Rétrospection :Le général prépare l’opinion

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Le président, Amadou Toumani Touré, a opté, en fin de semaine dernière, pour une stratégie digne du général qu’il est : utiliser son meilleur organe d’Etat, l’ORTM, pour un micro-trottoir dont le principal but est d’amener les Maliens à dessiner le portrait-robot du futur Premier ministre. Il ne s’agit ni plus ni moins pour lui que de faire dire à l’opinion publique, en particulier, le citoyen lambda, ce qu’il voudrait qu’elle dise. Et pousser la classe politique à accepter ce choix.

Les Maliens se sont prononcés publiquement à la télévision. Ils veulent un gouvernement de mission, composé et dirigé par des technocrates, qui doivent s’attaquer à la cherté de la vie, aux revendications des travailleurs, aux grèves scolaires, préparer des élections crédibles et apaisées, acceptées par tous. Autrement dit, il faut un homme en qui ATT a entièrement confiance au point de lui confier les rênes du pouvoir, dans cette dernière ligne droite. Et ATT a raison.

Ces derniers temps, le chef de l’Etat a été soumis à une très forte tension : la société civile et les « petits » partis politiques le croyaient sourd à leur appel à remercier le gouvernement Sidibé ; les « grandes » formations politiques, malgré quelques gémissements trompeurs et des larmes de crocodiles, se croyaient assurés de garder leurs représentants dans le gouvernement, ne voulant pas d’un remaniement au lendemain incertain, leurs ministres pouvant être tentés, une fois renvoyés du gouvernement, de ne plus alimenter les caisses du parti. De plus, les ministres qui seront désignés par ATT (à qui appartient le choix ultime), même s’ils sont issus de parti politique, pourraient être à sa solde et en mission pour son parti, le PDES. Dans un tel climat de suspicion, de doutes et d’interrogations, le chef de l’Etat, qui, quelque part, a comme signé des pactes de non agression avec certains partis politiques, avait l’obligation d’assurer ses arrières en débarquant les politiques, et d’assurer également ses devants en entourant ses futures actions de l’onction populaire.

Et l’adhésion populaire, il l’avait déjà, car les Maliens ne veulent pas de cette faune politique. Ils l’ont démontré en 1997, 2002, 2004, 2007 et 2009, par des taux record d’abstention aux différents scrutins (présidentiel, législatifs et communaux). Ils l’ont démontré en 2002 et 2007 quant ils ont massivement boudé les politiques pour n’accorder leur confiance qu’à « un indépendant ». Et dans bien d’autres domaines, ils le démontrent régulièrement depuis les années 1993-94, c’est-à-dire depuis l’avènement du processus démocratique. Comme pour dire que s’ils se sont débarrassés du clan rendu impopulaire du général Moussa Traoré, ce n’est sûrement pas pour subir ça. Ça ? Une démocratie au rabais avec plus de 120 partis politiques dont personne ne sait à quoi ils servent, à part rogner, chaque année, sur le déjà maigre budget national. Un multipartisme pléthorique et onéreux avec des élections dont l’organisation matérielle coûte excessivement cher au contribuable et aux partenaires techniques et financiers. Ce n’est pas tout.

Un important budget est alloué au fonctionnement d’une Assemblée nationale remplie de députés ne représentant que leur seule et unique personne, ne défendant que leurs seuls et uniques intérêts personnels et individuels. Une importante part du budget national est allouée à la survivance de partis politiques, dont le seul mérite est de s’être fait délivrer un récépissé, qui n’anime rien alors qu’ils sont censés dispenser une éducation civique et citoyenne à des militants de plus en plus rares et désabusés. Un énorme manque à gagner financier et moral est engendré par diverses pratiques de trafics d’influence, de corruption, et de concussion. D’importantes sommes d’argent sont détournées de leurs vraies destinations par certains hommes au pouvoir.

Les Maliens savent bien que tous ces pactoles pourraient leur servir. A ne plus attendre d’être un vieux diplômé de 45 ans pour décrocher un premier emploi, très souvent précaire ; à ne plus assister, impuissant et désespéré, à la déstructuration du tissu social, notamment le premier noyau qu’est la famille ; à manger le minimum qu’il faut pour survivre ; à s’habiller décemment ; à ne plus dormir à la belle étoile ou sous un toit qui menace à chaque fois de leur tomber sur la tête ; à se soigner avec de vrais médicaments et non avec les produits hautement nocifs proposés par les « pharmacie par terre » ; à se faire consulter par de véritables médecins au lieu d’avoir recours aux charlatans qui, également, se multiplient et prospèrent grâce à certaines radios privées en manque de publicité. Le Malien sait qu’avec des gouvernants crédibles, responsables et consciencieux, ils pourraient avoir accès à l’administration et aux services de base sans avoir à débourser à tous les coups.

Et pour tout cela, ATT n’a pas besoin d’un micro-trottoir que les Maliens n’ont pas besoin d’un remaniement pour ne rien changer.
Cheick Tandina

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