Roue libre : Qui a tué Modibo Kéïta ?

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Lors du procès "crimes de sang" les avocats de la défense avaient posé la question devenue désormais célèbre de savoir "qui a tiré, qui a donné l’ordre de tirer ?". Aucune réponse claire ne sera donnée à cette question. Au contraire, on a rabattu le caquet à Drissa Traoré de Bougouni, membre du bec de l’UDPM qui voulait certainement faire quelques révélations fracassantes à ce sujet. La réponse donnée par le brillant Me Binkè Kamité à savoir que Moussa n’avait pas besoin de donner d’ordre et qu’il suffisait de le regarder dans les yeux, n’avait convaincu personne à l’époque.

Aujourd’hui encore, avec la mort du premier président du Mali indépendant une autre question se pose : qui a tué Modibo Kéïta et qui a donné l’ordre de le tuer ? Si l’historien français Alain Decau s’était intéressé à notre sort, il aurait sans doute classé ce dossier parmi "les grandes énigmes de l’histoire". Ici, on est en plein dans «Le mystère de la chambre jaune» où un homme a été assassiné sans effraction dans une chambre avec portes et fenêtres closes. Mais par où est donc passé l’assassin?

Nul doute, au premier chef, que le comité militaire de liquidation nationale, composé des quatorze zéros du 19 novembre 1968 et qui a mis brutalement fin à l’expérience socialiste du président Modibo Kéïta, est directement responsable de la mort du père de la nation. Mais est-ce une mort naturelle ou un assassinat politique ? Jusqu’à présent, en tout cas, personne ne croît à la thèse officielle.

En effet, le 16 mai 1977, un communiqué laconique du comité militaire lu sur les ondes de Radio Mali disait que "Modibo Kéïta est mort d’un œdème aigu des poumons". Il n’en fallait pas plus pour que la rumeur se répande comme une traînée de poudre que l’ancien président a été liquidé dans son geôle du camp para par le docteur Faran Samaké sur injonction du redoutable Tiécoro Bagayogo, alors membre du comité militaire et directeur général des services de sécurité.

Pour en rajouter à la suspicion, ce célèbre praticien du Point G s’est suicidé tout juste à la veille du procès de la "bande des trois" dont faisait justement partie le soldat de deuxième classe Tiécoro Bagayogo. Simple coïncidence ou craignait-il des révélations très embarrassantes ? Si l’on sait qu’en Afrique les suicides sont rares, il fallait au docteur Faran Samaké de puissants motifs pour passer de vie à trépas. D’après le capitaine Soungalo Samaké, le tortionnaire du Camp para, dans son ouvrage intitulé "Ma vie de soldat", c’est Faran Samaké qui a fait des injections au président le jour même de sa mort. Mais jusqu’à présent, on ne connaît pas la nature de ces injections.

L’infatigable Amadou Djicoroni, compagnon de première heure de Modibo Kéïta, ne fait donc que reprendre une thèse qui a déjà assis la conviction du commun des Maliens. On se demande alors quel honneur la progéniture de Faran Samaké veut rétablir en le traînant devant les tribunaux. Un honneur à jamais terni par le doute et la suspicion. Il y a des morts à ne pas réveiller au risque de se voir poursuivre par des fantômes.

Le procès contre Djicoroni sera le procès de toute la République, une nouvelle affaire Dreyfus parce qu’il ouvre une page de l’histoire du Mali. Il portera aussi un coup fatal au processus de réhabilitation du général Moussa Traoré entamé par ATT et à son initiative malheureuse de réconciliation nationale. La levée de boucliers déjà suscitée par cette affaire n’est qu’un avant-goût amer pour les héritiers du docteur Mengele. Car, même à défaut de comparaître devant le juge, les bourreaux doivent répondre de leur crime.

Pour cela, toute la République est derrière Amadou Djicoroni. Pourvu que ce ne soit pas une réécriture de l’histoire du Mali comme le prônent les révisionnistes. Un crime a été commis, qui est l’assassin ? Amadou Traoré ne sera pas le dindon de la farce. C’est un héros national qui passe devant le tribunal de l’histoire.

Mamadou  Lamine DOUMBIA

 

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