ATT a dit récemment au cours d’une confidence qu’il lui est plus facile de nommer un ministre que de nommer le directeur général de l’ORTM. Grand lecteur de journaux et féru du petit écran, le président sait ce qu’il dit. Il sait en tout cas que Bozola est un enjeu national, l’objet de toutes les convoitises. A preuve, du boss le plus huppé au bana bana de la rue chacun veut se faire voir à la télé. Au cours des cérémonies et événements en cas de retard, les organisateurs s’inquiètent : "l’ORTM n’est pas encore là ?" au grand dam des journalistes de la presse écrite relégués au rang de seconds couteaux.
Le général sait aussi que tout bon putschiste commence d’abord par contrôler la radio et la télévision car qui contrôle l’information contrôle le pays. Ce n’est pas pour rien que chaque jour que Dieu fait les politiciens se crêpent le chignon pour avoir voix à l’antenne. Un endroit aussi stratégique, pense le président, doit être confié à un homme carré, un ciseau rare qui ne vole pas sous les tropiques.
Mais Bozola est un panier à crabes et la succession de Sidiki N’Fa Konaté ne sera pas de tout repos. La longévité exceptionnelle de l’enfant de Kolondiéba s’explique, non pas parce qu’il était l’ami ou le protégé des hommes du jour, mais plutôt parce qu’il aimait véritablement son travail. C’était un stakhanoviste de la première heure et comme on dit, il avait l’amour du métier. Aidé de son fidèle secrétaire surnommé Ba et du directeur de la télé Manga Dembélé, Sidiki avait abandonné toute vie de famille pour se consacrer à son job. Venu tôt au travail, il ne ressortait de son bureau qu’à 22 heures. Même les samedis, pendant la nuit, il était toujours fidèle au poste. Le directeur avait toujours le nez enfoui dans les dossiers quitte à faire attendre les nombreux visiteurs qui, chaque jour, assiégeaient son bureau pour trouver une solution à leurs soucis. Et Sidiki les recevait à tour de bras disant au passage que "il ne sera pas dit un jour que je n’ai pas reçu quelqu’un". Pourtant, on se dirait dans la cour d’un monarque où les courtisans sont légion et les griots une nuée.
Tous les agents de Bozola sont d’accord au moins sur un point : aussi bien dans la joie que dans la douleur le boss les accompagnait en terme d’assistance matérielle et financière. Sa quote-part venait s’ajouter à celle d’un syndicat bien organisé. Cependant, plus que celui d’un ministre, le poste de directeur général de l’ORTM est un fauteuil hautement éjectable. Qu’on se rappelle l’éphémère règne de Mamadou Kaba au temps chaud de la révolution, de Cheickna Hammalla Diarra, Alphonse Sagnan Berthé et de bien d’autres. C’est que ici on aime à se marcher sur les pieds, les eaux sont infestées de requins et de piranhas, c’est bourré de francs tireurs et de tireurs au flanc. Demandez aux OC (paix à son âme) Kolicero Cissé, Daba Sérémé et Abdoul Gassama, les doyens ont retenu leur leçon. Ce n’est guère donc étonnant que Sidiki N’Fa Konaté en son temps fusse victime des intrigues de couloir et des basses manœuvres ourdies par ceux-là mêmes qui étaient dans ses grâces. Evidemment, l’on n’est mieux trahi que par les siens. C’est la tradition dans la maison. Mais contre mauvaise fortune il fera toujours bon cœur. A cause de ses performances connues en haut lieu et dont le clou sera sans doute la couverture médiatique exceptionnelle par Bozola des festivités du cinquantenaire, il échappera à une révolution de palais. Bien auparavant, ATT avait déjà été impressionné en recevant en direct les images de l’ORTM à New York assis parmi ses compatriotes. Aussi le président mettra t-il le paquet en fournissant une aide logistique considérable à la boîte.
En plus des ennemis de l’intérieur, l’ancien DG fera face aussi à la fronde des ennemis de l’extérieur. Et c’était encore pire car les politiciens réclamaient sa tête lors des élections de 2007. Ils disaient qu’il est partial, qu’il censurait leurs messages, bref, qu’il roulait pour le pouvoir. Pendant que certains voulaient porter plainte, d’autres envisageaient de marcher sur l’ORTM. Et ce fut le jour le plus long dans la vie d’un homme. Il faut ajouter à cela le procès en diffamation à Ségou intenté contre lui et Iba N’Diaye. Ce jour-là votre fidèle serviteur titrait dans L’Indépendant "procès Sacco et Vanzetti" en rappel des deux Italiens injustement accusés d’être des anarchistes au début du siècle dernier aux Etats-Unis et exécutés pour faire un cas. Une fois de plus Sidiki échappera aux griffes du loup. Sa promotion en tant que ministre de la communication n’est que la consécration du mérite. Ce choix honore toute la presse malienne car nous ne voulons plus de candidat parachuté surtout venant de la BAD. Sidiki a longtemps trimé dans le cabinet des différents ministres de l’information avant de voir le bout du tunnel. Après Gaoussou Drabo, on s’attendait à ce que cela soit une tradition mais.
Le seul regret de Sidiki N’Fa Konaté serait, peut-être, de ne pouvoir désormais diriger le JT de 20 heures à partir de son PC opérationnel de Bozola. En tout cas, "la passion du service public", ce fils de chef de canton et ancien étudiant à Nice l’a transportée jusque dans son village natal près de Kolondiéba en faisant des forages pour offrir de l’eau potable aux populations. Qui assumera un héritage aussi augustre ?
Mamadou L. DOUMBIA