Mali : Vraiment, «justice» n’est pas justice

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On devrait organiser une audience solennelle pour chaque rentrée judiciaire! Toutes ces toges rouges, ces robes noires, le maillet qui en impose, la gestuelle rodée, le phrasé consacré… Tout cela donne envie et du sens à la rentrée judiciaire. Les cours et tribunaux sortent ainsi leur grand jeu, pour une année au service (et à l’asservissement?) des justiciables…  

Ils étaient tous là, ils étaient tous beaux, pour signer le premier acte de l’année judiciaire 2011-2012. Entre effets de manches et éloquence des mots et des professions de foi, le corps judiciaire de notre pays a effectué sa rentrée hier lundi 21 novembre 2011, sous l’œil vigilant du président de la République. Mais surtout sous un thème très engageant axé sur «le rôle du juge dans la réussite du processus électoral ». Un vrai challenge dans un pays… désintégré par le piétinement continu de certaines valeurs traditionnelles et la montée en puissance, depuis quelque temps, de la «justice pour soi».

C’est patent comme il est devenu à la fois banal et irrépressible de se faire justice soi-même dans ce Mali où, comme le disait l’autre depuis des temps anciens jamais révolus, «la morale agonise» – peut-être même est-elle finalement morte! – depuis que les Hommes intègres désabusés sont devenus des «bandits». L’agression des membres de l’UNTM par des policiers lors du défilé du 1er mai a fait croire que la loi et tout ça, c’est du pipeau. Une femme meurt-elle en couche du fait de la négligence coupable et de l’indifférence notoire des matrones, la population, comme un seul homme, saccage et met le feu à la maternité! Un accident survient-il sur une route? Sortie de nulle part, une horde de justiciers s’empare de l’affaire et empêche, le temps d’une crise soudaine, les innocents automobilistes de circuler… Pendant ce temps la corruption est d’un naturel insoupçonné. Et la devise des cadres reste : « moi d’abord, s’il en reste le pays pourra en bénéficier », comme on aime à le proclamer et même à le chantonner fièrement depuis l’arrivée du président ATT aux affaires !   

Il est donc temps que le maillet de la rentrée judiciaire frappe là où la justice a mal dans ce pays, c’est-à-dire partout dans notre société en pleine déliquescence. D’ailleurs, le sinistre de la Justice et de la Promotion des Droits humains l’a fort justement rappelé, le pouvoir judiciaire ne peut être solide qu’à travers «la mise en place d’un système judiciaire efficace, indépendant et crédible à même de lui permettre de jouer son rôle de régulateur de la société». Et si l’Etat jure, main droite levée, qu’il continue de fournir de gros efforts dans ce sens, il y a malheureusement encore tant à faire pour soigner l’image d’une justice qui mélange les vitesses, les lenteurs et les précipitations, offrant parfois des enterrements de première classe à certains dossiers pendants qui n’en finissent de pendre.          

Mais hier, au Centre International de Conférences de Bamako (CICB), dans la grande dimension de la rentrée la plus solennelle de la République, chacun a su trouver le mot juste pour exprimer les aspirations du plus grand nombre. Même le verbe s’est fait ferme et solennel dans la bouche du premier président de la Cour suprême, Nouhoum Tapily, qui n’a nullement occulté les atteintes à la justice et à l’Etat de droit dans notre pays. «Une décision de justice ne peut être contestée que par l’exercice des voies légales de recours», a-t-il martelé.    

Dans sa robe noire de défenseur de la veuve et de l’orphelin, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, Me Issiaka Keita, y est allé lui aussi de sa petite note, plaidant pour «une justice compatible avec l’exigence des normes attendues par les citoyens dans un Etat de droit ». Là-dessus, tout le monde est d’accord. Même le Garde des Sceaux Maharafa Traoré, sorti comme à l’accoutumée pour honorer la rentrée judiciaire de sa présence, qui estime, la main sur le cœur, qu’il faut «faire respecter scrupuleusement les décisions de justice». Et puis quoi? Imaginez une société où il n’y aurait pas de justice, «d’institution judiciaire pour traiter des nombreux contentieux, des conflits qui naissent quotidiennement sur les plans politique, économique… entre les citoyens dans l’Etat de droit »! On nagerait en plein dans l’Etat de gauche ! ?  

Pour l’instant, tout est dit. Bien dit. Il reste cependant que tout soit fait selon ce qui est dit. Et là, il faudra inventer sans doute une autre rentrée de la pratique, moins solennelle celle-là, mais véritablement concrète.

Jean pierre James

 

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