En cette année 2012, le Mali a commémoré la cinquante deuxième année de son accession à la souveraineté nationale et internationale. Les autorités ont décidé, pour une fois, d’être sobres et modestes. Donc point de cérémonies pompeuses et de spectacles bruyants. Mais peut-on ne pas parler de pompeux et de clinquant quand l’anniversaire du 22 septembre, un seul jour, s’étend jusqu’au 24 septembre, c’est-à-dire sur trois jours chômés, fériés et payés pour un des pays les plus pauvres de la planète, qui de surcroit est en guerre?
Le mois dernier déjà, sous prétexte du Ramadan, trois jours dont un lundi avaient été chômés, fériés et payés. Les autorités savent-elles au moins ce que coûtent trois jours, dont un lundi, de chômage? Ce n’est pas sûr.
En effet, les trois hommes qui dirigent le pays ne mesurent pas vraiment les réalités dans lesquelles vivent les populations. L’un est militaire, donc censé ignorer la chose politique. l’autre est un martien donc censé ignorer les choses de la planète terre. Quant au troisième, c’est un gâteux donc presque sénile. Ces trois hommes se trouvent là où ils sont à cause d’un tragique et regrettable accident de l’histoire. Mais ce n’est certainement pas une raison pour ignorer que trois jours à ne rien faire sont de trop pour fêter «l’indépendance» un pays dont la souveraineté internationale, l’intégrité territoriale et l’unité nationale sont malmenées depuis plus de six mois.
Le territoire du pays est divisé en trois grandes parties: le nord que contrôlent des groupes armés, le sud que se disputent la classe politique, la société civile et les forces armées, le centre où militaires, miliciens et bandits armés se regardent en chiens de faïence.
Le nord lui-même est divisé en trois régions dont chacune est sous la coupe d’un groupe islamiste et terroriste: AQMI (Al-Qaïda pour le Maghreb islamique) à Tombouctou, Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest) à Gao, Ansar Eddine à Kidal.
Un pays en lambeaux
Au sud, c’est également la division entre les anti et les pros putsch du 22 mars, les centristes. Selon qu’on soit pour ou contre Amadou Haya Sanogo et ses camarades, l’on est Copam (Coordination des organisations patriotiques du Mali) ou Fdr (Front pour la sauvegarde de la démocratie et de la République). Les centristes étant ceux qui aspirent également à gérer les affaires publiques sans pour autant prendre officiellement ou ouvertement position pour ou contre la junte. Ce sont l’Adps (Alliance des démocrates patriotes pour une sortie de crise), Csm (Convergence pour sauver le Mali), Ibk-Mali 2012. Chacun de ces regroupements, drainés essentiellement par des acteurs de la classe politique divisée, est parvenu également à diviser les syndicats, lesquels étaient déjà écartelés entre les deux centrales syndicales, et d’autres organisations de la société civile fortement divisée par des intérêts politiques.
La société, en général, n’est pas demeurée en reste. Elle aussi fortement divisée au point où les spécialistes et experts parlent de fracture sociale. Entre les nouveaux riches, des parvenus heureusement encore minoritaires, une classe moyenne dominée par des fonctionnaires affairistes et des hommes d’affaires, et la grande majorité de la population qui supporte vaillament la faim, la soif, la maladie, le dénuement.
C’est dans ce contexte donc que les autorités ont décidé de célébrer l’indépendance d’un Mali en lambeaux sans tambours ni trompettes, mais en octroyant trois jours de congé payés aux populations pour qu’elles oublient leur peine perdue et les tracasseries incessantes. Il est vrai que ce pays n’a jamais brillé par un zèle ou un excès de travail, mais tout de même.
En attendant, dans ce pays divisé, le pouvoir ne pouvait être que divisé. Parce que le Mali c’est aussi cela: une hydre à trois têtes dont une seule domine vraiment les deux autres. Laquelle ?
Cheick Tandina