l’Etat a tout mis en œuvre pour imprimer sa marque personnelle à la Troisième République, une république qu’il a largement contribué à mettre sur les rails, en promulguant l’actuelle Constitution en février 1992. Malgré la contestation de la quasi-totalité des états-majors de la classe politique et des agitations qui se sont révélées inutiles, le grand homme continue sur sa lancée.
Lentement mais sûrement. Et surtout résolument. Il n’a rien à faire de l’opinion de la classe politique. Il n’en est pas membre officiel actif. Lui, c’est un militaire qui est entré dans l’histoire, en 1991, par effraction, et en 2002, par l’accident dont a été victime la classe politique. Et pour mieux marquer son mépris de ces politicards, après les avoir utilisés et pressurés en leur faisant voter son avant-projet de révision constitutionnelle, il s’apprêterait, selon des sources généralement bien informées, de dissoudre l’Assemblée nationale, et de renvoyer les futurs ex-députés raconter d’autres bobards plus tôt que prévu. Il légiférera alors par ordonnances. La raison ? Il parait qu’il veut harmoniser les élections présidentielles et législatives et le référendum. Pourquoi pas les municipales, pour faire plus complet, et harmoniser les mandats des conseillers communaux et ceux des sénateurs? Faudrait qu’il sache ce qu’il veut, le militaire reconverti dans la haute politique.
En tout cas, pour l’heure, à la lecture du projet de constitution que le peuple votera à coup sûr, le pays se dirige tout droit vers plusieurs bicéphalismes. Avec un pouvoir législatifs à deux Chambres, Assemblée Nationale et Sénat ; avec un pouvoir exécutif à deux têtes, un Amadou président et une Mariama Premier ministre ; un pouvoir judiciaire à deux vitesses. Où est le problème ? Il n’y en a pas.
Sauf qu’avec toutes ces paires à la tête des institutions, il y aura forcément des frictions, sinon des querelles de leadership. Pourtant, si chacun se contentait de rester à sa place et de respecter ce que disent les textes, il n’y aura pas de bobos. Mais au Mali, on est habitué aux amalgames. Ainsi, le chef de l’Etat, déjà avec l’actuelle constitution, se substitue souvent à son chef de gouvernement pour exécuter des tâches. De nouvelles dispositions stipulent que le président peut congédier son Premier ministre, à n’importe quel moment, sans attendre que celui-ci lui présente une lettre de démission. En fait, on n’a fait que formaliser un état de fait qui existe depuis des décennies. En effet, tous les Premiers ministres qui ont quitté le gouvernement ont purement et simplement démissionnés, congédiés, renvoyés. De Younoussi Touré à Modibo Sidibé, en passant par Sékou Sow, Ibrahim Boubacar Kéita, Mandé Sidibé, Modibo Kéita, Mohamed Ag Hamani, Ousmane Issoufi Maïga.
La primature est beaucoup trop juteuse et pulpeuse pour que ces messieurs aient eu envie de démissionner. De plus, on dit que le Premier ministre ne fera plus de déclaration de politique générale (DPG). Mais justement, depuis 1992, les PM n’ont fait simplement que lire devant les députés les DPG du président de la République, généralement un catalogue de bonnes ou mauvaises intentions sur la base duquel ils ont été élus à la tête du pays. Les PM n’ont servi que de fusible.
D’autres dispositions nouvelles qualifient de haute et de basse les nouvelles chambres parlementaires. Or, il y a des malchances à ce que le sénat soit envahi par les actuels animateurs du haut conseil des collectivités territoriales, appelé à rendre l’âme. Et, en guise d’animation, ce n’est un secret pour personne que le HCCT n’a jamais vraiment pesé dans la gestion des affaires publiques, n’a jamais été pris au sérieux par quelque politique, n’a jamais imposé une délibération. Les futurs sénateurs ne changeront pas du jour au lendemain. Surtout que certains d’entre eux ne sont même pas écoutés chez eux où ils ne figurent plus dans le conseil communal.
En ce qui concerne la justice à deux vitesses, il n’y a plus rien à en dire. Les Maliens se sont fait, depuis longtemps une religion, sur la manière dont la justice est administrée. A deux vitesses. La première, pour les uns, la seconde, pour les autres. Les nouvelles dispositions constitutionnelles prévoient d’inféoder le président de la constitutionnelle au chef de l’exécutif, lequel aura désormais le pouvoir de sa nomination. Est-ce à dire que bientôt seuls les candidats favoris de Koulouba auront gain de cause à l’issue des nombreux jugements des contentieux postélectoraux ? Il faut le craindre car, pour certaine, les juges seraient indépendants de tout sauf de l’argent ; pour d’autres la justice serait le maillon faible de la démocratie.
Bonne chance quand même aux bicéphalismes. Car ATT appellent les citoyens de tout le pays à réformer avec lui.
Cheick TANDINA