Le conseil des ministres du 19 septembre a publié le projet de loi de finances pour l’exercice 2008 qui deviendra, une fois adopté par l’Assemblée nationale, le budget de l’Etat. On dit en général que ce document est un acte fondamental et annuel par lequel le gouvernement d’un pays démocratique compte ses amis politiques autour d’ambitions chiffrées.
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En préambule, le gouvernement a défini son projet de budget comme un instrument visant à réaliser « les objectifs du cadre stratégique pour la croissance et la réduction de la pauvreté (2007-2011) qui s’articulent autour des axes suivants : le développement des infrastructures et du secteur productif, le développement de l’accès aux services sociaux de base, la poursuite de la consolidation des réformes structurelles et le renforcement de la gestion du développement ».
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Les infrastructures, le secteur productif, les services sociaux et du bien-être sont des axes excellents en eux-mêmes et font partie de ce que les économistes appellent les « éléments de ressources réelles ». Toute l’action de développement consiste précisément à construire dans un pays des « ressources réelles » résistantes à la loi des rendements décroissants, c”est-à-dire dont la valeur ne baisse pas avec le temps qui passe.
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J’aurai conseillé de rajouter à la liste des éléments de ressources réelles ci-dessus, la formation des ressources humaines et les emplois adéquats pour notre développement. Je voudrai dire, et en cela, je suis en désaccord avec les néo-libéraux, que les emplois ne dépendent pas de la conjoncture économique dans un pays où les ressources humaines sont sous-employées mais au contraire l’emploi est un élément nécessaire au développement. Cet emploi ne doit être ni fantaisiste ni de complaisance. Il doit être utile.
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Je dois reconnaître, sur la base de ce que je lis, que le gouvernement s’efforce déjà de soutenir la création d’emplois de base aussi bien dans le monde rural que dans les zones urbaines, périurbaines au travers des jeunes déscolarisés, en particulier. Là où je diverge d’avec le gouvernement et en cela, la divergence est profonde, le gouvernement compte sur le « cash » de l’aide extérieure pour financer son budget de création de ressources réelles. Pourquoi mon désaccord avec le gouvernement sur ce point est-il profond ?
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Il est profond dans la mesure où je vois ce budget comme la suite familière des autres budgets depuis au moins 10 ans. Il s’efforce de gérer les acquis sans explorer de pistes nouvelles. Surtout il ne cherche pas à rompre avec les pratiques qui confortent les comportements sociaux actuels dont tout le monde reconnaît qu’ils ne mènent pas vers le développement. Il consiste donc, fondamentalement, à gérer les équilibres existants alors qu’à mon avis, il faut plutôt gérer des déséquilibres ; briser les équilibres anciens pour aller de façon progressive et planifiée vers de nouveaux points d’équilibre.
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Nous sommes dans un monde capitaliste. Par nature, le capitalisme crée des déséquilibres toujours plus grands. Les riches deviennent de plus en plus riches. De nombreux pauvres deviennent de plus en plus pauvres. En Afrique, les déséquilibres créés par le capitalisme sont aggravés par la corruption des classes au pouvoir. C’est ainsi que les déséquilibres systémiques sont aggravés par des déséquilibres immoraux et illégaux. La gestion des équilibres acquis dans un pays en développement devient vite du sur-place et finit par aliéner la jeunesse sans emploi et les forces de production surtout dans le monde rural, implacablement écrasées par la globalisation.
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Illusion de confort
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Sur les 330 entités industrielles qui constituent le tissu économique national, 300 (soit 91 %) étaient en situation de faillite en décembre 2006, selon les chiffres du gouvernement malien. Ce budget changera-t-elle cette situation ? Avant ce budget, les fortunes dont certaines ont évidemment été mal acquises n’étaient pas taxées pour contribuer à effacer le déséquilibre que les malversations ont créé au sein de la société malienne.
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Ce budget corrigera-t-il cette situation ? L’Etat malien fonctionne dans une large mesure grâce au « cash » fait de dons et autres aides budgétaires octroyés par « les partenaires au développement », qui sont souvent ses compétiteurs dans l’arène de la globalisation et dans la lutte pour l’appropriation des ressources économiques mondiales. Cela n’est pas sain. Ce budget y remédie-t-il ?
