Face à l’expression exacerbée de la bêtise humaine (si l’on peut encore qualifier d’humain ces individus qui sévissent à Tombouctou) dans le nord du Mali, la communauté internationale a organisé, samedi dernier, un énième sommet de concertation et de conciliabules sur la conduite à tenir. Mais encore une fois, la Cédéao et ses partenaires techniques et financiers vont diverger sur les questions essentielles qui ne sont plus de savoir s’il faut intervenir militairement ou non, mais comment et quand envoyer une force étrangère au Mali.
Ce qui entraîne automatiquement une autre question qui est loin d’être subsidiaire :où précisement envoyer cette force ? Il est vrai qu’on est tenté de rétorquer promptement que c’est le nord occupé qu’il faut libérer. Mais d’autres -et ils sont de plus en plus nombreux- pensent que le sud également a besoin d’aide. Notamment pour stabiliser les institutions de la transition et les rendre plus crédibles et plus représentatives aux yeux de la communauté internationale. Car celle-ci, pour s’engager sur un terrain miné et explosif, a plus que jamais besoin d’un interlocuteur beaucoup plus sérieux que le gouvernement du Martien.
Ce déni de sérieux et de crédibilité, les pays qui sont au chevet du grand malade qu’est le Mali, depuis le 22 mars, ne cessent de les mettre en avant. Les uns sont favorables à une intervention militaire étrangère au Mali à condition de recevoir une demande formelle et officielle d’un gouvernement sérieux et crédible. Les autres n’hésiteraient pas, s’ils avaient l’aval et la couverture des Nations unies, à se passer de l’accord d’un gouvernement qui ne compte pas à leurs yeux. Qu’est-ce que les uns et les autres reprochent à ce gouvernement ? A l’instar de nombreux Maliens, ils reprochent à l’équipe de Cheick Modibo Diarra d’avoir été composée sans consultation préalable de la classe politique et de la société civile maliennes.
Pour rappel, ce gouvernement a été mis en place, le 24 avril, dans la foulée de la signature de l’accord-cadre du 06 avril entre le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (Cnrdre) et la Cédéao, suivie de la concertation entre les forces vives de la nation malienne et le médiateur burkinabé, en mi-avril à Ouagadougou. Un Premier ministre ayant été nommé quelques heures plus tard, le 17 avril, ces forces vives se sont senties flouées. Ce sentiment s’est aussitôt renforcé par deux constats : le gouvernement a été formé selon la seule volonté du médiateur qui a le dernier mot pour entériner les propositions du chef de la junte, le capitaine Amadou Haya Sanogo ; à la place d’une personnalité neutre et deconsensus, c’est un chef de parti politique, candidat déclaré à l’élection présidentielle, qui a été nommé avec pleins pouvoirs. Nonobstant l’amertume, les forces vives ont laissé faire donnant sa chance au nouveau chef de gouvernement. D’autant plus que celui-ci, dès le lendemain, à sa sortie d’audience avec le président de la République par intérim, déclare qu’étant donné la gravité de la situation et de l’ampleur des problèmes, il allait mettre en place «un gouvernement fort, une équipe très solide qui mènera des actions concrètes jusqu’à la libération totale de notre territoire et jusqu’à la fin de la transition avec une seule chose en tête :le Mali »
Mais les forces vives vont vite déchanter car, au lieu des technocrates neufs et sans souillure attendus, on leur sert un gouvernement composé n’importe comment et de n’importe qui. Un mélange de parfaits inconnus et de tristement célèbres personnes exhumées d’un passé honni. Soixante-quinze jours plus tard, le constat est patent : la plupart de ces ministres sont incapables et incompétents dans la gestion des affaires publiques ; le Premier ministre n’a pas de véritable feuille de route autre que sa mission de restaurer un ordre ancien et banni. Les conseils de ministre, qui ne se tiennent pas à jour fixe et dont la convocation dépend des humeurs du Martien, ne traitent pas de dossiers autres que les nominations de proches, amis, protégés, ressortissants du même terroir, promotionnaires d’école, etc. Pouvait-il en être autrement ? Non, évidemment !
Constitué sur une base aussi politiquement restreinte et sélective, le gouvernement de Cheick Modibo Diarra ne peut faire que du surplace, éludant ou fuyant les vraies questions d’ordre national, incapable d’atteindre les objectifs que le peuple lui a assignés, à savoir le retour à l’intégrité territoriale et le retour à l’ordre constitutionnel, c’est-à-dire des élections propres et crédibles sur toute l’étendue du territoire national.
Aujourd’hui, il semble que la Cédéao, qui gouverne et administre le pays, estime que ce gouvernement a atteint toutes ses limites, et qu’il en faut un nouveau à constituer sur une base politiquement plus large, à comprendre le maximum des différentes sensibilités nationales. Il le faut, certes, mais l’exigence d’un gouvernement inclusif, épuré du Martien et de sa bande, a ses risques. En effet, cette équipe doit comprendre des personnes au dessus de tout soupçon, neutres au maximum, compétentes et engagées. Or ceux qui se sont précipités à Ouagadougou sont loin de répondre à ces critères. Ce sont les habituels cadres politiques de ce pays, qui ont compris qu’un gouvernement national est le meilleur moyen institutionnel pour eux d’assouvir des ambitions personnelles, partisanes et politiques.
Ils ont leur propre agenda alors qu’il s’agit de faire vite car pour une transition de douze mois, soixante-quinze jours sont déjà perdus.
Cheick Tandina