Ça y est, les jeux sont faits, on ne connaîtra plus jamais la vérité sur la mort du président Modibo Kéïta, le père de l’indépendance nationale. Et cette affaire est désormais à classer au nombre des grandes énigmes de notre temps tout comme l’assassinat de John Kennedy, le 22 novembre 1963 à Dallas. Juges, avocats et témoins, chacun a fait ce qu’il peut mais tout était au rendez-vous sauf la vérité dans les faits. Parce que justement il manquait beaucoup de pièces à conviction dans ce dossier.
A commencer par l’absence à la barre des bourreaux Moussa et Youssouf Traoré, têtes de proue à l’époque du régime mussolinien du comité militaire de liquidation nationale. Poursuivis par l’œil de Caen, ils ont eu la trouille de se présenter devant le juge pour ne pas endosser ne serait-ce que la responsabilité morale de l’assassinat de leur auguste devancier. Ajoutons à cela le manque d’autopsie de la dépouille mortelle du président défunt, l’absence d’indication sur la nature du produit qui lui a été administré en dernier lieu sur instruction du docteur Faran Samaké. Il est quand même curieux qu’aucun des témoins vivants du drame, à commencer par le capitaine Soungalo Samaké et son médecin traitant, n’ait pu fournir le moindre indice sur ce produit mystérieux.
Que donc faute de preuves formellement établies que docteur Faran Samaké a tué Modibo Kéïta, par contre, un faisceau de circonstances l’accablent. A commencer par son suicide inexpliqué tout juste à la veille du procès de la bande des trois composée de Kissima Doukara, Karim Dembélé et Tiécoro Bagayogo. Surnommé Django, Tiécoro était considéré comme l’enfant terrible du comité militaire. Même Moussa le craignait. Lui et Faran Samaké étaient intimement liés. Le célèbre praticien du Point G craignait-il quelques révélations fracassantes de son ami prisonnier sur la mort de Modibo Kéïta ? Jusqu’à présent, en tout cas, les Maliens continuent de le croire.
S’ajoute à cela le témoignage fracassant du capitaine Zan Samaké alors commandant de la compagnie de Kidal lors du passage de Modibo. Celui-ci déclare que "Modibo était très bien portant quand il quittait Kidal pour son transfert à Bamako. Contrairement à ce qu’on en a dit Modibo n’a jamais fait l’objet de transfert pour raison de santé". Alors question : l’a-t-on fait expressément venir à Bamako pour le liquider ? Autre contradiction et de taille, pendant qu’un communiqué laconique du gouvernement de l’époque lu sur les antennes de Radio Mali annonçait que "Modibo est mort d’un œdème aigu des poumons", son médecin traitant, le colonel Sidy Mohamed Sall dans son témoignage, brouille toutes les pistes. Après avoir d’abord dit que "sans autopsie, nous ne connaissons pas la cause de la mort de Modibo Kéïta", il affirme ensuite sans même sourciller que "Modibo est mort d’une infection cardiovasculaire".
Madre de Dios, les uns parlent du cœur, les autres du poumon. Comment se retrouver dans cet embrouillamini? Manifestement, dans cette affaire, il y a anguille sous roche. Ce qui fait que la balance penche plus du côté de Amadou Djicoroni que de celui des héritiers de Faran Samaké.
D’ailleurs, pour mieux éclairer la lanterne des cardiologues et des spécialistes des maladies pulmonaires, nous leur livrons les témoignages du capitaine Soungalo Samaké sur les symptômes de l’agonie du premier président du Mali. En effet, dans son livre "Ma vie de soldat" Soungalo dit : "Un jour le soldat qui lui apportait son repas est venu me voir pour me dire que Modibo était tombé de son lit. J’ai couru pour aller dans sa cellule. Il bavait, je l’ai pris dans mes bras. J’ai dit au soldat aide-moi. Nous l’avons couché dans son lit. Je lui ai posé la question qu’est-ce que tu as ? Il voulait parler mais le son ne sortait pas. J’ai fait appeler l’infirmier-major et je lui ai posé la question : Modibo a-t-il été soigné ce matin ? Oui ! A quelle heure ? A dix heures. Qui a fait la prescription ? C’est le docteur Faran Samaké".
Il n’y a pas de crime sans criminel qu’il s’appelle Jean ou Paul. Aussi longtemps que vivra le monde les Maliens croiront toujours que leur président a été assassiné. A quoi donc bon réveiller les morts si ce n’est l’entêtement de quelques brebis égarées qui ont l’outrecuidance de traîner un honorable vieillard sur la place publique. Amadou Djicoroni n’est-il pas le grand père de ceux qui le persécutent ? Quel honneur avaient-ils à défendre de la part d’un homme qui s’est suicidé ? Le suicide n’est-il pas un crime devant Dieu?
Dans ce procès du siècle, Amadou Djicoroni sort, certes, la tête haute mais le problème reste entier.
Mamadou Lamine DOUMBIA