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La gestion des équilibres existants crée une situation qui donne une illusion de confort en agissant comme la drogue, en créant une accoutumance. Pour clarifier ce point, je vais l’illustrer par un exemple tiré de l’actualité brûlante de notre pays et qui montrera l’impérieuse nécessité de devoir changer souvent les paramètres d’une situation pour évoluer. La perturbation de l’ordre public au Nord. Je ne parle ni de « problème Touareg », ni de « banditisme touareg ». En cela je blâme les journalistes et les journaux qui écrivent comme si au Mali existait une situation de ségrégation raciale institutionnelle. Ces organes de presse servent, ainsi faisant, le discours des groupuscules dissidents et desservent la cause de l’unité nationale. Voilà une histoire qui dure depuis un certain temps.
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On a précipitamment signé un accord avec des citoyens maliens qui se sont armés contre la force publique. Ils se sont éloignés de cet accord pour reprendre les armes de nouveau en causant des morts ; civils et militaires. De nouveau, le gouvernement cherche à négocier c”est-à-dire à revenir vers les mêmes points d’équilibres qui se sont révélés si instables. Les paramètres principaux de cet équilibre boiteux sont 2 personnes : Bahanga et Fagaga. Il existe sans doute d’autres paramètres.
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A mon avis, pour aller de l’avant, il faut modifier les paramètres, créer une situation nouvelle qui permettra d’aller vers un autre point d’équilibre qui, nous l’espérons, sera plus stable. Autrement on court sans fin vers cette illusion d’une paix avec Bahanga et Fagaga au détriment de la paix pour tout le pays.
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Troubles à l’ordre public
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Si on ouvrait un débat réel, on s’apercevra certainement que, via la présence de l’armée malienne dans le Nord du pays, cette région reçoit plus de flux financiers que bien d’autres régions du pays. Je ne veux pas faire l’assertion que la région de Kidal va bien mais je veux dire qu’elle n’est pas moins bien traitée qu’une autre région du pays. Par contre les conditions climatiques ôtent aux habitants de cette partie des opportunités d’activités d’autosubsistance qui sont possibles ailleurs.
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C’est réellement cela le problème. Il n’est pas propre au nord mais c’est le problème de développement du Mali. Partout dans notre pays, les populations ne font que survivre. Les populations qui ont l’air d’aller mieux ne sont pas servies par l’Etat mais vivent dans la précarité et par la grâce de l’autosubsistance. Au 21e siècle cela n’est pas le signe d’un succès national.
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La situation est devenue complexe et surtout confuse. Des questions de fond mais simples sont sans réponses. Que représentent Bahanga et Fagaga ? Le gouvernement malien est-il suffisamment précautionneux en associant des « pays amis » à la résolution de cette crise ? A ce niveau, je voudrais rappeler une parole de Winston Churchill qui, insinuant qu’il faut se méfier d’un « pays ami », disait ceci : « L’ennui avec les pays amis c’est qu’ils ont leurs propres intérêts, leurs propres ambitions et leurs propres objectifs ». Et l’Histoire prouve qu’en définitive « les pays amis » finissent, tôt ou tard, à ne suivre que leurs propres intérêts, leurs propres ambitions et leurs propres objectifs.
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En politique, ceci est une règle générale que l’on paie toujours cher si on ne l’observe pas. Notre propre histoire peut nous instruire. Ce ne sera pas un conseil de trop que de rappeler ici la devise de l’Empire Bambara de Ségou établie par Biton Coulibaly et qui est : « Diè ni Sika » (entente et méfiance). Entre pays amis, entre amis politiques, la règle à Ségou, était : « entente et méfiance ». Rappelons que malgré sa méfiance extrême le roi de Ségou Biton Coulibaly adopta un petit esclave enlevé lors du pillage du village de Niola à côté de Niamina, région de Koulikoro (ma géographie administrative du Mali peut être incorrecte).
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Il s’attacha aux qualités de ce jeune esclave au point de lui donner en mariage sa fille prénommée Sika (méfiance). Cet esclave, à la mort de Biton, finira par tuer le prince héritier prénommé Dièkoro (sous la l’entente) pour s’emparer du pouvoir, abolir le pouvoir des Coulibaly et installer la dynastie des Diarra à Ségou. Ce jeune intrépide et ambitieux fondateur de dynastie sorti de l’esclavage est Ngolo Diarra, père de Monzon, grand-père de Da.
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Revenons aux troubles à l’ordre public au nord du pays. Les solutions, à mon idée doivent être recherchées entre Maliens et à deux niveaux décalés dans le temps. Une solution immédiate. Elle consiste à froidement changer les paramètres qui font problème. La solution à long terme consistera à créer 2, 3 ou 4 régions de développement économique et social selon des critères permettant de mettre en synergie les spécificités locales compatibles avec la formation de ressources réelles.
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A mon avis le modèle actuel de décentralisation dans un pays large, sous-peuplé et démuni comme le Mali risque d’accroitre les poches de pauvreté et affaiblir le sentiment national. Notre modèle me semble correspondre à un émiettement excessif du pays sans assurer la création de ressources locales. Cela éloigne le citoyen du cœur sentimental de la Nation représentée par un état devenu invisible et prédateur. Il est certainement temps de procéder à une évaluation critique de notre modèle. On a la grande chance que le maître d’œuvre de cette décentralisation, le ministre Sy soit toujours un acteur national actif. Pourquoi ne pas lui confier cette tache d’évaluation critique ? Cependant la présente crise créée au nord appelle tous les Maliens, citoyens individuels ou militants de partis politiques à s’investir. C’est possible. Il m’a même été donné de le pratiquer. Voici comment.
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A la fin des années 1980 et au début des années 1990, le simple scientifique que je suis, dans son bureau du 146 Boulevard de Valmy à Colombes, en France, a reçu pratiquement tout ce que l’Afrique du Nord au sud, de l’Est à l’ouest pouvait compter de ministres « puissants ». Mais il a aussi reçu des gueux. C’est ainsi qu’un jour de février 1988, en fin d’après-midi, débarqua dans mon spacieux bureau de directeur général du Licia (Laboratoire international de calcul et d’informatique appliquée), Jean-Pierre C.
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Il portait sous le bras un classeur qui contenait un descriptif détaillé d’armes et de véhicules à livrer aux « rebelles du Nord-Mali ». Jean-Pierre était en route pour une réunion devant se tenir quelques heures plus tard, dans la nuit, en banlieue nord de Paris. J’ai découvert des choses étonnantes. Le mouvement rebelle d’alors était soutenu par des individus particuliers et des groupuscules d’obédiences variées. Jean-Pierre était un aventurier anti-gaulliste qui se disait proche du général putschiste Raoul Salan un des 4 auteurs du coup d’Etat d’Alger, fondateur de l’OAS (Organisation de l’armée secrète), favorable à l’Algérie française et qui venait de mourir 4 ans plutôt.
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Révélations
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Des groupuscules d’extrêmes droites qui se réunissaient dans le quartier de la Madeleine à Paris hébergeaient certaines activités de Jean-Pierre. Le père de Jean-Pierre, un autre aventurier, fut un moment, entre 1958 et 1959, chargé de « neutraliser » le président Ahmed Sékou Touré. Je me suis déplacé en personne pour rencontrer, dans le Sud-ouest de la France, le père de Jean-Pierre qui était alors un vieux monsieur de 83 ans. Il m’expliqua qu’il avait décidé que Sékou Touré ne méritait pas d’être assassiné car, il trouvait qu’en réalité Sékou Touré aimait son pays comme lui aimait la France.
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Il me témoigna que ce sont des particuliers français ayant des intérêts en Guinée qui l’avaient recruté et non les services français. Dans le lot des activistes voulant aider les rebelles retranchés dans l’Adrar des Iforas, les plus dangereux étaient les universitaires. Pour donner plus de chance à la « rébellion au Mali », ils avaient conçu un plan diabolique qui prévoyait de déséquilibrer totalement l’Etat malien en nommant à la tête du mouvement rebelle le ministre malien de l’Intérieur de l’époque qui était de l’ethnie sonrhaï et dont le nom, si ma mémoire est bonne était Abdourahmane Maïga. J’ai l’intime conviction que le ministre Maïga n’en fut point informé.
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Quelque temps après la visite de Jean-Pierre, je voyageais vers Bamako. Mme la présidente et son aide de camp partageaient avec moi la cabine de 1re classe. J’étais assis juste derrière eux. Nous n’avons pas échangé un seul mot durant tout le trajet de Paris à Bamako. Ce fut de même dans le salon VIP de Roissy. Je devais quitter Bamako une semaine plus tard. J’ai appris que le ministre Maïga serait dans le même avion en partance pour Paris. Il n’y fut pas.
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J’ai appris que le président lui avait demandé de surseoir à son voyage et quelques jours plus tard il n’était plus ministre. Je n’ai jamais su pourquoi. J’ai fait partie de patriotes ne représentant qu’eux-mêmes qui ont contribué à calmer les supports de la rébellion de la fin des années 1980. Mais plus que nous, l’élément important qui arrêta momentanément et opportunément les soutiens privés européens à la rébellion furent les troubles qui survinrent en Pologne et en Roumanie.
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Pour soutenir la révolte en Europe de l’Est, les groupes aidant la rébellion se sont désintéressés de notre pays. D’ailleurs, Jean-Pierre, notre aventurier aura, des dents cassées dans des échauffourées en Pologne. Je ne crois pas du tout que l’Etat français était impliqué en tant que tel dans le soutien aux groupes et individus qui soutenaient la rébellion au Nord-Mali même si certains agents, à titre particulier, étaient probablement au courant.
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Ces mêmes groupes de supporteurs reprendront la tâche après la chute de Ceausescu. Ils avaient, entre-temps, trouvé des financiers. Mais aussi leurs cercles s’étaient élargis en attirant des membres d’ONGs ayant travaillé au Mali, des écologistes, des socialistes anti-atlantistes, etc. Le plus curieux c’est que ce sont les journaux maliens de l’époque, écrits dans un français approximatif qui m’ont permis de calmer les financiers et les idéalistes égarés parmi des aventuriers voulant secourir « des femmes et hommes que l’Occident ne devait pas abandonner ».
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Briser les coalitions
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Je recevais ces journaux chaque vendredi de Seydina Oumar Dicko un jeune et brillant journaliste, flegmatique comme un Britannique, tranquille comme ceux qui ont une foi religieuse profonde, conseiller en communication à l’ambassade du Mali à Paris. Je transmettais copie de ces journaux à ces groupes de pression qui, au final, n’y ont trouvé « ni relent raciste ni volonté nationale d’exterminer les Touaregs ». Les chefs politiques de la rébellion finiront par se tourner vers des pays africains à la recherche de médiation ou, si possible, de soutien. Déjà de nombreuses chancelleries connaissaient l’existence au Mali de mouvements politiques clandestins de plus en plus structurés et motivés. De nombreux pays d’Afrique de l’Ouest prirent peur devant la perspective de la conjonction d’une rébellion au nord du Mali et de l’effondrement du gouvernement de Bamako.
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Un jour, un chef d’Etat dépêcha un membre important de son gouvernement me voir a Paris, pour disait-il « envisager une solution de stabilisation » pour le Mali. On m’a proposé d’être cette « solution de stabilisation ». De janvier 1989 à août 1989, je me suis efforcé à décourager cette aventure en expliquant les trois idées suivantes (1) je suis un mathématicien qui n’a aucune vocation à faire de la politique et donc je ferai un très mauvais président, surtout si j’étais expédié au Mali comme un colis, (2) je vis en dehors du pays depuis si longtemps que je ne connais même pas 10 personnes pour former un gouvernement, (3) un processus interne était mûrissant au Mali et il faut laisser les Maliens entre eux trouver un point de stabilisation, une intervention extérieure serait la pire des solutions.
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J’ai transmis ce message et l’ai fait également porter par Tidiane B. K., un jeune frère, fils d’un ancien ministre important du président Modibo Kéita qui avait ses entrées auprès des principaux chefs d’Etat de la région. Finalement ce qui mit fin à cette tentative de pays voisins de chercher « une solution de stabilisation au Mali » fut cet homme qui deviendra plus tard ambassadeur du Mali. Il s’approcha d’un des chefs d’Etat pour me discréditer. Gratuitement. Comme les Maliens ont appris à faire. Il finira par dire à ce chef d’état que j’étais un nostalgique des grands empires sahéliens et que je n’hésiterai pas à recréer l’Empire du Mali. Cette perspective a effrayé certains. J’en ai fait mon plaisir.
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Heureusement, le Mali fut « presque » laissé seul à décider de son destin sans « solution de stabilisation » venue de l’extérieur. Les chefs politiques de la rébellion de l’époque peuvent confirmer tout ce que je dis ici concernant les soutiens dont ils ont bénéficié. Puis arriva le vent de la « révolution ». Et ensuite la Conférence nationale qui fut, à mon avis, un terrible gâchis et une formidable occasion ratée de rebâtir un Mali debout. Le reste est du domaine public.
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Aujourd’hui, comme hier, c’est ensemble, y compris avec les chefs rebelles d’hier que tous les enfants du Mali créeront le futur de notre pays. J’ai cependant l’opinion que les vraies solutions nécessiteront que soient brisées les coalitions de fait qui enserrent notre pays dans la gangue de la misère. Il faut changer les mentalités au sein des familles, les comportements de l’Etat, il faut briser les alliances qui supportent la réalité économique, sociale et politique. Nous devons marcher vers de nouveaux équilibres. Des équilibres qui réconcilieront les Maliens dans la marche vers le progrès et le développement que nul pays ami ne peut nous apporter.
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Dialla Konaté
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(Blacksburg, 29 septembre 2007)
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